Logiciels espions: la commission d’enquête Pegasus réclame un cadre strict

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La commission d’enquête du Parlement européen sur le recours, par les États, à des logiciels espions du type Pegasus ou Predator, a clos ses travaux lundi en appelant à la mise en place d’un cadre strict pour mettre fin aux abus des gouvernements, dont certains sont particulièrement visés.

Les votes du rapport et des recommandations finales, acquis en fin de journée à de très larges majorités, interviennent près de deux ans après les révélations du collectif de journalistes Forbidden Stories sur l’emploi massif de ces logiciels de conception israélienne à l’encontre de journalistes, de défenseurs des droits humains, d’avocats, d’opposants politiques et d’hommes et femmes politiques.

Des pays comme la Pologne ou la Hongrie, déjà dans le collimateur de l’UE pour leurs atteintes à l’État de droit, sont particulièrement pointés du doigt. En Hongrie, le recours aux logiciels espions “a fait partie d’une campagne stratégique et calculée du gouvernement pour détruire la liberté de presse et d’expression”. En Pologne, “l’utilisation de Pegasus a participé à un système de surveillance de l’opposition et des critiques du gouvernement, afin de maintenir la majorité au pouvoir”, selon le rapport.

L’Espagne (notamment pour des séparatistes catalans exilés en Belgique) ou la Grèce sont également épinglés. Concernant le chapitre sur la Grèce, en particulier, les socialistes (S&D) ont reproché au PPE de protéger le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, dont le parti est éclaboussé par un vaste scandale lié à la mise sur écoute de centaines de personnalités, dont le dirigeant du parti socialiste Pasok-Kinal. Dans une affaire distincte, des hommes d’affaires de premier plan et des journalistes auraient également été mis sous surveillance via Predator.

Au final, le rapport de compromis convient que l’utilisation de logiciel espion dans ce pays “ne semble pas faire partie d’une stratégie autoritaire globale”, mais souligne qu’il a été utilisé au cas par cas pour des “gains politiques et financiers”. Athènes est appelée à “restaurer d’urgence et renforcer les garde-fous institutionnels et légaux”.

Mais en fait, aucun pays ne se prive de la possibilité de recourir à de tels logiciels pour sa sécurité nationale, avait indiqué la rapporteure Sophie In ‘t Veld (Renew), en soulignant la non-coopération des États aux travaux de la commission d’enquête.

La Belgique n’est pas absente du rapport, puisqu’en septembre 2021, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne avait reconnu que Pegasus pouvait être utilisé par les services de renseignement “de manière légale”, sans fournir davantage de détails.

Le rapport aborde aussi les ingérences étrangères. Il mentionne ainsi le Maroc et le Rwanda comme utilisateurs de Pegasus contre des “cibles” en Belgique et ailleurs. Parmi plusieurs “cibles” de haut rang comme le président français Emmanuel Macron, Charles Michel, quand il était Premier ministre, et son père Louis Michel, quand il était eurodéputé, auraient été ciblés par le Maroc. Quant au commissaire européen à la Justice Didier Reynders, la Commission maintient que la tentative de piratage de son téléphone par Pegasus a échoué.

Dans leurs recommandations (non contraignantes), les membres de la commission “PEGA” exhortent les États membres à révoquer toutes les licences de vente de logiciels espions qui ne sont pas conformes au nouveau règlement de l’UE sur les biens à double usage.

Les gouvernements devraient dès lors prouver que l’utilisation des technologies de surveillance, même dans les cas de sécurité nationale, respecte pleinement les droits de l’homme et les conditions de l’État de droit (proportionnalité, contrôle judiciaire, etc.). La Commission européenne devrait évaluer le respect de ces exigences par les États membres et publier ses conclusions dans un rapport au plus tard le 30 novembre.

Pas de moratoire comme le réclamait la rapporteure donc, mais pour Saskia Bricmont (Ecolo, Verts/ALE), ce cadre, qui “doit être en place pour la fin de l’année, correspond de facto à un moratoire”.

Les députés souhaitent aussi la création d’un laboratoire technologique européen, sorte d’institut de recherche indépendant ayant le pouvoir d’enquêter sur la surveillance, et de fournir un soutien juridique et technologique aux citoyens. Ils proposent aussi un fonds européen de règlement des litiges pour soutenir les victimes de logiciels espions.

Ce rapport “aurait pu être plus ambitieux sur certains aspects”, reconnaît Saskia Bricmont, coordonnatrice de son groupe sur ce sujet. Elle estime toutefois qu’il s’agit d’une étape clé pour établir les responsabilités, apporter des réponses aux victimes et éviter qu’un tel scandale ne se reproduise.

Membre suppléant de PEGA, Tom Vandenkendelaere (CD&V, PPE) s’est réjoui de l’adoption du rapport. Il a souligné le besoin pour les États membres d’outils efficaces pour protéger leur sécurité nationale. “Mais les logiciels espions ne doivent pas être utilisés comme une arme aveugle contre la démocratie, les institutions, les politiciens ou les journalistes.”

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