Wim Van Heesbeke, Group CIO des Mutualités Libres: «La numérisation est au cœur de notre stratégie»

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Marc Husquinet Rédacteur de Data News

Wim Van Heesbeke, Group CIO des Mutualités Libres, est à la tête de l’un des plus gros départements IT du pays. « La donnée est à la base de toute l’activité. »

Wim Van Heesbeke gère à la fois l’informatique de l’Union Nationale et des trois mutualités affiliées, tout en offrant des services IT aux Mutualités Neutres, Chrétiennes et bientôt Libérales. Avec le numérique comme épine dorsale du métier.

Quelle était la situation de l’IT à votre arrivée à la mi-2017?

WIM VAN HEESBEKE: Après de nombreuses années dans le secteur bancaire, j’ai constaté ici que l’IT était plutôt considérée comme une charge et qui n’apportait que peu de valeur. Ma première mission a consisté à redresser le climat de confiance au sein de l’IT pour permettre de délivrer les résultats attendus. L’autre grand chantier portait sur la numérisation. Il faut savoir que le monde des mutualités est extrêmement complexe et était encore largement basé sur le papier. L’ambition était donc de convertir les flux papier en flux numériques, sachant que de très nombreux acteurs sont impliqués dans ces processus dans le cadre d’un écosystème très vaste.

Par ailleurs, au fil des dernières années, le rôle des mutualités a changé pour ne plus se limiter au traitement des malades mais d’assurer la prise en charge de la santé et du bien-être des affiliés, en exploitant au maximum les données que nous collectons et traitons, et naturellement dans le respect du RGPD.

Dans le même temps, la structure même de notre groupe a changé. Désormais, l’Union Nationale des Mutualités Libres chapeaute nos différentes mutualités. Celles-ci s’occupent principalement du B-to-C, c.-à-d. du contact avec les membres, tandis que l’Union traite surtout avec le politique, le B-to-B, par exemple avec les hôpitaux. Désormais donc, notre IT supporte ces deux mondes, avec des besoins très spécifiques, mais aussi des rythmes d’évolution différents.

Comment s’est structuré l’IT du groupe?

VAN HEESBEKE: Nous desservons donc non seulement l’Union, mais aussi les trois mutualités que sont Partenamut à Bruxelles et en Wallonie, Helan en Flandre et Freie en Région germanophone, chacune ayant sa stratégie propre. C’est ainsi que Helan a décidé de cibler désormais aussi les crèches ou l’aide à domicile notamment. Il s’agit là d’un domaine également très complexe que nous devons gérer au niveau de l’informatique. Par ailleurs, notre département IT du groupe offre aussi des services à d’autres mutualités belges. C’est ainsi que les mutualités neutres, chrétiennes et à partir de 2024 libérales, utilisent nos systèmes informatiques. Pour les neutres et les libéraux, en outsourcing complet, ce qui veut dire qu’ils n’ont plus d’informatique, et pour les chrétiens, nous mettons à disposition une grosse application de calcul des indemnités. Ce qui signifie que nous servons 2/3 des citoyens belges.

Comment l’IT travaille-t-elle et évolue-t-elle?

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VAN HEESBEKE: L’IT opère donc à la fois pour le groupe et comme outsourceur dans le cadre de relations spécifiques. Au niveau de l’infrastructure, le paysage est assez complexe, avec des centres de données internes et une partie dans les multiples clouds. Nous utilisons un AS/400, désormais IBM i, et on travaille en Java, .Net et Dynamics, avec une importante couche de sécurité. Et depuis la fusion de plusieurs entités IT, nous sommes environ 450 informaticiens, soit 300 internes et 150 externes, contre quelque 150 environ à mon arrivée. Avec à terme, une évolution vers le cloud lorsque cela fait sens en ne faisant pas du cloud pour le cloud. C’est ainsi que Dynamics devient l’outil de gestion de base pour les Mutualités, tandis qu’hybride, on-prem et cloud sont utilisés pour les données et l’analytique. Bref, de l’hybride que nous allons rationaliser.

