Les HR-Tech belges sur le terrain

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Melanie De Vrieze Freelance

Les start-up HR-Tech développent des solutions permettant d’organiser plus efficacement le recrutement et le bien-être au travail. «L’IA ne résoudra pas la guerre du talent, mais elle permettra de consacrer plus de temps aux interactions humaines.»

La Belgique compte quelque 150 start-up actives dans le domaine la HR-Tech. Toutes ces entreprises se concentrent sur différentes facettes des ressources humaines. Avant la pandémie, leurs principaux terrains d’action étaient les procédures administratives, la formation et le développement, et le recrutement. En outre, certaines de ces entreprises proposent des solutions en matière de santé et de bien-être, d’avantages salariaux, de conseils et de coaching, de mobilité interne et de sécurité au travail.

Selon Frederik Tibau, Expert Digital Innovation & Growth chez Agoria, tout ce qui a trait à la formation et au développement des compétences est aujourd’hui en plein essor. Le bien-être général a également gagné en importance depuis la crise sanitaire, comme la prévention du burn-out, l’implication des collaborateurs et l’empowerment. Lors d’un récent événement consacré aux HR-Tech à Anvers, la moitié des start-up venues présenter appartenaient à cette catégorie. Les systèmes qui facilitent le travail hybride sont relativement nouveaux. Comment gérer et suivre des collaborateurs de plus en plus dispersés? Comment s’assurer que tous les regards restent pointés dans la même direction, que tout le monde puisse réellement travailler ensemble?

Tout le monde veut voir ce que vous avez fait, alors que nous vous demandons ce que vous voulez faire.

Recrutements

Le recrutement est l’un des grands champs d’activité du HR-Tech. La plateforme numérique de Karamel soutient les individus tout au long de leur carrière. Karamel relie des candidats à des fonctions de façon totalement anonyme, afin de permettre à des entreprises de se présenter aux candidats. «Effectivement, c’est le monde à l’envers», sourit le fondateur Arnaud Deveugle. Il a eu cette idée quand après avoir lui-même traversé une période de bore-out, il s’est rendu compte que la recherche d’un job approprié n’avait rien d’agréable.

«Il est souvent difficile à un candidat de savoir quel emploi lui convient. En outre, les entreprises ne sont pas toujours conscientes des compétences requises pour certains postes, ce qui entraîne des mismatches sur le marché du travail», explique Arnaud Deveugle. «Tout le monde épluche votre CV pour voir ce que vous avez fait. Notre plateforme, en revanche, vous demande ce que vous voulez faire. Nous aidons les candidats à établir un profil de compétences dans lequel ils présentent ce qu’ils savent faire et identifient les compétences qu’ils souhaitent exploiter ou acquérir. Cela fait un monde de différence.»

Pour les entreprises, c’est une autre façon d’envisager les talents. «Des directeurs de ressources humaines nous expliquent qu’ils souhaitaient appliquer ce principe depuis longtemps, mais ne disposaient pas d’outils ou de plateformes pour les aider. Pour eux, une telle solution s’inscrit dans une vision à long terme. Les entreprises qui cherchent à recruter immédiatement ne sont pas à la bonne adresse chez nous. C’est également la raison pour laquelle vous ne trouverez pas d’offres d’emploi limitées dans le temps sur notre plateforme, mais plutôt des profils d’emploi qui restent en ligne en permanence. Les employeurs peuvent ainsi inspirer le marché du travail et expliquer directement aux candidats les compétences qu’elles recherchent.»

Un autre aspect unique de la plateforme est l’utilisation du «coffre-fort» numérique de Solid, qui permet aux candidats de contrôler leurs propres données. «Ce sont eux qui décident avec qui ils veulent partager leurs données. De plus, ils reçoivent des crédits à chaque fois qu’ils le font. Ils peuvent ensuite utiliser ces crédits sur la plateforme pour passer de nouveaux assessments ou, à terme, des formations. L’apprentissage tout au long de la vie est ainsi au cœur de la plateforme.»

La plateforme Karamel est notamment utilisée par imec. «Pour nous, l’intérêt de Karamel réside dans le fait qu’ils se concentrent sur la motivation intrinsèque des talents, pas uniquement leur expérience professionnelle antérieure», explique Axelle Bombay, Talent Acquisition Officer chez imec. «C’est essentiel sur un marché du travail où l’amélioration des compétences ne cesse de gagner en importance.»

