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“Aujourd’hui, la pression est plus forte au niveau de la réparabilité”

Pieterjan Van Leemputten

“Les fabricants d’appareils ne bougent que lorsqu’ils doivent respecter certains standards”, estime Matthias Mayer, directeur d’iFixit pour l’Europe.

Acheter un appareil neuf est certes agréable, mais qu’en est-il si c’est simplement par envie ou parce que la garantie est dépassée? iFixit est spécialisée depuis de nombreuses années dans la réparabilité d’appareils électroniques. L’organisation propose des manuels, en français et néerlandais, ainsi que des pièces et des outils pour démonter des vis très spécifiques ou des éléments collés.

Est-il aujourd’hui plus facile ou plus compliqué de réparer ses propres appareils?

matthias mayer: Il s’agit d’un processus qui a connu de multiples évolutions. Dans l’ensemble, l’iPhone 4 était un appareil facilement réparable. Mais au fil du temps, ces appareils – et pas seulement ceux d’Apple, mais aussi d’autres marques – ont utilisé davantage de colle. Cela s’explique pour des raisons de fabrication, pour rendre les appareils plus fins, mais la colle ne permet pas d’ouvrir et de refermer facilement un appareil.

A notre grande surprise, l’iPhone 14 semble très réparable, mais ce n’est pas sans raison. C’est ainsi que l’Europe a modifié sa réglementation et que les gens sont davantage enclins à (faire) réparer leur appareil. Les éléments qui entrent dans la fabrication sont perdus à tout jamais, à moins d’allonger la durée de vie des appareils [Nous avons rencontré Mayer après son discours à la Maker Faire Rome, où il a expliqué comment les appareils étaient recyclés, tout en insistant sur le fait que tous les composants et matériaux n’étaient pas, et de loin, effectivement recyclés, NDLR].

L’iPhone 14 est un bel exemple de la manière dont le design interne d’un appareil a été repensé en profondeur. Désormais, on retrouve deux points d’accès permettant de retirer non seulement l’écran, mais aussi la face arrière, ce qui permet d’accéder aux composants internes. Mais il faudrait aller plus loin. C’est surtout un signe que les choses bougent et que des progrès sont réalisés. On constate aussi que la demande émane de plus en plus souvent des fabricants eux-mêmes. Ils nous demandent conseil pour concevoir des appareils plus facilement réparables.

Il n’est donc pas vrai que les fabricants rendent leurs appareils moins réparables pour que le consommateur achète plus rapidement un nouvel équipement?

mayer: Il est évident qu’ils préféreraient vendre du neuf. Mais ils veulent aussi un marché plus pérenne. La France a lancé l’an dernier un indice de réparabilité qui indique au consommateur dès l’achat le niveau de réparabilité et qui peut être utilisé comme un argument de vente.

En d’autres termes, la régulation trace la voie à suivre pour les fabricants?

mayer: Les directives en matière de design écologique prévoient souvent un degré de réparabilité, mais il faut aussi prendre en compte l’intérêt du consommateur pour ce genre de choses et l’attention que peuvent porter les pouvoirs publics. Aujourd’hui, la pression est plus forte au niveau de la réparabilité.

Apple a introduit cette année, à la surprise de beaucoup, un kit de réparation pour ses appareils et la possibilité d’acheter directement auprès d’elle certains composants. Mais en pratique, il s’agissait surtout d’anticiper la législation qui devrait de toute façon arriver aux Etats-Unis, n’est-ce pas?

mayer: Oui, c’est en somme exact. Les fabricants ne réagissent que lorsqu’ils doivent satisfaire à certains standards. Lorsqu’ils sont obligés. Mais le fait qu’Apple dise elle-même qu’il est possible de réparer son iPhone, prouve également que c’est possible. Mais là également, il y a anguille sous roche.

Comment cela?

mayer: Si vous voulez faire réparer votre appareil par Apple, vous allez sur leur site web et introduisez le numéro de série de l’appareil pour commander la pièce en question. Une fois la pièce reçue, vous devez associer celle-ci à votre appareil au niveau du logiciel. Il n’est donc pas possible de remplacer simplement la pièce.

