Interview Myriam Broeders, Leading ICT Lady 2024: « Des progrès ont été réalisés, mais il faut aller plus loin »

Myriam Broeders, Leading ICT Lady 2024. © Debby Termonia
Pieterjan Van Leemputten

Myriam Broeders est une femme aux multiples facettes : CTO de Microsoft, réserviste à la Défense, elle aime aussi le vélo, est mère de trois fils, apprécie la nature et sans doute aussi Redmond où elle déménagera prochainement.

Vous quitterez prochainement la filiale belge de Microsoft pour le siège central. Quel y sera votre rôle ?

Myriam Broeders: Ma mission s’inscrira dans la droite ligne de mon travail actuel en Belgique. Je suis ‘chief technology officer’ de Microsoft Belgique et Luxembourg et participe à ce titre aux réflexions des clients sur le rôle que joue la technologie dans la réalisation de leurs objectifs. Je suis également directrice du Microsoft Technology Center (MTC) de Bruxelles, un centre qui existe désormais dans une quarantaine de pays. Dans ces MTC, nous accueillons les clients de la Région pour analyser leurs défis, après quoi notre équipe constituée d’architectes techniques, étudie avec le client la manière de réaliser ces objectifs. Aujourd’hui, nous abordons notamment l’IA, la sécurité et la durabilité. Aux États-Unis, je vais travailler dans la Corp MTC Team pour donner du support et de la guidance aux 40 Technology Centers de par le monde. Il s’agit notamment d’étudier la manière dont nous collaborons avec l’écosystème de partenaires à l’échelle mondiale et dont nous pouvons intégrer nos équipes.

Donc plus au départ
de Bruxelles puisque vous déménagez
à Redmond ?

Broeders: Effectivement, je viens d’apposer ma signature électronique au bas d’un contrat de bail pour un logement situé à un petit quart d’heure du quartier général de Microsoft. Je n’y suis allée en reconnaissance qu’une dizaine de jours avec mon fils aîné.

Vos enfants vous accompagnent-ils ?

Broeders: Non, mes trois fils de 24, 22 et 19 ans étudient ici en Belgique et ils y poursuivront leur scolarité. Certes, ils viendront régulièrement me voir ou je reviendrai au pays. Je suis également militaire de réserve, ce qui m’oblige à être de temps à autre en Belgique pour mes obligations militaires, mais aussi pour l’administration. Cela dit, je veux également rester disponible pour du mentoring et du coaching, ce que je fais déjà et que j’entends bien continuer à faire comme Leading ICT Lady, à savoir encadrer les jeunes dans leur carrière en Belgique. En outre, je veux aussi garder le contact avec ce qui se passe ici.

Myriam Broeders, Leading ICT Lady 2024. © Debby Termonia


Tout ceci est passionnant et je verrai bien après avoir résidé et travaillé quelques mois aux États-Unis comment les choses évolueront. J’aurai 50 ans cette année, mes enfants sont désormais devenus de merveilleux garçons et il est donc temps de penser à ma propre évolution.

J’ajoute que c’est la troisième fois que je postule pour une mission aux États-Unis. Les deux premières fois, j’ai été deuxième de justesse. Les chances qu’offrent une société comme Microsoft sont incroyables.

Vous avez précisé vous-même que la vie commençait à 50 ans. Quels sont encore vos projets dans la vie ?

Broeders: Pour moi, il s’agit d’un point d’entrée, pas le point culminant de ma carrière. Microsoft investit massivement dans les MTC et la stratégie d’engagement client. C’est dans ce domaine que j’espère continuer à me développer, tant sur le plan professionnel que personnel. Je suis également très attirée par la nature, ce qui sera formidable aux USA. À 10 minutes de mon domicile, on trouve de fantastiques cascades et randos. Même s’il pleut, la nature est superbe. Pour moi, il s’agit de la deuxième partie d’une vie qui a débuté en tant que jeune fille timide du Limbourg. Ce déménagement et ce nouveau job m’ont à la fois paru une montagne à gravir, mais aussi une opportunité de me réinventer.

