Comment Facebook entend sauver les élections (et elle-même)
Les produits de votre entreprise ont-ils déjà servi à manipuler des élections? Chez Facebook, la réponse est affirmative. Voilà pourquoi l’entreprise déploie à présent un maximum d’efforts pour éviter que des fausses nouvelles n’influencent les votes. L’opération s’appelle ‘sauvez la démocratie’, mais ne serait-ce pas aussi ‘sauvez Facebook’?
“Lors des élections américaines de 2016, nous avons réagi trop lentement et trop timidement, et nous le reconnaissons. Nous étions obnubilés par le terrorisme ou le ‘spear phishing’ (attaques d’hameçonnage individuelles ultra-ciblées, ndlr). Et nous n’avons de ce fait pas vu les fausses nouvelles, les comptes factices, voire la mise sous pression et la mystification des électeurs.”
Lors des élections américaines de 2016, nous avons réagi trop lentement et trop timidement.
Notre interlocuteur s’appelle Sean Evins, responsable ‘Politics & Government Outreach’ pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Facebook. Le réseau social admet de manière très honnête que lors des élections présidentielles américaines de 2016, des erreurs ont été commises, et qu’à l’approche des élections dans notre pays, il entend faire comprendre à la presse belge qu’il prend au sérieux son rôle de plate-forme de socialisation la plus populaire au monde. En résume, Facebook entend s’opposer sans tarder à la désinformation et aux comptes factices qui visent à saper le paysage politique.
Y aurait-il donc une menace concrète dans notre pays? Evins ne répond pas directement, mais il n’exclut pas qu’en Belgique, une bataille en ligne soit menée en prélude au 14 octobre. “Il existe toujours des menaces. Chaque pays n’en connaîtra certes pas, mais le danger de la désinformation est toujours là. Nous voulons surtout faire en sorte de l’identifier et de donner aux gens les moyens de le reconnaître.”
Comptes factices
Evins évoque certaines mesures prises par Facebook, comme l’approche des comptes d’utilisateur factices. Avant, cela n’arrivait que si quelqu’un dénonçait ce genre de chose. “Nous le faisons encore et toujours. Aujourd’hui avec quinze mille personnes, mais d’ici la fin de l’année, on sera vingt mille. Mais nous utilisons aussi l’apprentissage machine et l’AI. Nous identifions ainsi aujourd’hui 98,5 pour cent des comptes factices. De quelqu’un qui crée chez lui cent comptes, on en voit les modèles et nous les supprimons, avant même l’arrivée d’un premier ‘post’.”
Nous utilisons aussi l’apprentissage machine et l’AI. Nous identifions ainsi aujourd’hui 98,5 pour cent des comptes factices.
‘Fake news’ & ‘factchecking’
Supprimer, mais surtout réduire la désinformation est la deuxième priorité. “Dans certains pays, on voit apparaître des messages du genre: ‘si vous voulez voter pour tel parti, vous devez absolument vous rendre au bureau de vote’ ou ‘vous pouvez à présent aussi voter par courriel’. Ce type de message, nous allons le classer aussi bas que possible, afin qu’il soit jusqu’à quatre-vingts pour cent moins vu, ou bien nous allons le supprimer directement.”
Où réside la différence entre supprimer et rendre moins visible? “Nous allons vraiment supprimer le message s’il enfreint nos normes. Le message de haine est par exemple une cause de suppression. Mais si un message est à peine lisible, il manque de toute façon son but.”
La fausse nouvelle est plus ardue à juger. On ne lance pas un appel à tuer quelqu’un en affirmant qu’on peut aussi voter par SMS. Facebook veut pouvoir qualifier de canular (hoax) ce genre de message, de même que des photos et des vidéos. Aux Etats-Unis, le site social collabore dans ce but avec des vérificateurs de faits tels Snopes et Politifact.
Pas encore en Belgique
En France, Facebook collabore entre autres avec AFP, 20 minutes (le pendant de Metro), Libération (CheckNews), Le Monde (Décodeurs) et France 24 (Les Observateurs). Aux Pays-Bas, il s’agit de NU.nl
En Belgique, il n’y a pas encore de vérification de faits, du moins pas de la part de Facebook. L’entreprise négocie cependant avec divers partenaires belges locaux afin de lancer ce genre de programme. On ne sait pas encore si, et combien, des collaborateurs examineront spécifiquement les liens, photos, vidéos et autres messages postés belges. Facebook a en tout cas lancé une campagne publicitaire dans les journaux belges pour attirer l’attention des gens sur le combat à mener contre les fausses nouvelles.
Facebook vient expliquer qu’elle mène une lutte acharnée contre les fausses nouvelles. Mais elle n’a actuellement encore rien sorti de concret pour appréhender le problème localement.
Ce qui est étonnant, c’est que Facebook vient expliquer qu’elle mène une lutte acharnée contre les fausses nouvelles, qu’elle organise notamment pour les partis politiques et les médias un briefing en la matière. Mais elle n’a actuellement encore rien sorti de concret pour appréhender le problème localement. Et ce, même si elle y travaille.
Annonces politiques explorables
Autre point fort: la transparence. Aujourd’hui dans le cas d’une publicité Facebook, vous pouvez demander pourquoi c’est précisément vous qui la voyez. En même temps, Facebook signale quand une page a été créée et/ou qu’elle a changé de nom. “On observe que des comptes factices créent de fausses pages qui ciblent aujourd’hui la Suède, mais changent de nom le mois suivant et visent alors des citoyens français, puis turcs. Aujourd’hui, on peut voir quand une page change de nom”, explique Evins.
