Début de l’acte principal du procès opposant Apple et Qualcomm

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Els Bellens

Aujourd’hui même, le géant technologique Apple et le fondeur de puces Qualcomm ont rendez-vous dans la salle du tribunal de San Diego aux Etats-Unis. L’affaire pourrait coûter des milliards au perdant, mais elle aura aussi de l’influence sur l’avenir du matériel mobile.

L’affaire qui débute aujourd’hui à San Diego (Californie), est le point d’orgue (provisoire) d’un conflit qui traîne depuis deux ans déjà et qui a généré des procès dans le monde entier. Elle porte sur la question de savoir si Qualcomm possède un monopole sur les puces mobiles ou, autrement dit, combien de brevets du géant des puces sont valables.

De quoi parle-t-on?

Qualcomm est l’un des principaux fabricants de puces au monde. L’entreprise est surtout connue pour ses puces GPU Snapdragon pour téléphones mobiles, mais elle produit aussi les puces sans fil qui équipent (ou équipaient) les iPhone. L’affaire porte en fait sur ces puces sans fil, les modems LTE 4G qui sont nécessaires pour utiliser les données mobiles.

Selon Apple, elle paie trop à Qualcomm: elle paie non seulement pour se procurer les modems mêmes, mais elle paie aussi des droits de brevets pour pouvoir utiliser la technologie réseautique de Qualcomm. Apple accuse en fait le fondeur de puces d’abuser de sa position dominante pour contrer la concurrence et augmenter les prix des puces. “Les pratiques illégales de Qualcomm sont une mauvaise chose pour Apple et pour toute l’industrie”, peut-on lire dans la plainte initialement déposée par Apple. “Cette entreprise nous fournit un seul composant de réseau, mais exige depuis des années déjà le versement d’un pourcentage sur le coût global de nos produits.”

Apple ne veut payer que le prix des puces, alors que Qualcomm indique que sa technologie va au-delà du modem et qu’elle doit donc recevoir une compensation sur le prix de vente des téléphones. Elle réfute le fait qu’il soit question d’un monopole et considère l’utilisation par Apple de puces-modems d’Intel comme un argument. “Nous sommes l’un des principaux architectes de l’écosystème sans fil, et nos investissements en R&D ont fait de l’entreprise un leader en 2G, 3G, 4G et maintenant 5G”, avait déclaré le CEO de Qualcomm, Mollenkopf, lors de la présentation des chiffres annuels en janvier. “Il est important que nous protégions notre propriété intellectuelle et que nous veillions à recevoir une juste compensation pour nos inventions et investissements.”

Une relation qui s’est gâtée

Le litige qui oppose ces deux parties, dure depuis deux ans déjà. Apple a utilisé pendant quelques années des puces sans fil de Qualcomm dans ses iPhone, mais à partir de 2016, la relation s’est gâtée entre les deux entreprises. C’est à cette période qu’Apple s’est tournée vers Intel pour utiliser sa technologie réseautique, ce qui s’est traduit par les premiers procès.

D’après Apple, Qualcomm décida en effet en 2011 d’octroyer une réduction sur les royalties dues sur ses brevets, si Apple acceptait d’utiliser les puces concernées dans ses iPhone. Mais Apple déclare de son côté qu’elle s’est sentie contrainte de le faire. Qualcomm inverse l’histoire susmentionnée et affirme que c’est Apple qui réclama une ristourne sur les brevets. Elle demanda par conséquent qu’Apple n’utilise que les puces-modems de Qualcomm dans ses téléphones comme une garantie qu’elle vendrait suffisamment de puces pour permettre cette réduction. Cet accord fut respecté jusqu’en 2016, lorsque, selon Apple, Qualcomm conserva un milliard de dollars d’argent qui lui était dû.

Selon Apple, ce montant fut retenu, parce que l’entreprise avait collaboré avec la justice sud-coréenne dans une enquête sur des pratiques monopolistiques de la part de Qualcomm. Pour sa part, Qualcomm signale qu’il s’agit là d’une rupture de contrat, parce que l’accord conclu avec Apple stipule que le géant technologique Qualcomm ne peut être incriminé. Qualcomm n’obtint pas gain de cause dans cette affaire et dut rembourser la réduction non versée. Mais l’on n’en resta pas là, puisqu’Apple déposa en janvier 2017 une plainte auprès du tribunal de San Diego, dans laquelle elle accusait Qualcomm d’abus de position dominante et exigeait de payer moins pour les licences sur la technologie de Qualcomm.

Pas de licences, pas de puces !