Au niveau des développements, il y a eu une tendance voici 7 à 8 ans à déployer un package central, mais sans grand succès. Désormais, nous privilégions une stratégie ‘adopt plutôt que adapt’ en standardisant et en normalisant certains composants, par exemple le customer handling dans Dynamics. Cela dit, la tarification par exemple est à ce point spécifique qu’il n’existe pas de progiciel sur le marché. Par ailleurs, nous avons standardisé au niveau des postes de travail avec des PC en Office 365 par exemple, ce qui nous a aidés durant le Covid.

Enfin, nous sommes en train de standardiser la partie sécurité, un domaine ultra-complexe avec par exemple Microsoft Defender ou encore un SOC Orange pour la cybersécurité. J’ajoute que la sécurité n’est pas de la compétence de l’IT, mais a été confié à un CISO, question de ne pas être juge et partie.

La numérisation est clairement au centre de votre stratégie IT.

VAN HEESBEKE: En fait, la numérisation se déploie à plusieurs niveaux. C’est ainsi que nous avons déjà éliminé la dette technologique en supprimant des applications ou systèmes trop anciens ou pas/peu utilisés. Par ailleurs, nous définissons certains de nos projets au fil de l’eau, en fonction des décisions prises par l’Etat notamment. Enfin, dans le B-to-C, les mutualités écoutent leurs clients et nous transmettent leurs demandes, après quoi nous établissons une feuille de route des solutions à développer. Nous évoluons donc vers du ‘full agile’ avec capacité à insérer certaines solutions nouvelles dans le planning ou à tester des technologies qui sont ensuite déployées, par exemple en low-code.

Qu’en est-il des projets IT futurs?

VAN HEESBEKE: Nous avons fait le choix du best-of-breed, notamment sur Linux et Windows, pour permettre à nos solutions de tourner dans les deux environnements. La standardisation et la normalisation sont aussi à l’ordre du jour pour des questions de coût, de complexité de maintenance et de formation de nos équipes IT. Au niveau du cloud, nous évoluons vers une stratégie de cloud hybride pour des questions d’évolutivité et de volumes, mais pas de coût.

Comment évoluent vos équipes et vos budgets?

VAN HEESBEKE: Nous avons recruté cette année 30 nouveaux collaborateurs déjà, avec une volonté de conserver en interne les fonctions clés en informatique. Il semble que les recrutements soient désormais plus faciles, peut-être grâce à l’environnement de travail ou notre capacité à proposer des technologies pointues. De même, nous offrons un package salarial attractif. Enfin, il semble que les jeunes soient attirés par des emplois qui font sens. Il faut dire que nos services ont un impact direct sur les citoyens belges, notamment en termes financiers. C’est ainsi qu’un problème IT peut avoir une conséquence directe et immédiate sur l’affilié. J’ajoute que nous avons un turn-over très faible de 2 à 3% seulement. Nous recherchons surtout des analystes business, chefs de projet, développeurs et des rôles typiques agile, notamment scrum, product owners, etc. Soit moins de profils techniques et davantage de polyvalents. Je précise encore que l’on intègre toujours plus les équipes IT et métiers, notamment dans les squads.

En termes de budgets, il faut savoir que c’est l’Etat qui est notre ‘actionnaire’ et définit notre budget. Nous avons les moyens pour investir, ce qui crée un état d’esprit différent. D’ailleurs, les services que nous offrons vers l’extérieur ne sont pas de type commercial. J’ajoute que nous sommes payés avec les impôts des citoyens, ce qui nous oblige à travailler de manière responsable.

Comment définiriez-vous votre fonction de CIO?

VAN HEESBEKE: Je me considère comme une sorte de broker de services qui combine des développements purs et des produits achetés. C’est ainsi que la ‘shadow IT’ peut avoir du sens si elle est structurée et intégrée dans l’ensemble. À mon sens, tout ne doit pas forcément être fait par l’IT. Cela dit, voici 5 ans, je faisais plutôt office de chef des pompiers.

