Que faut-il savoir sur le projet ‘cloud’ européen Gaia-X?

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Pieterjan Van Leemputten

Gaia-X sort des starting-blocks, mais on ne sait pour l’instant pas grand-chose à propos de ce projet ‘cloud’ européen. Ce n’est pas un pendant d’AWS, d’Azure ou de Google Cloud. Mais qu’est-il donc et que représente-t-il pour les utilisateurs et fournisseurs belges de nuages?

‘La France va collaborer avec l’Allemagne pour créer un service ‘cloud’ européen.’ Tel était le titre de l’article publié par Data News en octobre 2019 à propos de l’annonce de Gaia-X, qui se voulait un contrepoids à Amazon, Microsoft, Google et Alibaba. Cela sembla quelque peu prématuré. Gaia-X n’est en effet pas une firme de nuages, pas plus qu’un collectif d’acteurs ‘cloud’ associés en vue de proposer des services.

Il s’agit bien d’un ensemble de normes et de principes destinés à offrir aux clients ‘cloud’ européens de la confiance et un champ de manoeuvre, afin qu’ils puissent entre autres changer rapidement de fournisseur, sans enferment propriétaire (‘vendor lock-in’). Le chemin pour y parvenir est encore long, mais Data News a quand même pu jeter un coup d’oeil au planning lors d’une interview d’Hubert Tardieu, CEO ad intérim.

Tardieu insiste sur le fait que son rôle, tout comme celui des actuels CTO et vice-CEO, est temporaire: ‘Jusqu’à notre première réunion générale fixée à la mi-juin 2021, durant laquelle les deux cents membres de Gaia-X éliront le premier conseil d’administration officiel.’

Doubler l’adoption du nuage

L’ambition du projet est notamment d’améliorer l’adoption du nuage en Europe. ‘Elle est en moyenne de quelque 25 pour cent en Europe: dans le nord quelque peu plus élevée et dans le sud quelque peu plus basse’, précise Tardieu. Nous voulons la doubler d’ici 4-5 ans, car le nuage génère des avantages.’

Mais il y a aussi des obstacles que Gaia-X souhaite aplanir. ‘Il y a un manque de portabilité des données. Si on opte pour l’un des acteurs ‘cloud’ en vue, on se fait souvent attraper, parce qu’on écrit notre application à sa mesure ou qu’on lie notre infrastructure à la sienne. Il en résulte qu’on éprouve des difficultés à s’en aller. Le deuxième point est l’interopérabilité, à savoir la possibilité de passer rapidement d’un acteur à un autre, ne serait-ce que choisir un autre partenaire pour certaines choses’. Tardieu cible ainsi entre autres la complexité engendrée par une approche multi-nuage et la manière de faire collaborer l’ensemble.

Pour les entreprises dans le nuage, peu importe que leurs services ne se trouvent pas tous chez le même fournisseur.

‘Chaque fournisseur de services dans le nuage doit être organisé de telle sorte que le partage réciproque des données soit possible. Pour les entreprises dans le nuage, peu importe que leurs services ne se trouvent pas tous chez le même fournisseur.’

Les étapes vers un projet européen

Le fait que les acteurs ‘cloud’ en vue ont plus de dix ans déjà de progrès à leur actif ne doit pas inciter les autres à se dire qu’il est trop tard pour se lancer à présent dans l’aventure. Non seulement parce que beaucoup d’entreprises européennes ne travaillent pas encore (tout à fait) dans le nuage, notamment parce que cela bouge constamment. ‘Aujourd’hui, quatre-vingts pour cent se trouvent dans un nuage central et vingt pour cent en périphérie’, affirme Tardieu. ‘Nous nous attendons à ce que cela soit inversé d’ici 4-5 ans.’

Pour en faire grand cas, il convient d’élaborer des règles stratégiques pour permettre la cessibilité et l’interopérabilité. Tardieu: ‘Sous la forme d’une série de normes architecturales, dont les premières devraient voir le jour d’ici le troisième trimestre de cette année.’

‘A peu près en même temps, nous voulons disposer d’une première série de services fédérés, un catalogue de services certifiés Gaia-X en matière de gestion d’identités et d’accès, et en matière de partage des données implémentées sous la forme d’un prototype par les partenaires de Gaia-X et disponibles en open source pour quiconque veut les utiliser.’

‘Data spaces’

On prévoit également ce qu’on appelle des ‘data spaces’ pour niches spécifiques. Actuellement, il s’agit de la finance, de l’énergie, de l’automobile, du transport/mobilité, des soins de santé et de l’aviation, qui auront élaboré chacun(e) pour la fin de ce trimestre une feuille de route contenant des propositions pour de possibles use cases. Le raisonnement sous-jacent est que certaines niches, surtout celles fortement réglementées, nécessitent plus que des règles stratégiques génériques.

Tardieu fait observer ici que son organisation entend dialoguer avec les autorités compétentes à propos des secteurs lourdement réglementés comme la santé et le monde bancaire. A propos de la manière dont ils peuvent en faire plus sur le plan numérique dans le cadre réglementaire, et que les règles appliquées par Gaia-X pourraient en être une conséquence directe.