« Un client sent directement que vous maîtrisez 
les migrations de bases de données ou les grands 
projets. »

Il est encourageant de constater qu’une femme ayant votre expérience considère ce nouveau chapitre comme un peu terrifiant.

Broeders: Je ne sais personnellement pas trop bien comment je vais faire. C’est une nouvelle fonction qui combine le travail de plusieurs personnes aujourd’hui. Hier, j’ai téléphoné à mon patron à propos de la description de fonction et il était clair pour tous les deux qu’il faudrait un peu tâtonner. Pour moi, cela fait aussi longtemps que je n’avais plus franchi une nouvelle étape. Je connais énormément de gens en Belgique, je connais presque tout le monde chez Microsoft et je suis étroitement connectée à notre écosystème. Aux États-Unis, il faut tout recommencer et toute seule.

Vous avez étudié l’économie avec l’ambition de vous lancer dans les RH. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la technologie ?

Broeders: C’était autour de 1996-97. Après mes études, j’ai encore étudié un temps la politique européenne et les relations internationales à Liège. C’était parfois intéressant, mais j’étais déjà diplômée et j’ai voulu rapidement travailler. Je suis alors arrivé au helpdesk d’une start-up anversoise spécialisée en gestion de trésorerie financière. L’un de mes collègues, Mark, devait souvent pour de nouvelles versions appeler les clients par modem pour mettre au point certaines choses, par exemple lorsque la base de données était corrompue ou qu’un bug était découvert. Je trouvais cela fascinant ! Je ne lui ai jamais dit, mais je lui serais toujours reconnaissant de m’avoir appris les tenants et aboutissants de SQL. Il s’agissait là de mon premier contact avec la technologie et les données. De là, je me suis dirigée vers le test de logiciels et l’automation dans la même entreprise.

« Je n’éprouve aucune satisfaction de voir que quelque chose fonctionne, mais bien que
ce soit utile. »

Plus tard, chez IBM, je me suis plongé dans la technique. L’automatisation de tests implique le scripting, le débogage, les bases de données ou encore indiquer à un développeur la ligne de code qui est incorrecte. Cela me donne beaucoup de crédibilité dans mes fonctions actuelles de CTO et de directrice du MTC. Un client sent directement que vous maîtrisez les migrations de bases de données ou les grands projets de déploiement de logiciels.

Vous considérez-vous comme une technophile ou une manager de technophiles ?

Broeders: Je me vois davantage comme une personne. Il y a une citation d’Einstein qui correspond parfaitement à ce que j’attends dans mon travail :
‘N’essayez pas de devenir un homme de succès, mais un homme de valeur.’ Je trouve fantastique de pouvoir développer de nouvelles technologies ou de construire une solution qui fonctionne, mais au final, il s’agit de la valeur que vous apportez. Je n’éprouve aucune satisfaction de voir que quelque chose fonctionne, mais bien que ce soit utile.

Myriam Broeders, Leading ICT Lady 2024. © Debby Termonia

Vous êtes également membre du Cyber Command de la Défense belge. En quoi cette fonction consiste-t-elle ?

Broeders: Soyons clairs : je ne suis pas expert en cyber, mais je maîtrise la technologie et le domaine de la cybersécurité. En outre, j’ai une solide expérience en organisation que je peux mettre à profit. J’ai été nommée réserviste l’an dernier et ai suivi une formation de base. Mais je ne travaille pas quotidiennement pour le Cyber Command. En tant que réserviste, je suis impliquée quelques jours par an en fonction de la situation. Cela dit, du fait de mon déménagement aux USA, nous allons examiner quelle sera ma contribution future. C’est ainsi que je viens de finaliser un papier pour proposer comment, en fonction de mon expérience, il serait possible d’impliquer dans le Cyber Command des réservistes qui ne travaillent que quelques jours par an et les faire collaborer. Désormais, mon rôle est plutôt celui de consultant.

Êtes-vous une sorte d’officier de liaison entre la Défense et un géant technologique comme Microsoft ?

