Entrepreneures : changer les mentalités

Les femmes représentent une petite minorité des entrepreneurs, surtout au niveau des investissements en capital-risque. Et même si cette minorité est en progression chaque année, l’augmentation n’est que très lente.

Quel est le profil-type d’un fondateur de start-up ? Un jeune en baskets sous son costume ? Et un capital-risqueur, un ‘business angel’ ou autre investisseur à risque ? Il y a de fortes chances, statistiquement parlant, qu’il se présente dans un style plus classique, sans les baskets, mais avec des chaussures à lacets italiennes.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aux Etats-Unis, les femmes fondatrices d’entreprise ont récolté quelque 3,3 milliards $ d’investissements, un montant qui correspond à 2,8% de l’ensemble des fonds investis cette année outre-Atlantique, selon le site spécialisé PitchBook. Ce montant est en hausse par rapport à l’année précédente puisqu’en 2018, 3 milliards $ étaient investis dans des entreprises dirigées par des femmes, contre 2,1 milliards $ en 2017, soit à l’époque 2,2% de l’ensemble des capitaux d’investissement aux Etats-Unis.

A l’échelle mondiale, les chiffres de Crunchbase, une base de données des levées de fonds, indiquent que sur les 10 premiers mois de 2019, quelque 20 milliards $ ont été investis dans des start-up (co)fondées par des femmes, soit 3% des capitaux d’investissement globaux, contre 10% pour des sociétés fondées par des hommes et des femmes.

” Globalement, il y a nettement moins de femmes que d’hommes dans ce secteur “, précise Charlotte Greant de Scale-Ups.eu, une organisation de promotion de l’entreprenariat. Et si les choses s’améliorent, ce n’est que lentement. ” Peut-être est-ce dû au fait que les femmes prennent en moyenne moins de risques. Une femme saisira moins vite l’occasion. ” Les investisseurs ont à ce niveau un rôle important. Le profil de l’homme blanc n’aide en tout cas pas. ” Les hommes investissent dans des hommes qui leur ressemblent. Un groupe d’investisseurs hétérogène investira son argent de manière beaucoup plus hétérogène. ”

Investir autrement

Au niveau des investisseurs, le fossé reste également important. Selon une analyse d’Axios (à nouveau aux Etats-Unis), quelque 10% des décideurs dans les sociétés d’investissement étaient des femmes en 2019. Il s’agit là à nouveau d’une légère augmentation par rapport aux années précédentes puisqu’en 2018, le nombre de femmes investisseurs était de 8,93%, contre 7% en 2017. La situation apparaît comme plus grave encore si l’on s’intéresse à d’autres minorités, même si les chiffres sont ici nettement plus difficiles à trouver.

L’investisseur type est donc en effet un homme blanc, il y a moins de femmes fondatrices et celles-ci bénéficient proportionnellement de moins d’investissements. ” En partie sans doute parce que les hommes – inconsciemment – regardent différemment les entrepreneurs femmes. Notamment en raison des préjugés réciproques et des modèles classiques. Les investisseurs posent d’autres questions aux CEO femmes et celles-ci se présentent différemment. Chez les hommes, ils s’interrogent sur la croissance potentielle, chez les femmes sur les risques d’échec “, constate Eline Talboom, cofondatrice de WeAreJane, le premier fonds d’investissement belge spécifiquement axé sur les entreprises (co-)fondées par des femmes.

Entreprises en croissance

Reste que WeAreJane s’efforce aussi de faire changer les mentalités en investissant du capital-risque dans des entreprises où les femmes sont (co-)fondatrices et que celles-ci dirigent. Il s’agit de sociétés en croissance, bénéficiaires et dont le chiffre d’affaires est au minimum de 1,5 million ?. ” Il existe déjà de nombreuses initiatives pour les start-up, estime encore Talboom. Dans cette phase initiale, l’argent est suffisamment disponible, mais cela devient plus difficile par la suite. Nous sommes à mon avis la seule société d’investissement en Belgique à avoir cette stratégie. ” Personnellement, Talboom a longtemps travaillé pour la société d’investissement GIMV où elle gérait, en partenariat avec Muriel Uytterhaegen (cofondatrice de WeAreJane), un fonds pour sociétés en croissance.

La décision de voler de ses propres ailes a été prise notamment après des discussions avec des entrepreneures qui appréciaient de négocier avec deux femmes. ” Nous n’y avions jamais pensé, ajoute Talboom, mais le seuil pour récolter du capital extérieur est difficile à franchir pour nombre de femmes. Nous voulions abaisser ce seuil et apporter non seulement un investissement, mais aussi de l’expertise. ”

WeAreJane n’est pas le premier fonds d’investissement à cibler les femmes. Aux Pays-Bas par exemple, on trouve le Borski Fonds, et aux Etats-Unis le bien nommé Female Founders Fund. Mais il s’agit de la première société à avoir cette spécialisation en Belgique. Pour ce fonds, l’entrepreneur en série Conny Vandriessche a été sollicité, lequel a d’emblée considéré WeAreJane comme une évidence. L’entreprise a débuté sa collecte de fonds en juin 2018 et a conclu son premier tour de table financier un an plus tard. Au terme d’un second financement en décembre dernier, l’entreprise dispose désormais de 53 millions ?. ” Nous avons déjà investi dans une première entreprise, Medipartner, active dans l’externalisation de délégués commerciaux. Celle-ci est dirigée par une femme CEO, génère quelque 4 millions ? de chiffre d’affaires et est en croissance. Elle s’inscrit dans notre cible et nous entendons bien collaborer avec l’équipe pour doubler le chiffre d’affaires dans les prochaines années. ”

Co-working au féminin

Il existe différentes manières de stimuler l’entreprenariat féminin : investissements, coaching, orateurs motivants, etc. Les initiateurs de Womanly s’efforcent pour leur part de trouver les meilleurs bureaux. Ainsi, ils ont fondé leur premier espace de co-working dédié aux femmes (mais où les hommes sont évidemment bienvenus).

L’entreprise se profile comme un outil de développement pour l’entreprenariat, en partie grâce au réseau et aux collaborations qu’il stimule, explique Marie Buron, fondatrice et directrice générale de Womanly. ” L’idée est de rassembler les différentes compétences des différents membres. ” Par ailleurs, Womanly entend proposer des services (facturés) pour réduire la charge de travail des entrepreneures. Et notamment les conseils de comptables, ‘business angels’, juristes et traducteurs, mais aussi des cours de sport ainsi que notamment des services de repassage et de lessive. ” Ces services viennent à vous et pas l’inverse “, insiste Buron. Le premier espace de travail ouvre ses portes ce mois-ci à Watermael-Boisfort avec une dizaine de membres.

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