Tim Christiaens
Un vendredi sans e-mail a-t-il encore un sens?
Aujourd’hui, on en est à la onzième édition du vendredi sans e-mail. “Chaque initiative qui stigmatise notre asservissement à l’e-mail est bien entendu la bienvenue, mais ce genre d’action en vaut-il encore bien la peine?”, se demande Tim Christiaens. Et de recommander de fixer surtout des accords à propos des temps de réponse et ce, quelle que soit l’application.
On vit à présent dans un monde, où les applis tentent de vous rendre la vie la plus agréable possible. D’une part, elles vous permettent de gagner et temps et de l’énergie, et d’autre part, votre smartphone peut vous servir de guide virtuel. Votre living, vos toilettes, votre voiture, voire le restaurant se transforment en bureau. Vos mails vous suivent en effet partout et toujours et donc, vos collègues, clients et autres veillent à ce que vous restiez constamment en contact. Les effets ne sont pas à sous-estimer, puisque cela débouche sur une absence totale de capacité de concentration. L’accessibilité permanente s’apparente donc à un réel problème de productivité sur le lieu de travail.
Couteau suisse
Cela n’est pourtant que de la petite bière en comparaison avec ce qui se passe en Asie. C’est ainsi qu’en Chine, tout le monde, et de loin, ne possède pas une adresse e-mail. Pour les messages professionnels et privés, les Chinois recourent à Wechat. Cette forme asiatique de WhatsApp dispose depuis 2018 de plus d’un milliard d’utilisateurs. Elle permet de payer, de se connecter, de réserver une table dans un restaurant, de convenir d’un rendez-vous avec un médecin et sert depuis peu aussi de carte d’identité virtuelle. Mais il y a une fameuse anguille sous roche.
WeChat est actuellement devenu un incontournable couteau suisse, lorsqu’on visite la Chine. C’est ainsi que de nombreux moyens de communication occidentaux y sont depuis des années déjà inutilisables en raison du sinistre Great Firewall. Je fus moi-même rapidement confronté à la dynamique de WeChat lors d’un changement de dernière minute de mon vol d’Hongkong vers Shanghai. En raison d’une erreur système au sein de la compagnie aérienne, ma valise était sur le point de suivre assez étrangement un autre trajet. Lorsque je signalai qu’il serait bien que je récupère mes affaires en soirée, la préposée au guichet de check-in prit une photo de ma Samsonite rouge vif. Une seconde plus tard, ses collègues à Shanghai avaient reçu la photo via WeChat et veillèrent à ce que ma valise, malgré l’étiquette bagage fautive, arrive quand même à bon port. Quelle différence avec une situation vécue six mois avant. Lorsque j’arrivai à Chypre durant l’automne 2017 pour participer à un atelier, ma valise était encore et toujours restée à Bruxelles. Au bout de deux documents, cinq courriels et trois coups de fil, British Airways fit en sorte que ma valise arrive à Chypre le… lendemain.
Sans WeChat, il n’est donc tout simplement pas possible de faire des affaires en Chine. Il en résulte que tant vos clients que vos amis envoient des messages via la même appli. Les expatriés se plaignent amèrement des centaines de messages qu’ils reçoivent chaque jour que compte la semaine. Conséquence: la scission entre le travail et le privé est devenue un lointain souvenir pour beaucoup de Chinois. A tel point que l’indispensable outil de communication s’est mué en un véritable cauchemar pour certains.
Moyen-âge technologique
Les applis caractérisées par un facteur perturbant encore plus élevé sont en tout cas annoncées. Klaus Schwab l’avait en 2016 déjà souligné lors de son Forum Economique Mondial: ‘Nous sommes à la veille d’une révolution technologique qui va changer notre vie, notre travail et nos relations réciproques.’ Aujourd’hui, nous sommes en train de connaître ce véritable séisme. C’est ainsi que WhatsApp a en 2018 déployé son modèle commercial avec diverses applications pour le marché professionnel.
Un vendredi sans e-mail a-t-il encore un sens?
Pourrait-il donc y avoir quelque chose d’encore pire qu’une boîte mail surchargée? Bien sûr dans la mesure où l’always-on (toujours connecté) est devenu aujourd’hui la nouvelle normalité, mais selon des experts, nous vivons à présent encore au moyen-âge technologique. C’est ainsi que bientôt, nous porterons toujours plus de ‘wearables’ et que la technologie ne fera sans cesse plus qu’un avec notre corps. Cela engendrera des tas d’avantages, mais il n’est pas anodin de réfléchir aux inconvénients potentiels. Il est donc urgent d’apprendre à utiliser de manière sensée les nouvelles applications, surtout en fonction de notre productivité. On l’observe déjà: les accords à propos du trafic e-mail par exemple ne seront peut-être bientôt plus pertinents. En outre, il pourrait s’avérer plus judicieux de convenir avant tout d’accords à propos des temps de réponse et ce, quelle que soit l’application.
‘Always-on’
Quoi qu’il en soit, la culture du toujours connecté (‘always-on’) nous causera des problèmes tôt ou tard. Ces dernières années, nous avons été submergés d’ouvrages consacrés à la recherche sur le cerveau humain. Des neuro-chercheurs du monde entier nous mettent en garde contre les effets de la culture ‘always-on’, notamment ‘l’absence possible de réflexion’. La conclusion de ces ouvrages, c’est qu’il faut sciemment se déconnecter pour pouvoir méditer sur certaines choses.
Même si d’aucuns prétendent que la technologie e-mail ‘dépassée’ telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a plus longtemps à vivre, nous continuerons sans doute à lire nos courriels au moins une décennie encore. La question est de savoir comment pouvoir utiliser tous les outils technologiques actuels, mais aussi futurs de manière productive. Aujourd’hui, il semble que nous ayons perdu le contrôle et que nous voulions rester en contact permanent comme des névrosés que nous sommes. Voilà qui réduit notre productivité à quasiment rien.
Une exigence absolue, c’est que ces applications se muent en outils qui accroîssent notre productivité, plutôt que de la réduire. De plus, nous devons nous poser la question de savoir dans quelle mesure les entrepreneurs, managers, team leaders et collaborateurs pourront ensemble veiller à ce que nous bénéficions encore d’un espace de réflexion au bureau. Cela me semble plus utile qu’un vendredi sans e-mail.
A propos de l’auteur: Tim Christiaens est le fondateur de Time Management Company et un expert en productivité. Début 2019 sortira son deuxième livre intitulé Dive at Work.
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