Comment Huawei et ZTE ont été pourchassées en 2018

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Pieterjan Van Leemputten

Le fait que les Américains souhaitent depuis belle lurette que les entreprises Huawei et ZTE aillent… se faire voir ailleurs, n’est plus un secret pour personne. Mais en 2018, la pression exercée sur les deux entreprises a encore augmenté, mais toujours sans la moindre preuve tangible.

C’est dès 2012 que les Etats-Unis ont fait part de leurs premiers soupçons à l’égard de ZTE et d’Huawei. Ces entreprises chinoises entretiendraient des liens trop étroits avec leurs autorités. Et puis, il y a le fait que comme elles fournissent de l’équipement télécom et des smartphones dans le monde entier, il leur est facile, selon les Etats-Unis, d’exploiter leur technologie à des fins de mise sur écoute au profit de leur gouvernement.

Même si les Etats-Unis n’ont encore jamais clamé publiquement haut et fort ces suspicions, il n’empêche que la pression s’accentue sur les deux firmes chinoises. C’est ainsi qu’une proposition de loi interdit l’utilisation de la technologie d’Huawei et de ZTE dans les pouvoirs publics américains. Depuis cette année, cette interdiction ne se limite toutefois plus aux Etats-Unis, puisque ces derniers tentent d’en convaincre leurs alliés.

Huawei
Huawei © AFP

Quasiment en même temps que la proposition de loi, l’agence de presse Reuters annonçait, sur base de sources anonymes au sein de la classe politique américaine, que le pays mettait aussi la pression sur l’opérateur AT&T pour qu’il se détourne d’Huawei.

En mars, la chaîne commerciale Best Buy a annoncé qu’elle renonçait à commercialiser des téléphones d’Huawei. Aucune raison formelle n’a été donnée, mais on soupçonne ici encore que c’était sous la pression gouvernementale américaine. Il nous faut cependant ajouter que peu avant, Huawei avait été prise en flagrant délit de diffuser de fausses critiques sur la boutique web de Best Buy.

Sanctions à l’égard de ZTE

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Comment Huawei et ZTE ont été pourchassées en 2018
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En avril, c’est son concurrent, chinois lui aussi, ZTE qui subit les coups les plus durs. L’entreprise fit l’objet de sanctions de la part des Etats-Unis et ne pouvait donc plus utiliser de technologies américaines pendant sept ans. Selon les Américains, c’était dû au fait que ZTE avait fait du commerce avec l’Iran, un pays soumis à de rigoureux embargos de la part des Etats-Unis. Suite à ces sanctions, il y eut aussi le risque que ZTE perde même sa licence sur Android. En outre, Huawei fit également l’objet d’une enquête à propos de ses activités en Iran.

Ce bannissement était étonnant dans la mesure où ZTE avait précédemment déjà payé une amende pour cette infraction et que les nouvelles sanctions avaient été imposées avant même que l’enquête ne soit entièrement close. Mais la barrière ainsi mise en place ne tint pas le coup longtemps. A peine quelques semaines après le bannissement, le président Donald Trump annonça, évidemment via Twitter, qu’il allait travailler avec la Chine à trouver une solution (à une sanction que son propre gouvernement avait imposée).

Cette annonce de Trump fit l’objet de critiques, mais en juillet, un accord fut quand même trouvé. ZTE est de nouveau autorisée à faire des affaires aux Etats-Unis, mais après avoir payé une amende d’un milliard de dollars et avoir subi de sévères contrôles par les Américains.

Belgique

Ces accusations américaines récurrentes ont en février dernier incité aussi le Centre pour la Cybersécurité Belgique (CCB) à réagir. L’infrastructure mobile belge repose en effet fortement sur Huawei et ZTE. Le CCB a toutefois laissé entendre qu’il ‘n’y a actuellement aucun danger concret en provenance de Chine’.

Jos Donvil (droit) CEO VOO
Jos Donvil (droit) CEO VOO© .

Proximus, le principal client belge d’Huawei, annonça également au printemps de 2018 effectuer des tests 5G conjointement avec Huawei. Précédemment encore, lors du Mobile World Congress, Nethys (VOO) signa un contrat avec ZTE pour se muer en Full MVNO.

Fin de l’année dernière, le CCB changea cependant son fusil d’épaule et indiqua qu’il menait une enquête sur Huawei, dans le but de se faire un avis fondé. Il ne fut cependant pas question de bannissement de l’entreprise, ni même d’un avis négatif.

Dans le monde

A partir de l’automne, davantage de pays manifestèrent ouvertement des craintes vis-à-vis des Chinois. L’Australie fit ainsi savoir qu’elle allait pour son réseau 5G se montrer plus rigoureuse envers les fournisseurs étrangers de crainte d’accès non-autorisés. ZTE et Huawei ne sont pas citées explicitement, mais cette dernière avait précédemment déjà été évincée lors du déploiement d’un réseau à haut débit dans le pays.