Le logiciel doit donc accepter qu’une pièce ‘nouvelle’ soit intégrée au téléphone?

mayer: C’est exact. Et peut-être est-ce pour des questions de sécurité, mais ce qui nous inquiète, c’est que finalement seul ce fabricant puisse proposer cette pièce spécifique. Ce qui fait une différence par rapport au secteur automobile où l’on retrouve depuis longtemps déjà à la fois le marché des pièces d’origine et celui des pièces compatibles.

Cela signifie-t-il qu’il soit possible qu’une pièce techniquement parfaite puisse ne pas fonctionner ou que l’appareil s’arrête si la pièce ne provient pas d’Apple même?

mayer: Exactement. Je souhaite toutefois nuancer que nous évoquons ici Apple, mais que d’autres marques sont également coupables de tels agissements. Ainsi, je pense que des entreprises comme HTC ou Samsung le font également, ou envisagent de le faire.

Existe-t-il des marques qui ont entre-temps un historique dans la réparabilité, ou est-ce une question de produit?

mayer: Il existe des extrêmes, comme Fairphone qui, au-delà de l’aspect de commerce équitable, attachent beaucoup d’importance à la réparabilité. Mais au niveau des grandes entreprises, on constate surtout que différents produits suivent des voies diverses et variées. Rares sont les fabricants qui suivent résolument et largement cette voie. Ainsi, Logitech s’y intéresse clairement, tandis que Philips dispose d’une équipe CSR qui y travaille intensément ces dernières années et qui devrait présenter de nouvelles initiatives.

Sur le plan technique, les appareils Android peuvent durer de nombreuses années. Mais la plupart des appareils ne sont supportés que 2 à 3 ans avec des mises à jour de sécurité. Ils fonctionnent encore, mais sont obsolètes au niveau du logiciel. Est-ce aussi un problème?

mayer: L’obsolescence logicielle pose en effet question. A présent que le design écologique bénéficie d’une attention plus soutenue, je m’attends à ce que l’aspect logiciel gagne en importante [C’est ainsi que la nouvelle génération de puces Qualcomm offre un support de 3 à 4 ans, même si cela ne concerne pour l’instant que les modèles les plus chers, NDLR]. Mais cela exige du lobbying, du pouvoir de persuasion et peut-être de la législation. Cela étant, le support logiciel de plus longue durée représente l’étape majeure suivante.

Le modèle économique d’iFixit implique de vendre également des outils pour réparer les équipements électroniques. Est-ce facile? Certaines de vos connexions sont brevetées et conçues pour ne pas être retirées avec un simple tournevis ou un tournevis Philips.

mayer: La vis pentalobe est une vis très spécifique de et pour Apple. Cela étant, nous n’entendons pas violer un brevet. Donc, dans le cas du pentalobe, nous avons mis au point un tournevis capable de dévisser la vis pentalobe sans avoir la forme exacte du pentalobe. Il existe donc toujours certaines manières de trouver une solution sans être en infraction.

iFixit a commencé aux Etats-Unis, mais est active depuis des années déjà en Europe. Voyez-vous des différences entre les deux régions dans la manière dont les consommateurs veulent réparer eux-mêmes?

mayer: Dans l’ensemble, les motivations sont différentes, mais j’ai l’impression qu’aux Etats-Unis, on réagit surtout en disant ‘C’est mon appareil, je l’ai acheté et je peux le réparer’, tandis qu’en Europe, on parle plutôt de durabilité. Mais dans les deux cas, je remarque que les gens réparent pour économiser de l’argent, ce qui est aussi une raison valable. Mais il y a beaucoup de similitudes.

