Ericsson: “On n’a pas lancé correctement la 5G en tant que secteur sur le marché “

Rémi De Montgolfier © Ericsson
Pieterjan Van Leemputten

En prévision d’un déploiement provisoire de la 5G, les contrats entre les fournisseurs télécoms en vue et les opérateurs sont en préparation. Data News a rencontré Rémi De Montgolfier, directeur d’Ericsson Belgique, pour parler de la plus-value de la 5G et des raisons pour lesquelles ses avantages sont plus malaisément explicables que ceux de la 4G.

Rémi de Montgolfier est depuis début 2019 general manager d’Ericsson Belgique et Luxembourg. Il travaille depuis 2012 pour Ericsson, spécifiquement pour le marché français. Avant, il fut actif chez Nokia Siemens Networks et chez Alcatel.

Je pense qu’on n’explique pas suffisamment pourquoi la 5G n’est pas dangereuse et quel sont ses avantages. C’est à nous de le faire et aux opérateurs.

Pour un acteur tel Ericsson, l’époque est plutôt stressante. Les opérateurs télécoms sont sur le point de décider avec quel fournisseur 5G ils vont s’associer. Le fait que des firmes comme Huawei et ZTE (sous pression américaine) sont considérés avec méfiance, joue certes en faveur de l’entreprise, mais aujourd’hui, le consommateur ne semble pas attendre avec impatience la 5G, et les nombreux canulars sur les dangers de la technologie n’arrangent rien.

Quel est votre avis sur l’état actuel des choses au niveau de la 5G? La Belgique n’a pas encore d’accord politique sur la 5G, mais il y a bien des licences provisoires.

RÉMI DE MONTGOLFIER: Je suis partagé. Les droits d’utilisation provisoires rendent la 5G possible, ce qui est positif. Le fait que Proximus effectue un premier lancement de la technologie, c’est bien également pour sa promotion générale. Mais on observe les préoccupations de certains citoyens en la matière. Je pense qu’on n’explique pas suffisamment pourquoi la 5G n’est pas dangereuse et quel sont ses avantages. C’est à nous de le faire et aux opérateurs.

La mise aux enchères du spectre est un obstacle. En voyez-vous d’autres?

DE MONTGOLFIER: La solution actuelle est une bonne solution alternative, mais nous espérons qu’il y aura rapidement de la clarté sur les enchères et sous quelles conditions. Mais à côté du spectre, il y a encore d’autres éléments. Si on veut un nouveau pylône d’antennes, cela prendra au moins deux années de travail administratif.

En même temps, j’attends une prise de position transparente de la part de la classe politique belge: veut-on la 5G, comment la veut-on et quelle devra être sa portée? Et il faut arriver à un consensus entre les régions à propos des normes de rayonnement. En région bruxelloise (où les normes sont les plus sévères, ndlr.), il n’est actuellement pas possible de proposer la 5G.

Même pas sur les actuelles fréquences 3G, comme le fait Proximus dans certaines villes pour l’instant?

DE MONTGOLFIER: C’est possible, mais les performances s’apparenteront alors à celles de la 4G. On aura donc une nouvelle technologie sans ses avantages. L’utilisateur final se demandera pourquoi il doit payer pour la 5G, si les performances ne sont pas à l’avenant. Si cela revient à proposer la 5G sans la vitesse, la latence et l’expérience d’utilisation spécifiques, mieux vaut s’abstenir.

Et si vous voulez bénéficier de la 5G à Bruxelles compte tenu des normes de rayonnement actuelles, il convient alors d’installer nettement plus d’antennes, ce qui a un coût à la fois financier et écologique. Je ne sais donc pas si c’est une bonne idée.

Ericsson Belgique

Active dans notre pays depuis 2005

Nombre de collaborateurs en Belgique: 350

Il ne faut pas convaincre les opérateurs et les entreprises des bienfaits de la 5G, mais le consommateur, lui, se pose la question de savoir quelle est la plus-value par rapport à l’actuel réseau 4,5G.

DE MONTGOLFIER: On n’a pas lancé correctement la 5G en tant que secteur sur le marché. La 2G avait l’avantage indéniable de permettre d’appeler dans la rue. La 3G, elle, permettait un accès rapide à internet. Et la 4G nous a offert la vidéo en qualité HD. Avec la 5G, on a lancé de nouveau ‘une technologie’ sur le marché, ce qui a été une erreur. Il ne s’agit pas d’une technologie en tant que telle, mais de ce qu’on peut en faire. On peut considérer la 5G comme une boîte à outils permettant d’innover dans les années à venir. Cet exercice de réflexion, les opérateurs doivent également le faire, même s’il est plus complexe d’expliquer clairement les avantages de la 5G que ceux de la 4G.

