L’analyste de marché Ken Hughes: ‘La connexion physique demeure nécessaire pour la créativité’

Ken Hughes © Rose Bainridge
Melanie De Vrieze Freelance

L’analyste de marché irlandais Ken Hughes avait inventé il y a quelques années la métaphore du blue dot consumer. Grâce à la technologie, les consommateurs restent plus que jamais au centre, tout comme le point bleu sur Google Maps. Non seulement ils consomment, mais ils font activement partie du processus

Mais l’avenir numérique peut aussi s’avérer dangereux, parce que les gens ne se connecteront plus. Et cela pourra être néfaste pour la créativité, selon Hughes qui s’est exprimé vendredi passé lors de l’événement Re:Connect d’AE. Hughes étudie la manière dont la technologie modifie le comportement ou la pensée humaine: ‘La façon, dont les gens se comportent en ligne, n’est qu’un élément parmi d’autres. Il s’agit surtout de la façon, dont la société évolue: les valeurs et le moral des gens, et les bases de notre mode de vie et de travail. C’est fascinant et cela l’est encore davantage avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Chaque année apporte quelque chose de neuf, qu’il s’agisse de nouveau hardware, software ou d’une nouvelle marque.”

Il y a quelques années, Hughes lançait la métaphore du blue dot consumer. ‘Ma génération a grandi avec les cartes de pays physiques. Nous étions un mini-élément d’un vaste monde et nous devions connaître les points de part et d’arrivée pour naviguer. Le blue dot consumer par contre est toujours au centre, tout comme le point bleu sur Google Maps. Nous y sommes si habitués que tout se passe d’un clic et d’un balayage, de manière impeccable et sans friction. Les consommateurs attendent que tout cela soit simplement à leur portée. Mes enfants s’amusent à m’entendre dire que nous louions des films autrefois, alors qu’aujourd’hui, Netflix les leur proposent directement. Ils ont un accès immédiat à tout.’

Remettre le client au centre est une promesse qui existe depuis assez longtemps déjà. La grande différence réside dans le fait que le client ne se trouve plus à la fin du trajet, mais fait à présent partie du processus. Les clients consomment non seulement plus, mais ils collaborent avec des marques. ‘Nous évoluons du modèle de consommation passif au modèle actif . Ce que les marques disent sur elles-mêmes, n’est plus intéressant. Voilà pourquoi les entreprises doivent en revenir à ce que Simon Sinek qualifie de ‘why’: pourquoi faites-vous des affaires? Pour gagner le plus d’argent possible ou pour satisfaire les actionnaires, c’est dépassé. Pour adapter vos valeurs d’entreprise à celles du client, voilà ce qui est important.’

Excitant et dangereux

L’avenir numérique est excitant, selon Ken Hughes. Les milléniaux – la génération qui est passée de l’analogique au numérique – n’étaient encore que des précurseurs. La ‘Gen Z’ est la première génération à croître dans la réalité numérique, suivie de près par la ‘Gen Alpha’, née après 2010. “Alors que notre premier achat était des cassettes musicales, le consommateur de la génération Alpha achète une peau dans le jeu Fortnite. Il émet des valeurs virtuelles dans un environnement virtuel. Lorsque des gens me demandent si le métavers est encore loin, je réponds qu’il est déjà là. Les enfants vivent en effet déjà dans le métavers via Minecraft et Snapchat, même vous et moi le faisons via WhatsApp, Instagram ou Tinder. Ce sont là tous des environnements dans lesquels nous communiquons numériquement. L’algorithme contrôle notre vie. Netflix nous explique quoi regarder, LinkedIn où travailler, et Tinder de qui tomber amoureux.’

‘L’algorithme contrôle notre vie’

Pour Hughes, l’avenir numérique est également considéré comme terrifiant. L’effet dopaminergique des médias sociaux est aussi addictif que la cocaïne. ‘Il y a toute une génération qui grandit et qui devra faire face à des problèmes de dépendance plus tard dans la vie. Les entreprises de médias sociaux comme Instagram et TikTok alimentent cela aussi. De nombreuses chambres d’écho sont créées, l’algorithme rétrécit le champ de vision. Ajoutez à cela l’IA et les hyper-trucages (‘deepfakes’) et vous obtenez un endroit qui peut être dangereux. Les mondes virtuels dans lesquels nous vivons, nous apportent de plus en plus profondément du numérique et de moins en moins de physique. Cependant, l’interaction physique est importante pour la créativité. Nous ne devons pas perdre cette connectivité.’

Lors de sa présentation à l’événement Re:Connect d’AE, Hughes a approfondi l’innovation, la créativité et la relation entre le risque et la flexibilité: ‘Chaque entreprise veut des collaborateurs créatifs, mais on leur confie des modèles et des processus, ce qui est tout le contraire de la créativité. Rappelez-vous ce qu’Einstein disait: creativity is intelligence, having fun. Il nous faut utiliser notre intelligence, mais aussi nous amuser et prendre des risques.’

Sortir de la zone de confort

Un jour que Hughes était sur la plage avec ses enfants il y a quelques années, deux sauveteurs leur ont parlé du courant marin auquel on est confronté dès qu’on entre dans la mer. ‘On ne peut pas s’y opposer. Il faut sortir latéralement du courant en nageant, mais si on est en train de se noyer, il est étrange d’agir ainsi. On veut en revenir à ce qu’on sait, parce que c’est confortable. C’est là une bonne métaphore à utiliser pour les entreprises. Parfois, on prend une direction qui peut sembler mauvaise, mais il faut aller de l’avant. Certaines choses fonctionneront, d’autres non, mais nous devons faire preuve de courage et de ténacité pour nous orienter dans une nouvelle direction.’

‘Plus les gens sont exposés à différents stimuli, plus ils génèrent d’idées’

Il recommande également aux entreprises de faire réfléchir leurs employés à ce qu’ils font dans leur vie quotidienne pour utiliser leurs muscles créatifs, comme jouer d’un instrument, peindre ou dessiner. ‘En entreprise, on recrute un certain type de personne, un penseur logique non créatif par nature. Mais si on reste dans le même environnement, entouré des mêmes personnes avec les mêmes motivations, pourquoi est-on étonné alors que rien ne change? Plus les gens sont exposés à différents stimuli, plus ils génèrent d’idées. Il suffit de regarder ce qui s’est passé pendant le covid, quand on était tous assis à la maison. Notre moteur de créativité en matière d’innovation est passé en deuxième ou troisième vitesse. Nous ne sommes plus les penseurs aiguisés que nous étions.’

C’est pourquoi Ken Hughes a réalisé une expérience, où il tentait quelque chose de nouveau tous les jours pendant un an, comme le parachutisme ou l’escalade. Spectaculaire certes, mais ce sont de petites choses qu’il a trouvé les plus intéressantes. ‘Que faites-vous lorsque vous êtes assis devant votre ordinateur portable toute la journée un mercredi pluvieux? Le secret est de chercher de nouvelles possibilités dans ce qui existe. On est tous occupés, mais on a néanmoins plus de temps dans une journée qu’on ne le pense. Si on continue à chercher jour après jour, semaine après semaine, on commence à voir l’environnement existant différemment. On acquiert de plus en plus d’expériences, qui nourrissent à leur tour une façon différente de voir le monde et conduisent à plus de créativité et d’innovation. On apprend à prendre plus de risques, on dit oui partout et on est ouvert aux opportunités. On est nous-mêmes responsables de cette créativité.’

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