Désormais, l’IT fait partie du comité de direction, ce qui permet d’influencer certains choix et stratégies. Il n’empêche que le ‘run’ reste crucial dans ma mission, même si ma fonction évolue vers la gestion des ‘stakeholders’ tant internes qu’externes ainsi que des contrats d’externalisation. Enfin, il faut que j’aie une connaissance approfondie du marché IT et des technologies susceptibles d’avoir un impact sur nos activités. Il faut dire que l’évolution technologique est extrêmement rapide et que la masse d’informations explose. Mon ambition est d’aller encore plus vers l’extérieur pour aider ainsi le business, tout en assurant le fonctionnement optimal de l’IT. D’ailleurs, je me pose la question de savoir s’il est encore possible pour un CIO d’avoir une vue à 360°, d’autant que l’IT est au cœur du métier.

Les Mutualités Libres en bref

L’Union Nationale des Mutualités Libres regroupe trois mutualités libres apolitiques et dynamiques: Partenamut (mutualité libre présente en Wallonie et pour les francophones de Bruxelles), Helan (mutualité libre présente en Flandre et pour les néerlandophones de Bruxelles) et la Freie Krankenkasse (mutualité libre pour la communauté germanophone). Sa mission est de garantir des services de qualité aux mutualités et d’en être l’interlocuteur légal. Elle veille à ce qu’elles répondent aux exigences et aux besoins actuels pour protéger la santé de nos membres. Les 5.000 collaborateurs des Mutualités Libres desservent plus de 5 millions de membres.

La donnée est vitale. Comment la traitez-vous?

VAN HEESBEKE: Effectivement, elle est à la base de toute l’activité. Il faut savoir que nous stockons plus de 9 pétabytes de données. Nous l’abordons sous trois angles. D’abord, les données dans les systèmes transactionnels opérationnels. Ensuite, les données destinées au reporting. Enfin, les données traitées de manière plus intelligente pour l’analytique notamment. Nous envisageons désormais la possibilité de créer une plateforme unique pour l’ensemble des données, sans séparation stricte entre les plateformes. Cela, dans le respect de la sécurité et de la compliance, un élément complexe, mais essentiel.

Si je devais résumer les trois défis pour les prochaines années, je dirais les données, le cloud et la sécurité, avec tous les aspects associés, sachant que toucher à un élément impacte les autres.

Qu’en est-il de l’innovation?

VAN HEESBEKE: Quand on parle ici d’innovation, on ne pense pas à ChatGPT, mais plutôt à une technologie susceptible de faciliter le travail, par exemple le développement de code avec l’IA ou le low-code. C’est plutôt de l’innovation à l’intérieur de l’IT. Par exemple, un outil de monitoring intelligent pour notre centre de production. Et pour le business, l’innovation peut porter sur des composants comme le traitement des certificats médicaux qui sont scannés, puis océrisés de manière intelligente et intégrés dans les flux numériques. Ou encore dans le call center avec un outil de détection de l’intonation vocale de l’interlocuteur pour savoir s’il est fâché ou non. De même, nous développons une solution d’agent de centre d’appel virtuel pour traiter les cas les plus faciles, par exemple la prise de rendez-vous. Autre exemple: avoir une vision à 360° d’un affilié lorsqu’il vient en agence ou qu’il téléphone. Créer des liens avec notre écosystème et le monde médical belge particulièrement complexe fait également partie des domaines d’innovation que l’on aborde, avec des interfaces multiples.

Il ne s’agit donc pas d’innover pour innover, mais plutôt de voir la valeur pour le business tout en étant pragmatique. Certes, nous avons aussi un rôle à jouer pour identifier des outils susceptibles d’être intégrés dans l’environnement existant.

J’ajoute encore que nos membres ne demandent pas une intégration entre les canaux comme une banque par exemple. Le brick et le non-brick doivent coexister et nos quelque 300 agences restent importantes pour notre public, avec une infrastructure réseau critique.

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