Mais à quoi sert une boîte à outils pour le consommateur, s’il ne développe rien lui-même?

DE MONTGOLFIER: Pour commencer une plus grande capacité sur les réseaux existants. Si on ne fait rien, le réseau mobile à Bruxelles sera complètement saturé d’ici deux ans. Pour éviter cela, un nouveau spectre et une nouvelle technologie sont nécessaires. La 5G pourra alors délester le réseau existant.

Qui dit nouvelle technologie dit plus de diffusion de jeux. Si on diminue la latence, on pourra faire tourner de solides jeux sur une tablette, sans qu’il soit besoin d’acquérir un coûteux PC. Une fois la vitesse d’1 Gbps et une latence de quelques millisecondes atteintes, on peut faire beaucoup.

Mais il est difficile de faire des prévisions exactes. Lors du lancement de la 4G, on s’était également demandé quelle en serait la plus-value, et on avait alors évoqué de possibles applis tueuses (‘killer apps’). On avait tout faux. Mais quels que soient les ‘use cases’ qui se manifestent, la quantité de données que nous consommons, n’en augmente pas moins chaque année, de même que la vitesse dont les gens ont besoin. Il convient donc d’anticiper avec des nouveaux réseaux.

Mais la 5G revêt notamment une plus-value pour les villes intelligentes (‘smart cities’), où les transports publics se combinent aux vélos, trottinettes et autres scooters connectés en temps réel, pour lesquels on a aussi besoin d’une connectivité fiable.

Mais n’est-ce pas déjà possible avec la 4G? Aujourd’hui, on commande déjà son ticket de tram avec une appli, et le vélo partagé, cela fonctionne également ainsi que je sache.

DE MONTGOLFIER: Oui, on peut commencer avec la 4G. Même pour certains réseaux privés, on peut aujourd’hui déjà faire beaucoup de choses avec la 4G. Mais pour réduire les coûts, la 5G est nécessaire. Elle a été conçue pour relier un très grand nombre de jeux de puces. La 4G a été développée pour les données, mais pas pour la connexion massive d’objets. La 5G, elle, se focalise nettement plus sur la connexion de nombreux petits émetteurs.

Rémi De Montgolfier
Rémi De Montgolfier© Ericsson

Et puis, il y a aussi la compétitivité économique. Des pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne et la France misent pleinement sur la 5G. Leurs usines vont économiser de l’argent avec des applications qui numériseront et amélioreront leur production. Cela signifie que la prochaine fois qu’un constructeur automobile tel Audi ou Volvo devra décider où il ouvrira ou rénovera un site de production, il examinera l’état de la numérisation. Et c’est là que la 5G jouera aussi un rôle, même si je reconnais que c’est très complexe à s’imaginer.

Ericsson a-t-elle aujourd’hui déjà beaucoup de pain sur la planche? Les opérateurs sont probablement en passe de choisir leur fournisseur, non?

DE MONTGOLFIER: Il y a des offres en cours, mais je ne peux pas en dire grand-chose. Nous sommes souvent en contact avec les opérateurs.

Cela amplifierait l’empreinte d’Ericsson, puisqu’aujourd’hui, les réseaux 4G de trois opérateurs en vue sont équipés d’appareils d’Huawei et ZTE.

DE MONTGOLFIER: Mais nombreux sont ceux qui ne savent pas que nous sommes actuellement déjà un acteur en vue en Belgique. Pour la 4G, nous gérons une grande partie des réseaux mobiles, notamment chez Orange et chez Telenet. J’évalue à soixante pour cent le trafic des réseaux mobiles en Belgique géré aujourd’hui par Ericsson via notre ‘business unit for managed services’, ce qui est possible avec n’importe quel matériel (même si l’équipement d’émission provient d’Huawei ou de ZTE, comme c’est le cas chez Orange et Telenet, ndlr.).

Proximus déploie à présent la 5G via un partage du spectre, alors qu’aux Pays-Bas, VodafoneZiggo fait de même par voie logicielle avec de l’équipement d’Ericsson, sans qu’il faille effectuer des travaux aux pylônes. Cela se fera-t-il aussi en Belgique?