Motivation intrinsèque

Kazi aussi souhaite combler le gouffre qui sépare les talents des employeurs afin que les entreprises gagnent en efficacité dans le recrutement et la rétention. «Selon une enquête Gallup, un salarié sur deux souhaite changer d’emploi au cours de la première année», explique Lenny Benaïcha, Chief Growth Officer chez Kazi. «La raison principale est ce que l’on appelle le fossé des attentes. En d’autres termes, le job réel ne correspond pas tout à fait à la façon dont l’entreprise l’a «vendu».»

Pour relever ce défi, Kazi a mis au point le premier scanner d’attentes bilatéral au monde. Une technologie mise au point par le centre de psychodiagnostic du Thomas More University College et l’Associatie KU Leuven. «Notre technologie combine donc fondation scientifique et validation académique. D’une part, nous nous concentrons sur le talent, qui ne peut pas toujours exprimer facilement comment il préfère travailler, tant individuellement qu’en équipe. Et du côté des ressources humaines, il n’est pas toujours facile de l’interroger sur ce sujet. Notre analyse facilite donc la circulation des talents et identifie les personnes adéquates pour des équipes et des projets donnés.» Les entreprises utilisent la technologie non seulement pour la sélection ou le recrutement, mais aussi dans la rotation des fonctions ou la mobilité interne. C’est par exemple le cas de Sportoase. «Afin de maximiser les chances de les garder longtemps à bord, les responsables de centres ont l’habitude de sonder la motivation intrinsèque des candidats lors des entretiens d’embauche.»

Bien-être des employés

La HR-Tech a un impact indéniable sur le terrain, principalement en termes d’automatisation et de numérisation. «Afin de gagner en efficacité, de nombreux processus RH qui étaient auparavant effectués à la main ou à l’aide d’Excel sont désormais automatisés», explique Frederik Tibau. «Vu la traditionnelle complexité des procédures administratives liées aux RH en Belgique, la HR-Tech recèle une valeur ajoutée potentielle considérable.»

Mais plus encore que dans l’automatisation, Frederik Tibau constate un impact majeur sur la collaboration. «La HR-Tech doit favoriser la connectivité, accroître le bien-être et reconnaître les employés pour leurs qualités.»

Move To Happiness, par exemple, propose aux entreprises une plateforme leur permettant de centraliser leurs initiatives ESG – en mettant l’accent sur le S de social. Le fondateur Kenneth Van Daele explique que son but consiste, par le biais de webinaires, de programmes d’experts en ligne, de défis et d’événements, à rendre tangibles pour les collaborateurs des thèmes comme la durabilité, le bien-être, la diversité et l’inclusion. «Nous avons développé plusieurs concepts, comme l’impact du travail en pauses sur les habitudes de sommeil et la campagne «Dertig Dagen Minder Wagen» afin d’encourager les gens à se rendre plus souvent au travail à vélo.» Les entreprises peuvent même réunir les différents thèmes dans un plan annuel. Move to Happiness facilite les efforts de la communication destinés à motiver et activer les collaborateurs, ce qui constitue souvent une pierre d’achoppement.

La start-up cible trois secteurs: les soins de santé, la production et la consultance. Elle compte parmi ses clients l’hôpital universitaire d’Herentals, Care Talents, Accenture, Nyrstar, AZ-Zeno, deSter et Borealis. Cette dernière a opté pour la solution «plug&play» qui permet aux collaborateurs de travailler à leur propre rythme et en fonction de leurs centres d’intérêt. «Couvrir intégralement le vaste champ du bien-être – mental, physique et social – n’est pas une sinécure», explique Dorien Timmermans, People & Culture Business Partner de Borealis Beringen et Geleen. Malgré l’enthousiasme suscité par le concept, des doutes subsistaient au sein du management. «Pouvons-nous inciter nos employés à s’engager dans du contenu en ligne sur base volontaire? Comment l’équipe de production, qui ne passe pas ses journées sur un PC, accueillera-t-elle cette évolution? L’obstacle ne sera-t-il pas trop élevé pour eux? Nous avons pu constater que ces objections n’étaient pas fondées.»

Collaboration

JiGSO fournit également aux organisations des informations et des outils qui leur permettent de créer une sécurité psychologique, de travailler sur la cohésion des équipes et de générer une culture d’équipe inclusive. La start-up est une joint-venture entre le cabinet de consultance en RH Beanmachine et la société de machine learning Motulus. Dans un premier temps, JiGSO a développé des modèles avancés de machine learning pour prédire les niveaux futurs d’absentéisme et de rotation du personnel au sein des entreprises, ce qui permet à ces dernières d’ajuster leurs politiques de recrutement ou de rétention en fonction des besoins. À l’arrivée de la pandémie, la start-up a constaté un besoin important d’autres outils au sein des départements RH. «Quand le télétravail s’est généralisé, les RH ont voulu rester à l’affût des éventuels problèmes», explique le CEO Wout Goossens. «Comment se sentent mes collaborateurs? Qu’en est-il de leur bien-être? Comment fonctionne la collaboration au sein des équipes?»