Le problème pour Apple, c’est la politique ‘no license, no chips’ de Qualcomm. Quiconque souhaite acheter chez le fondeur une puce-modem (ou toute autre puce), doit d’abord acquérir une licence. Cela engendre une concurrence déloyale, selon Apple, parce que Qualcomm pourrait ainsi exiger plus sur ses licences, étant donné qu’elle est aussi un fournisseur de puces dominant. Si un fabricant ne veut pas payer une licence, il ne peut pas utiliser les puces. Qualcomm ne vend pas non plus de licences aux fabricants de puces concurrents et regroupe aussi tous ses brevets. Au lieu de payer pour avoir le droit d’utiliser une seule technologie, le fabricant doit payer directement pour les brevets sur toutes les technologies réseautiques de Qualcomm.

Un détail intéressant ici, c’est que Qualcomm base ce forfait sur le prix du produit et pas sur celui du composant. Or les iPhone sont des produits coûteux. L’un des arguments avancés par Apple, c’est aussi de dire que Qualcomm ne doit pas être payée sur base de la valeur créée par Apple avec sa marque iPhone. Qualcomm fait de son côté observer qu’elle base son forfait sur un prix de vente de 400 dollars maximum et ce, même si le téléphone est vendu à un prix jusqu’à trois fois supérieur à ce montant. Pour un téléphone de 1.200 dollars, Apple verse donc le même montant en royalties que pour un modèle de 400 dollars. Dans la pratique, cela revient à dire que Qualcomm reçoit 7,50 dollars par iPhone pour l’éventail complet des brevets. Apple veut cependant verser 1,50 dollar par téléphone, ce qui correspond à un droit d’usage de 5 pour cent sur le coût du modem (de 30 dollars) intégré à l’iPhone. Qualcomm argumente en outre qu’elle est une importante pierre angulaire de l’économie réseautique actuelle et que nombre de fonctions des smartphones n’existeraient pas aujourd’hui sans sa recherche. Elle trouve donc logique le forfait réclamé sur ses brevets.

Encore et encore

Après qu’Apple ait intenté un premier procès à propos du remboursement d’un milliard de dollars de réduction non versé, l’entreprise demanda à ses fabricants, dont par exemple la firme taïwanaise Foxconn, de cesser de payer des droits de licence à Qualcomm, jusqu’à ce que toute cette affaire soit tirée au clair. Cette requête fut acceptée par les fabricants, ce qui incita Qualcomm à intenter à son tour un procès contre les fabricants en question, en mai 2017, pour non-paiement des droits sur les brevets.

En juillet 2017, ces fabricants portèrent eux-mêmes plainte contre Qualcomm, par laquelle ils accusaient l’entreprise d’abus de position dominante. Cette affaire antitrust fit des émules, puisque cela généra des enquêtes de la part des régulateurs en Corée du Sud, Taïwan, Chine, aux Etats-Unis et en Europe.

Qualcomm, de son côté, traîna Apple devant plusieurs tribunaux pour concurrence déloyale, violation de brevets et partage d’informations confidentielles avec Intel. Le procès portant sur les secrets industriels est encore en cours, mais Qualcomm en a récemment gagné deux autres portant sur la violation de trois de ses brevets à San Diego. Des procès similaires ont précédemment déjà conduit à une interdiction temporaire de la vente de certains modèles d’iPhone en Allemagne et en Chine.

Et c’est sans parler d’autres contentieux entre les deux parties. En général, ces divers procès de moindre importance sont toutefois considérés comme une sorte de préliminaire à l’affaire qui démarre aujourd’hui, la même que celle intentée par Apple en janvier 2017 et dont on attend donc le verdict depuis lors.

Conséquences possibles?

Cette affaire débute aujourd’hui avec la nomination d’un jury. L’on s’attend à ce que le procès dure quelque cinq semaines et que de grands noms tels que Tim Cool, le CEO d’Apple, et que Jeff Williams, CEO de Qualcomm, soient appelés à témoigner. Plusieurs milliards de dollars sont en jeu. Les fabricants d’Apple (dont Foxconn) exigent une compensation d’un montant de 9 milliards de dollars pour avoir versé trop de droits sur les brevets depuis 2013. De son côté, Qualcomm réclame une participation aux frais pour rupture de contrat et voudrait récupérer plusieurs milliards de dollars de paiements en retard.

Un jugement rendu en faveur d’Apple pourrait provoquer pas mal de migraines chez Qualcomm, car cela ouvrirait la porte à d’autres fabricants désireux d’exiger une diminution des droits sur les brevets. Le modèle commercial du fondeur de puces pourrait alors voler en éclats, étant donné que les droits sur les brevets constituent la principale source de revenus de Qualcomm.

Pour Apple, il est surtout important de trouver une solution rapide. L’entreprise utilise actuellement les puces-modems d’Intel dans ses appareils, mais Intel ne dispose pas de puces 5G. Si Apple veut proposer des vitesses 5G, elle a donc tout intérêt à enterrer la hache de guerre avec Qualcomm, même si Huawei (qui s’est depuis quelque temps mise à développer ses propres puces) a déjà subtilement proposé de fournir des puces 5G à Apple.

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