DE MONTGOLFIER: Je ne peux rien dire à ce propos, parce que la solution de Proximus ne provient pas d’Ericsson. Mais avec notre matériel, il est possible de faire du partage de spectre sur n’importe quelle bande 3G et 4G et ainsi mettre en oeuvre un réseau 5G national. Mais cela ne constitue pas la pleine expérience 5G. Pour atteindre des vitesses d’1 GBps, il faut disposer d’une bande de fréquences séparée.

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.© Ericsson

Chez Ericsson, nous disposons depuis 2015 d’un matériel paré pour la 5G. Cela signifie qu’une fois qu’il est déployé, il est possible d’activer la 5G sans devoir remplacer rien d’autre. C’est ce qui explique pourquoi un acteur comme Vodafoneziggo arrive à déployer si rapidement la 5G.

Envisagez-vous pour Ericsson un espace de croissance suffisant, maintenant qu’on a des doutes sur des acteurs non-européens tels Huawei et ZTE? Il y a dès lors une chance qu’ils soient moins sollicités dans notre pays.

DE MONTGOLFIER: Il y a des possibilités de croissance, pas en raison de la géopolitique, mais bien en raison de notre technologie. C’est Ericsson qui a déployé le premier réseau 5G aux Etats-Unis. Quant au réseau en Corée, il a été en partie assuré par Ericsson. Et le premier opérateur 5G en Europe, Swisscom, a utilisé à cent pour cent la technologie d’Ericsson.

Notre but est de vaincre la concurrence du fait que nous possédons de meilleurs produits et que nous sommes plus efficients au niveau des coûts. Si nous considérons les contrats signés à l’échelle mondiale, nous n’avons certainement pas à nous plaindre. Nous sommes confiants de pouvoir convaincre les opérateurs mobiles, mais cette confiance repose sur nos propres forces.

Dans une réaction aux accusations américaines, Huawei déclare être transparente. Depuis l’année dernière, elle permet aussi qu’on ait accès à son code source. Sont-ce là des choses qu’Ericsson propose également?

DE MONTGOLFIER: Nous ne sommes pas des partisans de ce genre d’approche. Les réseaux mobiles font aujourd’hui l’objet de mises à jour logicielles hebdomadaires. Donc tout le débat portant sur l’accès au code source et au contrôle logiciel n’est pas réaliste. On consacre alors plus de temps à la vérification en tant que telle, ce qui retarde d’autant le déploiement. De plus, cela donne un faux sentiment de sécurité, car on ne sait pas si ce qu’on teste ou contrôle, sera bien déployé.

La sécurité, c’est bien plus complexe qu’accéder au code source. La sécurité, c’est respecter les normes 3GPP (l’organisation qui élabore les spécifications pour la 5G notamment, ndlr.), c’est aussi comment déployer un réseau, avec quelle architecture et comment le gérer. Nous-mêmes, nous nous profilons aussi comme une entreprise qui accorde une très grande importance à la transparence, ce que nous voulons appliquer autant que possible. Mais nous n’organisons pas de débat sur le code source.

Qu’attendez-vous des réseaux 5G locaux dans les entreprises? Sera-ce un vaste marché en comparaison avec les réseaux GSM ‘classiques’?

DE MONTGOLFIER: Il existe à coup sûr un marché pour les réseaux 5G privés, et c’est du reste aussi l’une des promesses de la 5G: supporter tous les use cases. Avant, il y avait une seule technologie par application. Si on veut du ‘push-to-talk’, place à TETRA, si on veut de l’internet sans fil, on déploie le wifi dans l’entreprise, etc. La 5G promet une même connectivité pour n’importe quelle application. Cela veut dire qu’elle côtoiera au début d’autres technologies, mais qu’elle les remplacera à terme dans un environnement professionnel.

Reste à savoir ce qu’il en est de la stratégie ‘go-to market’. Passera-t-on par des opérateurs mobiles, qui mettront alors en oeuvre des réseaux 5G locaux dans les entreprises ou y aura-t-il aussi, comme en Allemagne, de grands acteurs industriels qui achèteront eux-mêmes du spectre et possèderont ainsi entièrement leur réseau? Pour la Belgique, je n’ose rien affirmer. Peut-être sommes-nous trop petits, ce qui fait que cela passera par les opérateurs, mais il y aura certainement un marché.

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