Salesforce investit massivement dans des agents d’IA qui assument les tâches routinières et assistent les employés. Mais que se passera-t-il, lorsqu’un algorithme deviendra votre nouveau collègue?
Vous avez sans doute déjà entendu le message véhiculé par Salesforce lors de sa conférence Dreamforce: l’entreprise agentique, c’est l’avenir. Dans le cadre de cette vision, humains et agents d’IA collaboreront harmonieusement. Mais au-delà des promesses technologiques, cela soulève des questions quant à l’impact humain. Qu’est-ce que cela signifie pour les employés et les managers qui devront accompagner cette transition Nathalie Scardino, Chief People Officer de Salesforce, et Denise Dresser, CEO de Slack – qui devrait devenir le système d’exploitation de tous ces agents d’IA – ont ébauché un avenir fait de requalification (‘reskilling’), de redéploiement et de refonte radicale des emplois lors de la conférence Dreamforce organisée à San Francisco.
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Selon Nathalie Scardino, à la tête des ressources humaines chez Salesforce, l’impact sera omniprésent et inévitable. ‘Chaque poste, y compris le mien et les vôtres, sont en cours de refonte’, a-t-elle déclaré lors d’une table ronde. Pour structurer cette transformation, son équipe utilisera une méthode appelée les ‘quatre R’: Redesign , Reskill , Redeploy et Rebalance. Tout d’abord, chaque fonction sera fondamentalement repensée au niveau des tâches. Ensuite, il y aura un besoin constant de recyclage (‘reskilling’). Cela conduira au redéploiement (‘redeploy’) des talents vers de nouvelles fonctions et enfin, il s’agira de trouver l’équilibre (‘rebalance’) entre les ressources humaines et la nouvelle main-d’œuvre ‘numérique’.
Il sera du devoir des RH de veiller à être à l’avant-garde de la collaboration homme-machine.
Un exemple concret est l’évolution du support engineer. Alors que ce rôle était historiquement axé sur la gestion d’un volume massif de demandes clients, l’Agent Force prend désormais en charge une grande partie de ces entretiens. ‘Désormais, ces support engineers devront se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée’, explique Scardino. ‘Qu’il s’agisse de configurer du code ou de se tourner vers des ‘fully deployed engineering activities’ (activités d’ingénierie entièrement déployées), comme des interventions sur site chez un client.’
Le professionnel des RH comme guide stratégique
Cette transformation obligera également le département RH à repenser en profondeur son rôle. L’objectif est d’éliminer la bureaucratie et la paperasserie pour consacrer davantage de temps aux discussions stratégiques sur les talents et à la dynamique humaine au sein de l’organisation. ‘Savez-vous qui est présent dans le bâtiment? Comprenez-vous ses motivations? Comment cernez-vous les compétences de l’équipe?’
Cela créera également des fonctions entièrement nouvelles dans son domaine, telles que des superviseurs d’agents et des spécialistes ‘agent and human workforce collaboration’. Scardino y voit une obligation claire pour ses collègues: ‘Je pense qu’il sera du devoir des RH de veiller à être à l’avant-garde de la collaboration homme-machine et ce, dès le début.’

Et qu’en est-il de la crainte de perdre son emploi?
Mais abordons aussi le sujet tabou: la crainte des pertes d’emplois, ou plutôt la tension qui plane sur tout débat à propos de l’IA sur le lieu de travail. D’un côté, il y a la vision optimiste de l’augmentation, où la technologie accroît le potentiel humain. De l’autre, il y a l’inévitable question des pertes d’emplois. Lors de Dreamforce, cette tension est devenue douloureusement évidente, lorsqu’un journaliste a évoqué la déclaration du CEO Marc Benioff le mois dernier, selon laquelle Salesforce ‘avait confié 4.000 postes de travail à des agents d’IA dans les domaines de la vente et du service à la clientèle’.
