La quête du vêtement ‘ultime’

Jasna Rokegem: " Mon vêtement ultime doit non seulement pouvoir changer de forme et de couleur, mais aussi être capable de réagir aux stimuli émotionnels et physiques, comme le stress ou la température. " © Kyky Kong Kong

Des vêtements qui traduisent vos émotions de manière visible et sensible? Voilà qui peut paraître futuriste. Mais la chercheuse et designer Jasna Rok entend faire de la science-fiction une science-réalité.

S’il est un secteur dont on attend qu’il reflète son temps et soit même en avance sur lui, c’est bien celui de la mode. Ainsi, Jasna Rokegem, la source d’inspiration et la locomotive de Jasna Rok, est non seulement très en avance sur son époque, mais aussi sur son secteur. Pas étonnant d’ailleurs que ‘rêver grand’ soit son leitmotiv. Au point qu’elle ambitionne de concevoir le vêtement ultime, celui qui rendra tous les autres superflus. Ce vêtement des vêtements doit être différent tant dans sa forme que sa couleur et ne devra plus être lavé. Et, last but not least, il devra pouvoir réagir aux stimuli émotionnels et physiques, comme le stress ou la température.

Les vêtements interactifs traduisent vos sentiments en temps réel sous forme de couleurs et de formes.

Trop beau pour être vrai? Jasna Rokegem prend pour exemple le smartphone. Qui aurait un jour imaginé qu’un tel appareil puisse faire tout ce qu’il permet aujourd’hui, que ce soit téléphoner ou payer, sans que personne ne se pose plus aucune question? S’il est aujourd’hui évident que le smartphone s’est imposé à tous, il sera évident demain que le vêtement intelligent prendra place demain dans notre garde-robe, estime la pionnière de la ‘fashion tech’.

Au-delà de l’utopie

Rêver grand est une chose. Mais transformer ce rêve en réalité exige connaissances et compétences, outre une extrême persévérance. D’emblée en effet, Jasna Rokegem a perçu l’importance cruciale de la technologie et de la science, deux disciplines complémentaires qui se sont révélées indispensables pour traduire ses idées innovantes et – du moins dans le monde de la mode – peu orthodoxes en prototypes opérationnels avant de les réaliser concrètement.

Heureusement, elle a pour ainsi dire été biberonnée aux sciences et à la technique, d’où sa fascination. “Mon père était dans la mécanique du fait de son métier et me voyait devenir ingénieure. Or mon coeur battait pour la mode.” Du coup, la jeune Jasna opte pour une formation de 4 ans en conceptrice de mode à l’académie Willem de Kooning de Rotterdam. “Mais enfant déjà, j’étais également attirée par la technique. C’est ainsi que j’ai très rapidement appris à souder, un savoir qui me vient aujourd’hui encore bien à point dans mes créations.”

Alors qu’elle suit toujours ses études de modiste, Jasna Rokegem combine différentes compétences, souvent à la véritable surprise et la grande incrédulité de ses professeurs et condisciples. Elle associe sciemment mode avec science et technologie, convaincue qu’elle est de la possible fertilisation croisée entre ces disciplines et persuadée que le tout sera supérieur à la somme des parties. En l’occurrence, le point de départ a toujours été une idée créative ou un concept original. “A ce point original d’ailleurs que presque personne ne l’avait jamais essayé. C’est ainsi que vous pouvez imaginer la réaction lorsque j’ai proposé de présenter comme travail de fin d’études la première collection au monde capable de changer automatiquement de couleur. Et qui, par-dessus le marché, se baserait sur les ondes cérébrales du porteur du vêtement. Dans un premier temps, beaucoup ont pensé que j’étais folle. Or je dois admettre que ce terme ne fait pas partie de mon vocabulaire”, sourit la jeune entrepreneuse.

Les ondes cérébrales dictent la mode

Cette première collection interactive, baptisée ‘Fashion on Brainwaves’, a d’emblée donné le ton. Un casque doté de capteurs cérébraux enregistre l’activité du cerveau et transmet ces données via Bluetooth à des microcontrôleurs apposés à la surface du vêtement. Ceux-ci traduisent vos sentiments en temps réel sous forme de couleurs et de formes sur le vêtement. Ce qui donne un vêtement qui réagit aux émotions. En changeant la couleur et la forme, le vêtement communique vos émotions à votre entourage, ce qui ajoute une dimension supplémentaire aux interactions sociales et à la communication avec l’environnement proche.