Vous proposez également des pièces détachées. Des pièces qui sont également disponibles sur différentes boutiques web, souvent chinoises. Comment un consommateur qui n’est pas vraiment doué dans la réparation peut-il être assuré de la qualité et du niveau de sécurité de vos pièces?

mayer: C’est impossible à savoir. Et également à voir. Par le passé, nous avons eu en main des écrans qui paraissaient exactement semblables, mais dont l’un fonctionnait et l’autre pas. Il n’est donc pas possible de le savoir avant de le mettre en route. Nous mettons beaucoup l’accent sur la qualité. Ce que nous vendons doit être de bonne qualité et nous donnons souvent une garantie à vie sur ces pièces.

Considérez-vous Apple, qui vend elle-même aussi des pièces et des kits de réparation, comme un concurrent? Ou faut-il simplement se réjouir qu’ils le fassent?

mayer: C’est vrai dans une certaine mesure. Mais nous vendons aussi des pièces originales pour certains modèles. Pour le Google Pixel par exemple, ainsi que pour HTC et Motorola, une gamme que nous élargissons. Et même si nous n’avons pas certains accès, nous cherchons toujours à proposer une solution aux consommateurs en nous tournant vers le marché secondaire des composants compatibles. Ceux-ci ne sont pas parfaitement semblables, mais fonctionnent quand même pour ces appareils.

Nous offrons d’ailleurs une garantie dans la mesure où nous testons la qualité des pièces. Dans la plupart des cas, tout se passe bien. C’est ainsi que nous vendons des batteries avec un circuit imprimé différent de l’original, mais dont la qualité est parfaite et qui ne font aucune différence par rapport à l’original.

Les entreprises qui achètent des ordinateurs portables veulent souvent pouvoir remplacer facilement l’écran ou le clavier notamment. Pensez-vous que les smartphones vont évoluer au point que cette possibilité devienne normale également, ou qu’il s’agit d’appareils trop complexes pour pouvoir y arriver?

mayer: C’est possible. Le Fairphone 4 le prouve, c’est un appareil très élégant et toujours facilement réparable. Si le design est conçu dès le départ en fonction de la réparabilité, c’est possible. Mais il faut respecter certaines règles et vouloir y arriver.

Est-ce difficile à intégrer dans le design d’un produit?

mayer: Il faut surtout en faire une priorité dès le départ. Si tel n’est pas le cas et que l’on commence le design sans y réfléchir, on n’y arrivera probablement pas. Sans doute votre design sera-t-il moins cher ou le produit plus mince, mais l’iPhone 14 prouve qu’il y a moyen de faire autrement. C’est un appareil moderne dont les dimensions sont identiques à celles de l’iPhone 13, mais avec un design interne totalement différent.

En Europe, iFixit est une société allemande qui vend dans l’UE. Voyez-vous des différences entre les pays? Certains consommateurs sont-ils plus enclins à réparer leur appareil?

mayer: Nous commercialisons nos produits dans 30 pays et les différences sont très marquées. En tant qu’entreprise allemande, nous remarquons que les Allemands sont bricoleurs. Nous vendons énormément dans le pays. Par ailleurs, le marché français est très grand pour nous. La France est plus avancée en matière de durabilité. L’Italie est un autre exemple.

Le problème de la croissance en Europe est qu’il faut travailler par pays. La langue et la législation sont à chaque fois différentes. Lorsque nous ouvrons un pays, nous cherchons à faire les choses au mieux, en engageant du personnel local, avant de passer à un autre pays.

Mais nous voulons continuer à grandir. L’Italie et l’Espagne recèlent encore beaucoup de potentiel, de même que la Grande-Bretagne. Aux Pays-Bas, nous sommes relativement bien positionnés. Quant au Portugal, on y constate de fortes différences dans l’intérêt manifesté pour les outils et les pièces. Mais nous avons décidé de proposer désormais aussi nos outils par le canal des distributeurs en Europe et de ne plus donc nous limiter à la vente en ligne. Reste qu’au niveau des pièces détachées, d’autres composants sont de qualité aussi bonne [que les produits d’iFixit, NDLR].

Nous proposons des solutions et des manuels pour permettre les réparations, mais aussi des outils et des pièces pour faire ces réparations. Et notre ambition est de le faire savoir dans les différents pays européens.

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