BetaGroup en Israël: “L’ultime société informelle”
“Les startups israéliennes sont comme des boules. Elles roulent loin, mais l’on ne peut rien y bâtir.” Voilà ce qu’a expliqué Orly Glick, CEO de TheNexit, à la délégation BetaGroup belge en voyage découverte cette semaine à Tel Aviv. “La culture israélienne convient à merveille aux startups, mais y évoluer et y développer une grande entreprise reste malaisé.”
La région de Tev Aviv est considérée comme l’une des incontestables top-zones mondiales pour les startups. En 2014, pas moins de 3,4 milliards de dollars de capital-risque ont été investis dans des starters israéliens. 18 petites entreprises technologiques ont pu recueillir quasiment 10 milliards de dollars après leur entrée à la Bourse. Encore un chiffre à vous donner le tournis? L’année dernière, le capital issu des exits s’est établi à 15 milliards de dollars (souvenez-vous notamment du rachat du designer de puces Annapurna par Amazon.com pour 370 millions de dollars). C’est fou pour un aussi petit pays!
L’écosystème de startups local se compose actuellement de plus de 5.000 petites entreprises, qui sont soutenues par plus de 60 incubateurs et accélérateurs (partiellement parrainés par l’Etat), 9 universités et des centaines de capital-risqueurs, fonds, business angels et entrepreneurs ‘second time’. 300 multinationales technologiques, dont HP, Intel et IBM possèdent un grand centre R&D dans ce pays.
Il n’est pas aisé de désigner une seule véritable cause expliquant pourquoi la scène des startups se porte si bien en Israël. En fait, les motifs sont multiples. Certes, l’armée stimule l’innovation technologique, ce qui fait que pas mal d’entreprises technologiques sont nées dans son giron. Mais ce qui joue à coup sûr aussi, c’est qu’après l’écoulement de l’Union Soviétique dans les années nonante, nombre de Juifs russes et de l’ancien bloc de l’Est ont gagné leur ‘terre promise’. Ces gens disposaient souvent d’une très bonne formation, ce qui fait qu’Israël a été soudainement submergé d’ingénieurs et de spécialistes en informatique.
Une autre raison réside dans le fait que les starters locaux se tournent directement vers les Etats-Unis et vers l’Asie (et seulement ensuite vers l’Europe), parce que leur propre marché est vraiment exigu. Et évidemment, il y a aussi les liens très forts avec la Silicon Valley et avec l’écosystème américain. Ajoutez-y le fait que l’Etat a créé un climat très favorable pour les starters, et vous obtenez le cocktail idéal.
Culture
Il y aurait cependant encore une autre cause – davantage d’ordre culturel – pour expliquer pourquoi les starters israéliens se distinguent aussi souvent. Voilà ce qu’Orly Glick, CEO de l’incubateur TheNexit installé à Tel Aviv, a affirmé à une délégation de 35 starters et investisseurs belges qui, sous l’étendard BetaGroup, sont venus découvrir l’écosystème technologique israélien.
“L’une des raisons pour lesquelles nos jeunes entrepreneurs s’en tirent bien, c’est le fait que pendant leur service militaire – obligatoire -, ils ont appris qu’ils doivent acquérir une mentalité de vainqueur”, a ajouté Glick. “On leur apprend qu’ils doivent tout donner pour atteindre leur objectif, sans faire le moindre compromis. Ce qui explique leur comportement très direct. Des euphémismes tels ‘merci beaucoup’ et ‘s’il vous plaît’ ne sont pas utilisés en hébreu. Ce côté informel est considéré par certains comme incongru, mais ce n’est pas le but.”
Ce qui est au moins aussi important, c’est que tous les Israéliens sont traités sur le même pied, y compris dans les entreprises. “Les enfants peuvent reprocher aux parents leurs erreurs, les travailleurs peuvent remettre en question leur directeur. Travailler de cette manière stimule l’innovation et s’avère être une bonne chose pour les starters. Les premières difficultés n’apparaissent que quand on se met à collaborer avec des entreprises internationales, où la hiérarchie est encore importante.”
Et Glick de citer aussi le roi Salomon durant sa présentation: ‘Questioning is a path towards growth in wisdom and life.’ “Les Israéliens remettent tout en question. Dans notre culture, il est bon de penser différemment et d’enfreindre les règles. Il s’agit là évidemment d’une compétence positive, si l’on veut créer une petite entreprise qui sort des sentiers battus. Mais dans la corporate culture occidentale, tel n’est naturellement pas le cas. Voilà pourquoi nombre d’entreprises israéliennes connaissent des problèmes ultérieurement.”
Le lauréat du prix Nobel de la Paix et ancien premier ministre Shimon Peres, qui a tenu une conférence hier dimanche axée sur l’innovation et l’entreprenariat à l’université de Tel Aviv, à laquelle les Belges ont pu assister, a mis lui aussi en exergue cette faculté de ‘tout remettre en question’. “Les Juifs ne sont jamais satisfaits”, a-t-il déclaré. “Donnez quelque chose à un Israélien, et il va y effectuer un changement. That’s what makes us scientific.”
Incertitude
Une autre propriété qui vient bien à point dans le cadre des ‘startups’, c’est le fait que les gens ont appris à vivre dans l’incertitude. “Il ne peut quasiment pas en être autrement dans le contexte politique actuel”, a encore souligné Orly Glick.
L’inconvénient, c’est que le terme préliminaire semble ne pas figure non plus dans le dictionnaire hébreu. “Lizrom, go with the flow, dit-on ici, “we’ll see what happens. Les gens sont très ‘last minute’, et la spontanéité est leur principale vertu.”
Glick: “Le fait que l’on planifie à peine, même pas à plus long terme, offre l’avantage que l’on peut basculer et pivoter rapidement, mais si vous évoluez vers une plus grande entité, vous allez au devant de problèmes. La nonchalance de l’Israélien est un inconvénient pour l’entreprise, on ne peut le nier.”
Le CEO de TheNexit réduit dès lors aussi Israël à l’état d’ultime société ‘non-officielle’ et informelle. “La règle principale est en réalité qu’il n’y a pas de règles ou que les règles sont faites pour être enfreintes. Les startups israéliennes sont dès lors comme des boules. Elles roulent loin, mais l’on ne peut rien y bâtir. Pour cela, il faut des blocs rectangulaires comme on trouve ailleurs dans le monde. Les startups peuvent croître sans problème dans la culture israélienne, mais construire une plus grande entreprise est une tâche nettement plus difficile.”
Tout cela explique assurément en partie pourquoi il y a si peu de véritables grandes entreprises technologiques israéliennes (même si plus de 100 sont quand même cotées à la Bourse technologique Nasdaq). “Les Israéliens sont sûrs d’eux et pensent qu’ils ont toujours raison, mais en fin de compte, nous sommes encore assez immatures comme pays. Cela se voit dans notre manière de faire des affaires. Donnez-nous encore un peu de temps (rire).”
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