Broeders: Je le pense bien. Je travaille au sein du Cyber Command dans l’équipe ‘innovation’ où je participe à la réflexion sur l’IA notamment.

Vouliez-vous vraiment devenir réserviste ou vous a-t-on contacté du fait de votre fonction actuelle ?

Broeders: Ce fut un hasard. Je faisais une grande balade à vélo entre Malines et Louvain lorsqu’un cycliste m’a dit que je ne roulais pas de manière efficace. Nous avons alors fait un grand tour et avons échangé nos coordonnées : il était militaire de réserve à temps plein. C’était durant le confinement et nous avons donc régulièrement fait des sorties à vélo, avec un vélo de course. Il m’a alors expliqué que je devrais poser ma candidature à l’Institut Royal Supérieur de Défense dans le 4e cycle de défense. C’était un cycle de formation annuel avec des visites de travail, notamment sur la géopolitique. Ce cycle regroupait 12 officiers supérieurs et 18 citoyens et j’ai alors posé ma candidature. Ce fut une année incroyable qui permet de comprendre vraiment le monde. Au terme de cette formation, il fut question de la création d’un Cyber Command [la 5e composante a été fondée en octobre 2022, NDLR] et l’on m’a demandé d’y participer.

Cette entité est-elle surtout destinée aux personnes du monde de l’entreprise (IT) qui deviennent réservistes ?

Broeders: À côté du Cyber Command, il y a une composante marine, aérienne et terrestre ainsi que médicale où la Défense recherche ses réservistes. Au sein du Cyber Command, nous recherchons évidemment surtout des personnes possédant une expertise pointue d’un marché. La Défense est devenue plus attractive, mais il est clair qu’elle est victime de sous-investissements. Mon choix s’explique surtout par la volonté de contribuer à la société. J’ai toujours eu le sentiment que nous étions en période de paix. Or des événements comme la guerre en Ukraine sont très proches de nous. Sans oublier ce qui se passe aux États-Unis [l’interview a eu lieu un peu après que Trump a annoncé que les pays de l’Otan qui ne contribuaient pas suffisamment risquaient d’être attaqués par la Russie, NDLR] Dans de telles circonstances, on ressent qu’il est important de construire dans notre pays une structure disposant de certaines capacités. Le contexte cyber revêt aussi une autre dimension qu’une guerre d’attaque classique. Il ne s’agit pas uniquement d’ailleurs de cybersécurité proprement dite, mais aussi de désinformation et de ‘fake news’, avec des satellites et des drones qui savent à tout moment où une unité se trouve, ou encore le cas d’Elon Musk qui pourrait ne plus offrir son service de satellites Starlink.

Avez-vous le sentiment d’être une cible potentielle ? Vous êtes haut placée dans une multinationale américaine qui a des connexions au sein de la Défense belge.

Broeders: À ce niveau, j’ai pleinement confiance en Microsoft qui investit à ce point massivement dans la sécurité qu’elle peut offrir des solutions adaptées. Mais j’ai aussi conscience que les choses pourraient un jour mal tourner. J’ai assez longtemps travaillé dans le développement et le test de logiciels pour savoir que des vulnérabilités peuvent se présenter partout. C’est impossible à exclure, même si je sais que Microsoft met tout en œuvre pour nous garantir une sécurité optimale.

Participez-vous à cet effort. Un pirate éthique nous montrait lors d’un récent événement comment il parvenait à trouver l’adresse de notre rédacteur en chef sur la base d’informations publiques.

Broeders: J’ai des collègues qui sont très stricts dans ce domaine et ne sont même pas sur Facebook ou LinkedIn. Pour ma part, je n’ai rien à cacher et j’ai parfaitement conscience des informations qui sont disponibles en ligne sur moi, même si je n’ai personnellement aucun accès à des informations secrètes, ni à la Défense, ni chez Microsoft. Mais ce que je limite en revanche, ce sont les photos de famille ou d’amis. Je suis devenue plus prudente, bien que je ne sois pas secrète : ainsi, j’ai déclaré l’an dernier au magazine flamand Knack que j’étais réserviste et que j’étais membre du Cyber Command.

