Oubliez le cloud, l’informatique distribuée et l’IA générative et préparez-vous à la prochaine nouvelle étape technologique appelée quantique. De grandes entreprises telles que Google, IBM et d’autres préparant cette technologie depuis des années déjà, mais ont vraiment accéléré le tempo cette année.
Tant le personnel académique, les spin-offs universitaires que les grandes firmes technologiques se préparent à générer ce qu’on appelle en jargon un ‘full stack’ capable de rendre les ordinateurs quantiques plus accessibles. L’ordinateur quantique existe certes depuis quelque temps déjà, mais n’est pas encore vraiment utile parce qu’il est trop petit, trop instable et qu’il nécessite des logiciels très spécialisés
Qu’est-ce donc que l’informatique quantique?
Au lieu des traditionnels bits et bytes, l’informatique quantique recourt aux qubits en tant que composant de base. Ces qubits peuvent non seulement se caractériser par un état zéro ou un, mais aussi ‘superposed’ ou les deux. Cette technologie est considérée comme une alternative possible à l’informatique traditionnelle. Une puce quantique intégrant des millions de qubits – et la correction d’erreur nécessaire – serait capable, une fois au point, d’atteindre des vitesses inimaginables dans la résolution des problèmes spécifiques
Cela explique pourquoi des entreprises comme IBM, Google et Microsoft sont occupées à plancher sur cette technologie. Selon la personne à qui vous posez la question, on pourrait cependant patienter quelque peu encore avant de voir arriver vraiment des ordinateurs quantiques capables de résoudre de manière pratique les grandes problèmes du monde. Jensen Huang, CEO de Nvidia, avait déclaré en janvier qu’il ne les attendait que dans une vingtaine d’années. Cela ne signifie toutefois pas que des progrès ont été accomplis cette année dans le développement de la technologie.
Les puces
‘L’année des percées quantiques’ démarre en fait fin 2024 avec la puce Willow de Google. Cette nouvelle puce quantique est à même de résoudre un algorithme en cinq minutes, alors que le superordinateur Frontier (le plus rapide au monde actuellement, ndlr) a besoin de plus de 10.000.000.000.000.000 milliards d’années, selon Hartmut Neven, fondateur et directeur de Google Quantum AI, sur un blog.
La nouvelle puce quantique de Google établit un record de vitesse avec correction d’erreurs
Microsoft lui emboîta le pas avec la nouvelle puce Majorana 1. Le géant technologique a travaillé 17 ans sur ce projet et a publié en janvier une étude sur sa nouvelle puce dans la revue scientifique Nature. Majorana 1 (qui tient son nom du physicien théoricien Ettore Majorana qui avait prévu l’état topologique, il y a quasiment cent ans) serait moins sensible aux erreurs et posséderait aussi le potentiel pour contenir des millions de qubits, contre huit seulement lors de son lancement en début de cette année.
Microsoft revendique une nouvelle percée en informatique quantique
En février, Amazon publia elle aussi une étude effectuée sur sa puce quantique. Celle-ci, la puce Ocelot, adopte une nouvelle approche en matière de correction d’erreurs. Si elle fonctionne bien, elle représenterait une façon plus efficiente de créer des qubits stables.
Amazone dispose à présent aussi de sa puce quantique
Le géant technologique japonais Fujitsu s’est cette année aussi lancé dans le développement d’un ordinateur quantique intégrant plus de 10.000 qubits. L’appareil devrait être prêt d’ici 2030. Ce nouvel ordinateur quantique super-piloté opérera avec 250 qubits logiques et exploitera l’architecture STAR de Fujitsu. Il s’agit là d’une architecture destinée à créer des qubits plus stables.
Correction d’erreurs
Les expressions ‘produisant moins d’erreurs’ et ‘qubits stables’ remontent à quelques années déjà, et ce n’est pas un hasard. La fabrication d’un ordinateur quantique stable constitue l’une des principales étapes à franchir dans cette technologie. Par nature, le qubit est en effet particulièrement instable. Comme les puces utilisent de très petits éléments indiquant leurs différents états, elles sont très sensibles aux interférences. Trouver des manières de corriger les erreurs de façon efficiente s’avère dès lors très important pour la technologie.
La puce baptisée Willow effectue la correcteur d’erreurs en regroupant plusieurs qubits. Google relie en l’occurrence des qubits en carrés, de 3×3 par exemple, qui forment conjointement un ‘qubit logique’. Si l’un d’eux est ensuite influencé par l’environnement, le système peut alors comparer son état avec celui des autres qubits dans le carré et effectuer une correction si nécessaire.