Aux Etats-Unis, quiconque souhaite insérer des publicités politiques sur Facebook, doit faire contrôler son identité et son adresse physique. Pour les Etats-Unis et le Brésil, il existe aussi une base de données qui conserve les publicités politiques pendant sept ans et permet de les explorer.
L’ambition est de faire pareil en Europe. “Nous ne pouvons pas encore le dire avec certitude, mais nous nous attendons à pouvoir en disposer ici aussi, de préférence d’ici mai de l’année prochaine” (les élections européennes, fédérales et flamandes sont fixées au 26 mai 2019, ndlr).
Les politiciens, ou leurs ‘social media managers’, sont du reste aussi informés par Facebook et ce, même s’il s’agit surtout de leur faire prendre conscience de l’importance de sécuriser leur compte contre les pirates, ou d’éviter qu’un ex-collaborateur ait encore accès aux canaux des médias sociaux.
Perturber et informer
Facebook insiste sur le fait qu’elle fait de son mieux, mais qu’elle est aussi consciente que dans le combat contre la manipulation via sa plate-forme, il n’y a pas de solution unique. “Dans chaque pays, nous avons une approche différente, d’autres types de collaboration. Parfois avec les autorités, des chercheurs ou des cellules de réflexion. Mais nous nous améliorons à chaque élection”, précise Evins.
De cette manière, on rappelle aux gens qu’il y a des élections. “En Belgique, ce n’est évidemment pas vraiment nécessaire, mais dans beaucoup de pays, ce sont les plus jeunes électeurs qui ne vont pas voter, et nous voulons donc éviter qu’ils soient erronément informés de la date exacte du scrutin.”
L’objectif de Facebook dans sa lutte est d’une part de perturber les personnes mal intentionnées en leur rendant la vie difficile sur le plan de la création massive de comptes factices, de la propagation de fausses nouvelles ou du jonglage avec de la propagande politique. D’autre part, le réseau social entend lui-même informer les utilisateurs.
“Aujourd’hui dans certains pays, nous lançons un avertissement, lorsqu’un utilisateur partage un lien, dont nous soupçonnons qu’il soit une fausse nouvelle. Même si les vérificateurs de faits (factcheckers) avec qui nous collaborons, ne le révèlent que quelques semaines plus tard, nous envoyons à chacun une mention signalant la présence d’un message complémentaire indiquant que ce que vous avez partagé, peut être incorrect.”
Le chemin belge est long
Facebook insiste sur le fait que ses efforts ne sont pas faciles et certainement pas parfaits. Mais elle apprend vite et espère qu’elle pourra à l’avenir empêcher la manipulation comme aux Etats-Unis, où il est apparu qu’une intervention russe avait favorisé l’élection de Donald Trump au poste de président.
La difficulté est péniblement soulignée, lorsqu’au moment d’écrire cet article, votre serviteur, journaliste flamand, tombe par hasard sur le page ‘Wouter Van Besien is een schijnheilig paterke‘ (Wouter Van Besien est un hypocrite). Une page qui envoie actuellement deux communiqués sponsorisés à HLN.be et au site de droite re-act.be, dans lesquels le chef de fil anversois du parti Groen est présenté de manière négative.
Ce massage est-il un faux? Pas nécessairement. Mais Facebook ne montre pas ici qui (ou quel profil) a créé la page, alors qu’il s’agit clairement d’une page visant un politicien ou un parti. De plus, on apprend dans ‘page info’ que la page a démarré le 3 janvier. Sous ‘info and ads’, la date devient subitement le 4 octobre. Il y a donc clairement encore un long chemin à parcourir.
Le sauvetage des élections ou de Facebook?
Le fait que Facebook invite des journalistes belges, est très exceptionnel, mais le message que l’entreprise lance, consiste surtout en une présentation générique qu’elle peut répéter dans chaque pays. Chez nous, elle est en tout cas encore loin de prendre les mêmes mesures qu’aux Etats-Unis par exemple.
C’est une bonne chose que Facebook surveille aujourd’hui sa plate-forme plus rigoureusement. Mais c’était absolument et urgemment nécessaire.
Cela nous amène à penser que Facebook n’entend pas tellement défendre la démocratie, mais surtout elle-même. L’entreprise affronte des politiciens mécontents et promet donc de renforcer ses règles. C’est une bonne chose que Facebook surveille aujourd’hui sa plate-forme plus rigoureusement. Mais c’était absolument et urgemment nécessaire, si elle veut à terme rester crédible et ‘aimée’ par l’opinion publique.
Les élections ne sont qu’un des aspects. C’est ainsi qu’il y aussi eu la fuite de données de 50 millions de comptes. L’Irlande examine si le GDPR a été en l’occurrence enfreint. Citons encore le départ des fondateurs d’Instagram suite à des divergences de vue avec Zuckerberg, mais aussi la nouvelle, selon laquelle Facebook collecterait aussi des infos que l’utilisateur n’a pourtant pas données et les transférerait à des annonceurs. Ajoutons encore une possible enquête en matière de concurrence aux Etats-Unis. Et nous nous limitons uniquement aux incidents de ces deux dernières semaines.
La bonne nouvelle, c’est que Facebook est bien consciente des dangers de sa plate-forme et réagit. La mauvaise nouvelle, c’est que le chemin à parcourir est encore long. Mais restons positifs et espérons que l’entreprise ne fera qu’amplifier ses efforts et que Facebook deviendra un jour une plate-forme fiable.
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