Une jeune pousse a promotionné des médicaments asservissants via les dossiers électroniques de patients

Els Bellens

Une startup spécialisée dans les dossiers électroniques de patients aux Etats-Unis, portant le nom de Practice Fusion, est liée à la crise d’opioïdes dans le pays. Son logiciel aurait incité des médecins à prescrire plus souvent de puissants analgésiques.

La crise d’opioïdes sévit dans les Etats-Unis depuis le début des années 2000 et serait responsable de dizaines de milliers de décès. A sa source, on trouve des analgésiques particulièrement asservissants, qui peuvent mener à une overdose en cas d’utilisation de longue durée ou abusive. En 2017, un nombre record de 47.600 personnes sont décédées des suites d’une overdose de calmants opioïdes, comme il ressort des chiffres publiés par les Centers for Disease Control and Prevention américains. Purdue Pharma, propriété de la riche famille Sackler, entre autres a déjà été accusée de campagnes trompeuses à propos de médicaments, dont l’analgésique Oxycontin.

Voici qu’à présent, le nom d’une petite startup médicale apparaît dans cette crise. Practice Fusion – c’est elle dont il s’agit – créait des dossiers électroniques de patients qui étaient surtout populaires chez les médecins indépendants, via une plate-forme basée sur le nuage, supportée par de la publicité. La petite entreprise a été fondée en 2005 et a recueilli plus de 150 millions de dollars de capital de la part notamment de Founders Fund, Kleiner Perkins et Artis Ventures. En 2018, elle fut revendue à son homologue Allscripts.

Durant son existence indépendante, la jeune pousse a conclu entre autres un contrat avec une grande firme de calmants opioïdes, selon la Justice américaine. Cette firme n’est temporairement pas encore nommément citée, mais il s’agirait, selon l’agence de presse Reuters, de Purdue Pharma. Practice Fusion aurait reçu de l’argent pour inciter subtilement des médecins, par le truchement de son logiciel, à prescrire plus souvent des analgésiques. Cela se passait comme suit: dans le dossier électronique du patient, le médecin voyait s’ouvrir une fenêtre émergente posant la question de savoir quel était le degré de souffrance du patient. Dans un menu déroulant, le médecin découvrait ensuite une série d’options, dont une référence à un spécialiste antidouleur ou à une prescription pour des calmants opioïdes. D’une simple pression sur un bouton, le médecin pouvait aussi générer un mode de traitement automatique.

Selon le site d’actualité Bloomberg, la fenêtre émergente s’ouvrit à 230 millions de reprises entre 2016 et 2019. L’objectif était manifestement de promouvoir l’utilisation des analgésiques et ce, en pleine crise sanitaire. En 2016, le ministère américain de la santé élabora de nouvelles directives pour le traitement des patients souffrant d’un mal chronique. On y recommandait surtout des meures alternatives, et là où des opioïdes étaient nécessaires, l’accent fut désormais mis sur des versions à effet plus rapide de médicaments moins asservissants. Practice Fusion continua cependant de promouvoir les versions à effet plus lent et ce, en concertation avec l’entreprise pharmaceutique.

Selon des documents judiciaires fuités de l’état du Vermont, Practice Fusion exigea le versement d’1 million de dollars au producteur pharmaceutique pour la fenêtre émergente. La startup a à présent été condamnée à verser 145 millions de dollars, dont 26 millions pour une amende judiciaire, et 119 millions pour liquider les procès en cours. Practice Fusion est accusée d’avoir encore introduit dans son logiciel treize autres promotions pour des firmes pharmaceutiques. Il s’agirait de la première condamnation criminelle impliquant un vendeur de dossiers électroniques de patients.

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