Le système d’AWS, lui, mêle deux types différents de matériel qubit, afin d’améliorer la stabilité des données sur ces qubits. Le premier type de qubit, le ‘data qubit’, est conçu pour traiter les données et est protégé contre les erreurs trop nombreuses. Le second type de qubit recherche ensuite le genre d’erreur spécifique à laquelle le data qubit est encore sensible.
D’autres technique ont aussi été présentées cette année. Des chercheurs de la firme néerlandaise QuTech ont ainsi affirmé en mars avoir accompli un pas important dans la correction d’erreurs quantique. En utilisant des diamants ultrapurs et des méthodes de mesure sophistiquées, ils atteignirent une précision de plus de 99,9 pour cent dans les opérations quantiques. A l’avenir, Fujitsu et QuTech espèrent faire encore évoluer le système en augmentant le nombre de qubits. Elles ont mis au point un ensemble de portes quantiques caractérisées par un risque d’erreur inférieur à 0,1 pour cent.
QuTech réalise une avancée importante vers la correction d’erreurs dans les ordinateurs quantiques
Logiciels
Voilà pour la matériel, mais qu’attendre alors de ce genre d’ordinateur? Cette année, des chercheurs ont conçu un système d’exploitation pour ordinateurs quantiques, appelé QNodeOS. Il devrait entre autres permettre d’interconnecter plusieurs ordinateurs quantiques.
Comme il est question cette fois de logiciels qui sont moins dépendants du pur ‘hardware-coding’, le système d’exploitation peut gérer des appareils au sein d’un réseau quantique, quel que soit le type de qubits s’y trouvant. Dans de premiers tests, il relia par exemple un ordinateur quantique à qubits en diamant avec un autre utilisant des atomes électriques pour ses qubits. Il devrait également être plus facile pour le système d’exploitation de développer et de déployer des applications pour les ordinateurs.
Un premier système d’exploitation pour ordinateurs quantiques
Google Quantum AI a ensuite dévoilé un nouvel algorithme, ‘Quantum Echoes’. Sur la puce quantique Willow, ce dernier a effectué une tâche spécifique 13.000 fois plus rapidement que les plus puissants superordinateurs au monde. Les résultats, qui sont publiés dans la revue scientifique Nature, ont été qualifiés par Google ‘de premier exemple quantique vérifiable à ce jour’. Google Quantum AI indique par là que ce serait la première fois qu’un processeur quantique doté d’un algorithme quantique adapté dépasse, et de loin, les limites IT des systèmes classiques.
Google revendique une percée quantique avec un nouvel algorithme 13.000 plus rapide qu’un superordinateur classique
Sécurité
Dans tous ces progrès en matière d’informatique quantique, il est important également d’examiner l’avancée en parallèle au niveau du cryptage et de la sécurité. Une fois les ordinateurs quantiques vraiment au point, ils devraient en effet être à même de déjouer la cryptographie actuelle, celle conçue pour sécuriser toutes nos communications et données sensibles.
Voilà pourquoi des entreprises comme Orange envisage des opportunités dans des services de protection. Orange Business et Toshiba avaient ainsi annoncé en juin leur volonté de proposer en France le premier service réseautique résistant à des attaques avec des ordinateurs quantiques. Ce service fournit à ses clients (actuellement plutôt rares) la cryptographique post-quantique, qui ne devrait pas pouvoir être déjouée par un puissant ordinateur quantique. En outre, il y a aussi un réseau appelé Quantum Key Distribution dans la région parisienne. Ce type de réseau exploite des règles issues de la physique quantique en vue de protéger les données contre tout genre de vision indiscrète par exemple.
Chez nous, on expérimente également ce type de connexion. Proximus par exemple a ainsi commencé à tester une ligne de distribution de clés quantiques hybride. Notre pays a aussi vu la mise en place d’une connexion quantique ouverte par le consortium BeQCI. Ce réseau quantique ouvert a cette année été étoffé par quelques nœuds, notamment vers le site ESA de Redu et vers le Luxembourg.
BeQCI est la branche belge d’un projet européen plus vaste, l’EuroQCI, ayant pour objectif de développer un réseau de communication quantique européen. Actuellement, le réseau est surtout utilisé pour tester la nouvelle forme de communication. On veut y avoir recours aussi pour créer des solutions cryptographiques qui ne pourront pas être déjouées par un ordinateur quantique. Ce réseau s’étendra également aux satellites, a-t-on appris cette année chez Belnet.
Qui construira l’Internet de demain?
Quoi qu’il en soit, on se rend compte que dans notre pays, une grande partie de l’énergie académique et gouvernementale est consacrée à la technologie. La KU Leuven par exemple a créé une première Chaire en sciences quantiques, alors qu’en Wallonie, le centre de cybersécurité Idelux a ouvert un laboratoire de cryptographie quantique.
Professeur d’informatique Gilles Brassard: ‘Avec l’ordinateur quantique, l’Internet sera un livre ouvert’