C’est un plus positif: on apprend sans s’en rendre compte.

JiGSO a décidé d’opérer la bascule et commencé à développer sa plateforme d’écoute, JiGSO Listen, en partenariat avec une grande entreprise pharmaceutique et une institution financière. «Avec cette plateforme, nous permettons aux organisations de mesurer et de cartographier des dynamiques d’équipe comme la sécurité psychologique, la cohésion et l’efficacité», explique Wout Goossens. «Grâce à des tableaux de bord avancés, les responsables des ressources humaines et les chefs d’équipe peuvent se faire une idée de ce qui se passe au sein de l’organisation et de ses équipes. Les enquêtes menées parmi le personnel ne reflètent qu’une partie de la réalité. D’autres outils se concentrent souvent sur l’individu, mais nous nous intéressons principalement à l’équipe.»

La plateforme ne se contente cependant pas de mesurer et de visualiser. «À la différence d’autres outils d’enquête par sondage, nous formulons également aux équipes des recommandations sur les possibilités d’exploiter ces résultats.» La plateforme contient ainsi une bibliothèque d’actions courtes et prêtes à l’emploi que les équipes utilisent pour améliorer leur dynamique. «Si notre plateforme mesure que les mécanismes de feed-back sont laborieux au sein d’une équipe, notre moteur de recommandation suggérera des actions pour aider l’équipe à développer des techniques plus efficaces.»

«Les clients constatent surtout un changement opérationnel», explique Wout Goossens. «Notre plateforme permet aux équipes de gagner en autonomie. Elle soulage ainsi les ressources humaines qui manquent souvent de personnel.»

L’IA dans la guerre des talents

Un autre phénomène prégnant dans le paysage des ressources humaines est la guerre du talent. La pénurie de talents est mondiale, en partie à cause du Covid et de phénomènes comme celui de la «grande démission» aux États-Unis. «L’intelligence artificielle (IA) ne résoudra pas immédiatement cette guerre du talent, mais c’est un outil puissant pour automatiser efficacement les calendriers d’interviews, l’examen des CV, l’identification des talents et la communication personnalisée», explique Frederik Tibau. «Les recruteurs, les directeurs des ressources humaines et le personnel ont ainsi plus de temps à consacrer aux véritables interactions humaines. Personnalisation combinée à un contact en face à face: c’est exactement ce que recherchent les candidats. L’automatisation et les applications basées sur l’IA adoptent une approche personnalisée du talent et contribuent à alléger la lutte pour les talents.»

Frederik Tibau ne considère pas nécessairement l’IA comme une menace pour l’emploi. «Par exemple, une nouvelle étude universitaire menée en Allemagne montre que les entreprises qui utilisent des technologies avancées tant pour les employés que pour les ouvriers enregistrent une croissance plus rapide que leurs concurrentes.»

La rétention est un aspect crucial de la guerre du talent: comment conserver mes collaborateurs et les aider à se développer davantage? «Techwolf, l’une des petites entreprises HR-Tech les plus en vue, a fondé ses activités sur ce principe. Ils analysent les talents que l’entreprise possède déjà en interne et les possibilités de le déployer au mieux.»

Techwolf a développé une solution basée sur l’intelligence artificielle et la technologie linguistique pour brosser un tableau global de toutes les compétences des collaborateurs au sein d’une entreprise. «Les organisations évoluent à un rythme rapide, et le thème des compétences figure logiquement en tête de leurs priorités», explique Samy Ben Said, Account Excecutive. «Les organisations tentent de comprendre qui excelle dans quelles aptitudes et où certaines compétences sont présentes. En outre, comme il est de plus en plus difficile pour les entreprises de trouver les personnes adéquates sur le marché du travail extérieur, elles font le choix stratégique de faire le meilleur usage possible de leurs collaborateurs actuels. Notre solution s’inscrit dans la politique de rétention des entreprises. Mieux les entreprises comprennent leurs collaborateurs, plus elles peuvent les aider à monter en compétences ou à se réorienter, ce qui se traduit par un allongement de l’implication.»