La réponse officielle de l’entreprise, exprimée par Nathalie Scardino, Chief People Officer, est qu’il ne s’agit pas de remplacement. ‘Dans ce cas spécifique, il n’est pas question de substitution, mais d’augmentation’, a-t-elle déclaré. Selon N. Scardino, les employés concernés sont principalement des support engineers qui ont évolué vers des postes à ‘plus haute valeur ajoutée’. ‘La moitié de nos postes vacants cette année ont été confiés à des talents internes’, a-t-elle ajouté. ‘Cela représente une augmentation de 22 pour cent par rapport à avant’, ce qui indique que Salesforce ne se contente pas de remplacer des emplois par l’IA.
Ne dites pas phase de licenciements, mais plutôt redéploiement
Le message est que le redéploiement remplace la phase de licenciements. Les employés ne sont pas licenciés, mais se voient attribuer de nouvelles fonctions mieux adaptées à la nouvelle réalité. ‘Il y a une disruption, c’est certain’, reconnaît Scardino, ‘et là où il y a disruption, il y a toujours la crainte de perdre son emploi’, comme pour établir un parallèle avec l’arrivée des tableurs. ‘Nous pensions tous que cela entraînerait la disparition de comptables. C’est l’inverse qui s’est produit. Nous en avons davantage, qui effectuent des tâches à plus haute valeur ajoutée.’ La clé, selon elle, est de mettre nettement l’accent sur le recyclage. Chez Salesforce, chaque employé doit acquérir des compétences en IA. Sans un ‘agent blazer innovator patch’, il est même impossible d’avoir accès à la dernière réunion de direction, apprend-on encore.
Comment les employés rencontreront-ils leurs collègues virtuels?
Dans cette nouvelle réalité du travail, l’interface sera également cruciale. Où les employés et leurs collègues numériques se rencontreront-ils? Et comment l’interaction se passera-t-elle? Selon Denise Dresser, CEO de Slack, c’est là précisément le rôle que sa plateforme jouera au sein de l’écosystème Salesforce. Elle prévient que l’application de l’IA sur des processus existants et distincts ne fera qu’accroître le chaos cloisonné (‘silo chaos’). Elle estime que Slack devra devenir le ‘système d’exploitation agentique’, le hub central où tout converge. La raison, selon elle, réside dans une évolution fondamentale des attentes des utilisateurs. ‘Les gens veulent travailler de manière conversationnelle. Ils ne veulent plus passer des formulaires aux onglets, et saisir des données’, explique Dresser. ‘Ils veulent simplement commencer leur journée en se demandant: sur quoi dois-je me concentrer aujourd’hui?’
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L’anatomie de l’entreprise agentique
Au-delà de l’impact sur les emplois individuels, Salesforce présente également un modèle stratégique pour la structure d’une organisation pilotée par l’IA. L’équipe Salesforce Futures – un groupe de réflexion stratégique interne – introduit ainsi le concept ‘autonomic core’ qu’elle compare au corps humain. Des fonctions comme la respiration et le rythme cardiaque se font de manière autonome, sans que nous y pensions consciemment. Cela nous permet de concentrer notre attention sur des questions plus complexes qui nécessitent une capacité de jugement. De même, une ‘entreprise agentique’ disposera d’un noyau (‘core’) autonome où les processus familiers s’exécuteront de manière entièrement automatisée, grâce à des agents d’IA. L’équipe présente une autre analogie: celle d’un motel économique par rapport à un hôtel de luxe. Un motel peut fonctionner presqu’entièrement sur un noyau autonome: enregistrements automatisés, robots de nettoyage, processus standardisés. Un hôtel de luxe, en revanche, nécessitera toujours une présence humaine beaucoup plus importante pour le service de conciergerie, l’empathie et la gestion des demandes complexes et imprévues.
Ce noyau autonome communique ensuite avec la couche humaine via des ‘learning loops’ (boucles d’apprentissage). Il s’agit de mécanismes de rétroaction qui récupèrent les signaux du noyau, lorsqu’un jugement humain est requis. Pour les managers, cela soulève deux questions fondamentales: à quel moment précis un processus ou une tâche est-il/elle suffisamment fiable pour être transféré(e) vers le noyau autonome? Et quels signaux, escalades ou moments d’apprentissage doivent être ramenés de ce noyau vers les employés humains? Voilà pour les les questions: les réponses devront principalement provenir de la pratique.
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