‘Nous voulons y impliquer aussi des entreprises belges.’

Avant le démarrage de ces espaces de données, la Commission européenne lancera au deuxième trimestre un appel d’offres. ‘Nous voulons y impliquer aussi des entreprises belges. Une partie du défi à relever pour ces entreprises consiste à identifier rapidement les domaines dans lesquels elles veulent jouer un rôle éminent dans le consortium international.’

Belgique

Gaia-X possède son siège central en Belgique, mais actuellement, l’organisation travaille encore à son image dans notre pays. ‘Pour l’instant, il n’y a pas encore énormément d’entreprises ‘cloud’ belges qui sont venues frapper à notre porte. Mais c’est à nous qu’il appartient de faire du lobbying, d’expliquer nos principes à de possibles partenaires, etc.’

Tardieu fait observer que les intéressés ne doivent pas nécessairement devenir aussitôt des partenaires (et verser des cotisations dans ce but). Ce n’est que si elles prennent part activement aux espaces de données ou qu’elles veulent contribuer aux règles stratégiques qu’elles devront devenir des membres à part entière. Aujourd’hui, il existe également un hub belge auquel les entreprises intéressées peuvent se connecter.

Gaia-X deviendra une série de normes et de principes, généraux et spécifiques, auxquels les fournisseurs technologiques pourront participer.

Ce hub belge est supporté par la fédération technologique Agoria, qui expliquera plus avant les plans lors de Gaia-X for Belgium, un événement en ligne prévu le 26 janvier.

Normes pour un nuage plus transparent

Gaia-X deviendra une série de normes et de principes, généraux et spécifiques, auxquels les fournisseurs technologiques pourront participer. Elle devra ainsi donner aux clients la certitude que leurs données et applications seront aisément déplaçables entre les acteurs.

Dans ce cadre, il n’est pas question de participer soit entièrement, soit pas du tout. Les fournisseurs de nuages pourront choisir les services qu’ils adapteront aux règles de Gaia-X. ‘Certaines règles porteront aussi spécifiquement sur un seul domaine, comme par exemple la finance. Il y aura donc diverses situations.’

Il pourra se faire qu’un grand acteur ‘cloud’ rende une partie de sa gamme ‘Gaia-X certified’, mais d’autres parties pas. ‘Et les utilisateurs pourront ainsi prendre conscience qu’ils s’en tireront mieux avec les parties certifiées, parce qu’ils pourront alors mieux transmettre leurs données’, ajoute Tardieu.

Bienvenue à tous, mais tous ne pourront pas décider

La participation sera ouverte pour tout un chacun, donc aussi pour les géants américains des données tels AWS, Google Cloud, Azure, Oracle ou IBM. Mais cela ne signifie pas qu’ils détermineront également les règles.

Il y a ainsi eu fin décembre une certaine confusion, lorsque l’entreprise américaine Palantir annonça qu’elle était devenue un ‘proud member from day 1’ de Gaia-X. Or l’entreprise d’extraction de données (datamining) Palantir a la réputation d’enfreindre régulièrement le respect de la vie privée. Où se situe alors la barre d’accueil ou de rejet de quelqu’un? Le sujet est aujourd’hui fortement nuancé.

‘Palantir a commis l’erreur de déclarer qu’elle était devenue membre. Elle aurait dû dire qu’elle avait introduit une demande pour devenir membre. Nous devons du reste encore prendre une décision’, ajoute Tardieu à Data News. En même temps, il existe une nette distinction entre les membres européens et non-européens.

‘S’il apparaît que Palantir fait de fausses promesses, nous refuserons son adhésion.’

‘Les entreprises n’ayant pas leur siège central en Europe ne peuvent briguer une place au sein du conseil d’administration. Mais elles peuvent devenir des membres de Gaia-X, ce qu’ont déjà fait plusieurs acteurs.’

Tardieu ne veut pas non plus exclure anticipativement Palantir, mais il insiste sur le fait que le débat sera nuancé. ‘Ce n’est jamais simple. La firme propose des services qui sont peut-être uniques à certains égards. C’est ainsi qu’une entreprise comme Airbus dispose de systèmes basés sur sa technologie. Mais pour cette adhésion, nous aurons des débats approfondis avec la direction de Palantir pour savoir si elle sera en règle avec nos conditions. S’il apparaît que Palantir fait de fausses promesses, nous refuserons son adhésion.’

Avenir

Même si le focus repose à présent sur la cessibilité aisée des données, ce n’est pas tout. Tardieu: “Le fait qu’avec Gaia-X, vous ne soyez pas prisonnier de votre fournisseur de services, ne représente que dix pour cent de ce que nous voulons réaliser.’

Tardieu reste vague à propos de ce qui sera avantageux à terme pour les acteurs en vue ou les autres: ‘Nous voulons surtout une plus grande adoption du nuage en Europ. Les ‘hyperscalers’ en tireront avantage, mais les acteurs ‘cloud’ européens aussi. Peut-être leur rôle deviendra-t-il ainsi plus important qu’il ne l’est actuellement.’

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