Techwolf y parvient en analysant l’empreinte numérique des collaborateurs grâce à l’IA et à la technologie linguistique. «Nous savons ainsi ce que les collaborateurs font réellement au travail: quelles formations suivent-ils? Sur quels projets travaillent-ils? Sur cette base, nous établissons un profil de compétences pour chaque collaborateur.»

Techwolf a ainsi un double impact. Sa solution aide les départements des ressources humaines à prendre des décisions fondées sur des données – et non leur seule intuition – pour gérer au mieux les collaborateurs. «Mais ce sont encore les collaborateurs qui en bénéficient le plus. Ils comprennent mieux comment évoluer efficacement dans leur rôle et quelles formations ils peuvent suivre pour améliorer leurs compétences.»

Techwolf compte Booking.com, GSK (GlaxoSmithKline), Cegeka et Telenet parmi ses clients. La start-up est surtout active en Europe, mais vient d’entamer son expansion aux États-Unis. Le Forum économique mondial a reconnu Techwolf comme un pionnier de la technologie, ce dont la société est extrêmement fière. «Au sein de l’UE, on parle beaucoup de l’utilisation éthique des compétences. Chez TechWolf, on a toujours mis l’accent sur la confidentialité des données, la sécurité, l’utilisation éthique de l’IA et l’explicabilité d’une entreprise fondée sur les compétences.»

Montée en compétences et réorientation

Les solutions qui permettent aux collaborateurs d’acquérir de nouvelles compétences ou d’améliorer des compétences existantes ont le vent en poupe. «Tout employeur doit devenir plus attractif pour ses collaborateurs, notamment en leur proposant des formations supplémentaires», explique Frederik Tibau. «Des start-up comme Play It, Mobietrain, Teo Training et Uqalify répondent à ce besoin.»

UQalify est spécialisée dans les formations à impact qui permettent aux collaborateurs de relever les défis les plus courants. La start-up cartographie, identifie et active les talents, les motivations, les valeurs, les compétences et les connaissances des collaborateurs, ce qui se traduit par une augmentation de leur engagement et de leur bien-être», explique son CEO Thierry Lescrauwaet.

Uqalify se distingue en particulier par son approche consistant à stimuler les initiatives d’apprentissage par microapprentissage in-app, apprentissage social, contenu sur mesure et défis basés sur la gamification. «L’idée est de mettre en relation au sein d’une communauté des personnes partageant les mêmes idées avec des collègues, des experts et des pairs», explique Thierry Lescrauwaet. «Cela dynamise l’apprentissage et le partage des connaissances. Nous préférons l’envie d’apprendre et la découverte tout au long de la vie à l’apprentissage tout au long de la vie. C’est un plus positif: on apprend sans s’en rendre compte.»

UQalify se base de l’UQ des employés, c’est-à-dire la connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes. Armés d’une meilleure connaissance de soi et d’une plus grande confiance, ils sont mieux à même de faire des choix concernant leur carrière et ce qu’ils veulent apprendre.

La start-up travaille pour des entreprises de nombreux secteurs, dont la marque de vêtements Essentiel ou la chaîne de magasins Douglas Parfumerie Nederland, mais aussi pour l’autorité flamande et des fédérations sectorielles. «Ce sont toutes des organisations qui prennent l’apprentissage au sérieux et veulent avoir un impact. Les plateformes d’apprentissage atteignent généralement un taux d’adoption maximal de 17%. Grâce à notre composante d’apprentissage social, nous dépassons les 80%.»

L’ambition d’Uqalify est de devenir un acteur qui compte en Europe. «Aujourd’hui, nous sommes actifs en Belgique et aux Pays-Bas, mais nous envisageons d’ouvrir un bureau à Berlin au premier trimestre 2024. La capitale allemande recèle d’importantes opportunités en matière de montée en compétence numérique et d’inclusion numérique, l’un de nos centres de connaissances et l’un des plus grands défis à l’échelle mondiale.»

Enfin, Frederik Tibau note que de nombreux outils ont été développés ces dernières années. Dans un contexte économique difficile, les entreprises s’intéressent davantage à ce dont elles ont besoin qu’à ce qui ne constitue qu’un petit plus. «S’il faut un outil distinct pour chacun des huit domaines mentionnés ci-dessus, cela devient rapidement très lourd. Les grandes entreprises doivent réduire leur train de vie et leurs investissements. Les entreprises HR-Tech qui combinent plusieurs domaines sur une seule plateforme sont donc plus attrayantes.»

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