Fin novembre, les choses se précipitèrent de nouveau: le Wall Street Journal annonça que les Etats-Unis demandaient aux pays amis et aux entreprises télécoms de ceux-ci de boycotter Huawei et ZTE. Surtout dans les états, où les Américains possèdent une base militaire (comme en Belgique) et où des renseignements sur leur trafic militaire transitent par des réseaux commerciaux.

Dans les jours et semaines qui suivirent, la Nouvelle-Zélande, le Japon, l’opérateur britannique BT et le réseau d’alarme britannique lui aussi indiquèrent qu’Huawei et ZTE n’étaient plus en odeur de sainteté. La direction du service secret britannique mit aussi en garde son pays de ne plus se fier à la technologie chinoise. Tel est du reste également l’avis du commissaire européen Andrus Ansip. Et les Britanniques savent de quoi ils parlent, puisque ce sont eux qui piratèrent vraisemblablement Belgacom en 2013.

En Allemagne par contre, le ton est totalement différent. Ainsi la direction de la police internet allemande BSI ne voit aucune raison de bannir les deux entreprises chinoises. Selon elle, il n’y a aucune preuve étayant les accusations américaines.

La CFO arrêtée

Indépendamment des accusations d’espionnage, le CFO et co-présidente d’Huawei a été arrêtée le 1er décembre au Canada, à la demande des Etats-Unis, qui voulaient l’extrader. Meng Wanzhou a été arrêtée lors d’un transfert entre deux vols.

Cet homme devant la Cour supérieure de Justice canadienne manifeste en faveur de la libération de la CFO d'Huawei, Meng Wanzhou.
Cet homme devant la Cour supérieure de Justice canadienne manifeste en faveur de la libération de la CFO d’Huawei, Meng Wanzhou. © REUTERS

La raison de son arrestation, c’est que les Etats-Unis accusent Huawei de vendre à l’Iran de l’équipement télécom américain par le biais d’une filiale. Meng y aurait joué un rôle crucial. Outre sa fonction de CFO, elle est aussi la fille de Zhengfei Ren, le fondateur et CEO de l’entreprise.

Cette arrestation a été durement ressentie par le gouvernement chinois. Un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères a, lors d’une conférence de presse, insisté sur le fait qu’Huawei était une entreprise indépendante et qu’il était absurde d’ériger des barrières sur base de simples spéculations. Et d’ajouter que le pays n’exige aucunement des entreprises chinoises qu’elles installent des portes dérobées dans leur équipement.

Une semaine et demie après son arrestation, Meng fut provisoirement relâchée sous caution, après le versement de dix millions de dollars canadiens. Elle ne peut cependant pas quitter temporairement le pays.

Beaucoup d’accusations, mais aucune preuve

Le fait que plusieurs pays préfèrent tourner le dos à Huawei et ZTE, est manifeste aujourd’hui. Mais ces affirmations à leur égard méritent bien quelques solides nuances. Il s’agit ainsi principalement de très bons alliés des Etats-Unis, qui n’hésitent pas à colporter le message plus avant.

Depuis que les Etats-Unis ont entamé en 2012 leur croisade contre les deux firmes chinoises, aucun politicien, aucune agence gouvernementale ou institution de recherche indépendante n’a pu présenter la moindre preuve qu’Huawei ou ZTE se sont livrées à de l’espionnage ou ont prévu des portes dérobées sur leur équipement pour ce faire.

Les Etats-Unis, eux, se livrent bien à de l’espionnage

Edward Snowden
Edward Snowden© REUTERS/Andrew Kelly

Ce qui donne du piment à toute cette affaire, c’est qu’on ne peut pas en dire autant des entreprises américaines. On sait en effet depuis 2015, grâce à Edward Snowden, que le service de sécurité américain NSA, mais aussi la CIA demandent régulièrement à Google, Facebook, Yahoo, Microsoft/Skype, Apple, ainsi qu’à d’autres acteurs encore de collaborer par le truchement du programme Prism. Parfois, tel est bien le cas, mais il arrive aussi que le service tente simplement d’entrer par intrusion pour accéder aux données recherchées.

En 2013 déjà, le gouvernement de l’ex-président Obama admettait que la NSA interceptaitillégalement des courriels d’Américains. Et l’on a aussi appris que l’opérateur Verizon transférait quotidiennement à ce service des données concernant des millions d’entretiens téléphoniques.

Cette histoire devint même particulièrement pénible, lorsqu’il s’avéra que la NSA était à l’origine de toute une série de failles inconnues, dans le but de pirater des comptes ou des téléphones mobiles par exemple via des portes dérobées. Ces secrets furent volés (plusieurs fois) en 2015, probablement par des hackers russes qui n’ont pas hésité à les propager. Autrement dit, des pirates russes ont eu accès à des questions de sécurité très sensibles grâce à des pratiques mises au point par des services gouvernementaux américains.

En résumé, on peut affirmer que les Etats-Unis n’ont fait qu’amplifier leur pression pour évincer Huawei et ZTE de la scène, mais qu’on attend encore et toujours la moindre preuve permettant d’étayer ces accusations. Voilà pourquoi nous reviendrons en guise de conclusion à une boutade entre-temps bien connue: des Chinois, on craint qu’ils n’espionnent, mais des Américains, on le sait avec certitude.

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