‘Il ne faudrait pas considérer l’IA comme une baguette magique’

Professeur Luc De Raedt: Luc De Raedt : " Au-delà de l'apprentissage, il faut du raisonnement. Une véritable solution d'intelligence artificielle s'appuie sur ces 2 piliers. " © .

Que l’IA soit en plein développement, tout le monde en conviendra. ” Au cours des 30 dernières années, nous n’avions encore jamais connu un tel engouement “, estime Luc De Raedt. Dans le même temps, le professeur de la KU Leuven met en garde contre le risque de désillusion. ” Un été chaud risque de déboucher sur un hiver froid. Nous devons nous méfier d’attentes exagérées. L’IA n’est pas la réponse à toutes les questions. “

L’intelligence artificielle et l’apprentissage machine sont les termes en vogue du moment, comme le montre le succès de foule lors de l’inauguration de l’EluciDATA Lab, le labo de données et IA de Sirris. Cette organisation sans but lucratif supporte les entreprises innovantes de l’industrie technologique en leur offrant de l’expertise et des infrastructures de test. ” L’IA est d’ores et déjà utilisée dans le secteur financier et la publicité, indique Herman Derache, directeur général de Sirris. Mais désormais, l’industrie est prête à déployer cette technologie. ” Sirris a travaillé ces 10 dernières années sur différents projets d’IA en partenariat avec quelques ‘very early adopters’. L’organisation dispose d’une équipe de 10 spécialistes qui imaginent, avec les entreprises, de nouvelles solutions d’IA. ” Le délai d’incubation de l’IA est dépassé “, considère encore Herman Derache. Sirris s’attend à relativement court terme à une percée des applications d’IA dans l’industrie, et notamment l’industrie manufacturière où divers processus et produits pourraient exploiter l’IA. Un autre précurseur est le secteur du logiciel où des algorithmes basés sur l’IA autorisent de nouveaux types d’innovation.

Fuite de cerveaux

” Certes, le domaine n’a rien de nouveau, fait remarquer Luc De Raedt, professeur au département des sciences informatiques de la KU Leuven. L’université propose depuis 30 ans déjà un mastère en intelligence artificielle. ” Reste que l’intérêt n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui. ” Le nombre d’étudiants explose. L’IA est vraiment très populaire, même au niveau de la formation post-mastère. ” Louvain héberge en outre pas mal de recherches en matière d’IA, d’apprentissage machine, de réseaux neuronaux et de traitement linguistique. ” Du coup, la Belgique a une bonne réputation dans le domaine de l’IA, ajoute Luc De Raedt. Mais dans le même temps, l’intérêt manifesté pour l’IA suscite des attentes très importantes. ” Mais pour en arriver à des solutions concrètes et pratiques, les entreprises ont aujourd’hui encore besoin de compétences très spécialisées, tant au niveau de leur propre secteur que de l’IA. Sans parler encore du besoin de disposer de données correctes, un carburant indispensable dans la plupart des projets d’IA.

Le défi majeur pour l’industrie consiste à attirer les profils disposant des connaissances nécessaires en IA. ” Des entreprises comme Google, Apple, Amazon et Facebook investissent vraiment massivement, analyse encore Luc De Raedt. Il y a une importante fuite de cerveaux vers le Royaume-Uni et les Etats-Unis. De même, nous constatons que la France et la Suède investissent beaucoup dans l’IA. Il est vraiment important de pouvoir conserver ici les bonnes personnes – et leurs compétences – afin de pouvoir voir éclore des start-up et des spin-offs. ” De même, la législation joue un rôle important. C’est ainsi que le RGPD a un impact majeur sur les applications IA qui traitent des données personnelles. La différence avec la Chine et la Russie – qui sont toutes deux très actives dans l’IA – saute aux yeux. ” Lorsque l’on voit comment les autorités chinoises utilisent les caméras et de la reconnaissance faciale, on ne peut que se réjouir de la législation européenne, estime Luc De Raedt. Même si celle-ci pourrait peut-être être perçue comme un frein. ”

Le défi de l’IA : apprendre aux machines à raisonner

Au niveau de l’IA, l’accent est désormais mis surtout sur l’apprentissage machine. Mais cette approche ne constitue pas forcément la solution à tout. ” Au-delà de l’apprentissage, il faut du raisonnement, insiste Luc De Raedt. Une véritable solution d’intelligence artificielle s’appuie sur ces 2 piliers. ” L’étape suivante nécessaire de l’IA consistera à faire converger l’apprentissage et le raisonnement. ” Aujourd’hui, l’IA est comme un été chaud, fait remarquer Luc De Raedt. Mais le risque existe que l’on soit déçu demain. ” Ce qui nous vaudrait un hiver rigoureux ” Pour éviter la déception, il faut que le champ d’action reste suffisamment large. Nous ne devons certainement pas nous laisser obnubiler par le ‘deep learning’ seulement. L’importance de la ‘data science’ doit par ailleurs augmenter, notamment via son automatisation. ” Pour Herman Derache, l’étape logique suivante est celle de l’IA explicable. ” Dans ce cas, l’application peut aussi expliquer pourquoi elle a pris telle ou telle décision, ” ajoute-t-il. Ce qui implique du raisonnement.

” La voiture autonome est une belle preuve de l’importance du raisonnement machine, considère encore Luc De Raedt. La voiture que je possède peut très bien reconnaître les panneaux de signalisation, mais elle ne peut pas encore vraiment raisonner. ” Si la voiture circule sur une autoroute et détecte un panneau signalant que la vitesse maximale est de 50 km/h, elle doit également comprendre le contexte, à savoir que le panneau est destiné à celui qui prend la sortie, pas celui qui reste sur l’autoroute. ” Une voiture vraiment autonome doit pouvoir faire ce type de raisonnement, tout en respectant le code de la route, en tenant compte des autres usagers et de leurs réactions éventuelles. Si l’on prend en compte tous ces aspects, une voiture autonome à Bruxelles ou Paris n’arrivera pas aussi vite que nous ne le pensons. ”

Potentiel énorme

Pourtant, force est d’admettre que l’IA est désormais incontournable. Toujours selon le professeur De Raedt, la poursuite du développement de la technologie aura un impact tout aussi majeur sur l’industrie que la généralisation de l’électricité. ” L’IA s’impose dans chaque secteur, précise-t-il. Dans un premier temps, nous verrons apparaître des assistants intelligents pour des tâches spécifiques et bien définies. Reste que le potentiel est énorme. Dans le même temps, le domaine est à ce point vaste qu’une entreprise aura intérêt dans la pratique à commencer par des projets de petite taille et ciblés. ”

Pourtant, le professeur a tenu à tempérer les attentes face au public de Sirris qui assistait à sa présentation. ” Il ne faudrait pas considérer l’IA comme une baguette magique. Les entreprises ne doivent pas se laisser aveugler par l’effet de mode actuel. ” Car le déploiement de l’IA exige une grande rigueur. ” Une simple formation en ligne ne suffit vraiment pas pour devenir expert en IA. ”

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