Vous êtes active depuis plus de 25 ans. Comment avez-vous vu évoluer le paysage ICT ? Est-il plus facile aujourd’hui en tant que jeune femme d’entrer dans la technologie et d’y rester ?

Broeders: Je pense que l’on a connu une évolution énorme dans la diversité des genres, comme dans d’autres secteurs d’ailleurs, ce qui rend le thème de l’égalité des chances plus facilement abordable. Ce fut une évolution extrêmement positive. Chez Microsoft Belgique/Luxembourg, nous avons eu Marijke Schroos qui était à la fois directrice générale et une forte personnalité. En revanche, je reste frustrée lorsque je constate que la société ne parvient pas par exemple à inciter davantage de jeunes filles à opter pour les formations STEM. Dans des pays comme la Roumanie, c’est possible et on constate une répartition 50/50 dans les formations universitaires techniques.

Un ratio 50/50 doit-il être un objectif ? En Roumanie, un métier dans l’ICT est la garantie d’un salaire nettement plus élevé, alors qu’en Belgique, c’est possible dans bien d’autres métiers.

Broeders: Cela joue certainement un rôle. Il n’est pas question d’atteindre un équilibre parfait, sachant que dans une crèche ou l’enseignement primaire, on ne parle pas de 50/50 entre garçons et filles. Cela dit, il me semble que la société et le politique évoquent trop peu souvent la question et ne parlent pas des mécanismes ou des décisions qui pourraient stimuler l’apport des femmes.

Au niveau de l’inclusion, je n’ai jamais ressenti de problème particulier. La plupart des hommes apprécient qu’une femme puisse également parler de SQL ou de bogues. Même chez mes autres employeurs. Cela étant, j’ai souvent le sentiment qu’il faut, en tant que femme, travailler trois fois plus pour avoir du crédit et obtenir les mêmes conditions salariales que les hommes. C’est une réalité et c’est triste. Financièrement, ma carrière a posé problème. De même, en tant que femme, le fait qu’il faille toujours demander. J’ai d’ailleurs une fois entendu que mon bonus était supprimé en raison de mon congé de maternité, alors même que mes mois durant lesquels j’avais travaillé étaient exceptionnellement bons. À l’époque, je me suis adressée à un niveau hiérarchique plus élevé pour en discuter, mais il est dommage de devoir le faire. Aujourd’hui, l’équilibre est meilleur et je gagne bien ma vie. Sur un plan général, des progrès énormes ont été réalisés, mais il faut encore aller plus loin.

Quel est votre message à l’attention des hommes qui veulent davantage de diversité ou qui veulent maintenir cette diversité ? Que ne voit-on pas que des femmes considèrent peut-être comme évident ?

Broeders: Bonne question. Chez Microsoft, nous accordons une attention toute particulière à l’équilibre des effectifs, mais on en arrive alors à certaines situations dans le processus d’équilibrage où des hommes estiment n’avoir aucune chance parce qu’une femme sera choisie, par exemple dans une équipe composée d’hommes. Inversement, une femme pourrait devoir se battre contre la perception qu’elle a été choisie parce qu’elle était une femme.

« Si vous avez des quotas ou que vous voulez instaurer 
davantage de 
diversité, il n’y a pas de solution miracle. »


Si vous avez des quotas ou que vous voulez instaurer davantage de diversité, il n’y a pas de solution miracle. J’ai mis trois enfants au monde et vous ne m’entendrez pas dire qu’il faut moins d’hommes.

Je pense qu’il est important des deux côtés de faire parfois des concessions et de donner plus de liberté à l’autre. Moins supposer, demander plus explicitement ou nommer les choses. Dans un bureau, l’homme estime souvent en savoir davantage et met en avant ses propres idées ou pense que l’autre devrait faire telle ou telle chose : non, ne soyez pas trop vite dans le jugement. Ce faisant, nous pourrons avancer dans notre cheminement vers la diversité et l’inclusion.

Myriam Broeders, Leading ICT Lady 2024. © Debby Termonia


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