“‘Fashin on Brainwaves’ a été mon premier succès majeur”, se souvient encore Jasna Rokegem. D’ailleurs, elle a même pu présenter son projet de fin d’études ambitieux à l’Amsterdam Fashion Week. “Les réactions des visiteurs étaient à ce point positives que j’ai directement envisagé de lancer ma propre affaire. Le lendemain, le 19 janvier 2016, Jasna Rok voyait le jour. Du coup, 2021 sera une année de fête puisque nous soufflons nos 5 bougies.”

Franchir le pas de l’entreprenariat

Au vu de ce succès rapide, le premier projet de ‘fashion tech’ de Jasna Rokegem a clairement marqué la première étape sur la voie de l’entreprenariat. “Entre-temps, j’ai déménagé – pas par hasard – à Anvers, en partie pour des raisons personnelles, mais aussi parce que la métropole est La Mecque de la mode dans notre pays.” Au départ de son nouveau havre, la conceptrice de mode innovante a depuis lors poursuivi ses travaux de pionnière.

Interrogée sur le modèle commercial de Jasna Rok, la jeune entrepreneuse cite un exemple pris de l’étranger, le Studio Roosegaarde, un studio de conception basé – non moins sans surprise – à Rotterdam. “Tous nos revenus proviennent des services. Nous ne vendons pas de produits, même pas de vêtements. Et nous travaillons uniquement pour des entreprises, purement en B2B donc.” En marge de ces services, Jasna Rok propose aussi des présentations, des formations et de la consultance en innovation. Reste que le coeur de l’offre du labo de design est composé de projets de ‘fashion tech’ réalisés en cocréation avec notamment des villes comme Anvers, des marques telles que Nokia et des partenaires académiques dont UGent et UAntwerpen.

“Pour la réalisation de tels projets, nous collaborons aussi fréquemment avec des partenaires qui partagent notre vision et apportent leur propre expertise pointue”, dixit encore Jasna Rokegem. Et de citer l’exemple de Nanex et de Soulmade Media, des spécialistes belges respectivement en nanotechnologie et en réalité augmentée. “Avec Nanex, nous travaillons pour l’instant sur le développement de vêtements qui ne se saliraient pas et qu’il ne faudrait donc plus laver. Ce faisant, ces vêtements s’useraient moins, sans oublier les économies d’eau et d’électricité, outre la réduction des rejets de détergent dans la nature. Du coup, nous participons à un avenir plus durable.” Parmi les autres technologies innovantes que l’entreprise envisage d’intégrer à ses vêtements, Jasna Rokegem cite les LED, les impressions 3D, la robotique et la pneumatique.

Vêtement intelligent émotionnel

Dans le cadre de son dernier projet à succès réalisé avant la crise du coronavirus, Jasna Rok a ajouté la technologie vocale à l’éventail de ses solutions. Sous le nom ‘(Re)Connect’, l’entreprise a mis au point le premier vêtement intelligent émotionnel au monde, capable de traduire au départ de la voix humaine les émotions en couleurs et en formes sur les vêtements, tout en étant en mesure de faire sentir ces émotions – par exemple sous forme de vibrations. Pour ce projet, Jasna Rokegem a collaboré durant 3 ans avec Nokia Bell Labs en qualité d”artiste en résidence’. Le projet l’a notamment amenée au Centre spatial de la Nasa à Houston. Comme quoi, ‘the sky is the limit’ pour la pionnière belge de la technologie.

Avec '(Re)Connect', Jasna Rokegem a mis au point le premier vêtement intelligent émotionnel au mode. Un projet qui l'a notamment amenée au Centre spatial de la Nasa à Houston. © Carmina Mortillaro
Avec ‘(Re)Connect’, Jasna Rokegem a mis au point le premier vêtement intelligent émotionnel au mode. Un projet qui l’a notamment amenée au Centre spatial de la Nasa à Houston. © Carmina Mortillaro

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