THAT’S ALL RIGHT

“Well, that’s all right now Mama, That’s all right for you”, chantait Elvis Presley en 1954.

Dans l’Union européenne, la chanson est libre de droits depuis le 1er janvier, au grand dam de l’International Federation for the Phonographic Industry (IFPI). L’IFPI fait pression sur la Commission européenne pour porter la protection du copyright des interprètes de 50 à 70 ans, voir à 95 ans comme aux Etats-Unis. Si le ‘copyright’ des auteurs et interprètes est protégé pendant 95 ans en Amérique, c’est en raison de l’intense lobbying mené par Disney Corporation, qui aurait autrement perdu cette année la lucrative exploitation commerciale de Mickey Mouse. Disney a d’ailleurs déclaré avoir distribué en 1997-1998 plus de 6 millions de dollars de fonds de campagne aux politiciens qui ont fait adopter la prolongation. La loi américaine Sonny Bono Copyright Term Extension Act de 1998 a suscité de vives critiques. “The Mouse That Ate the Public Domain”, titrait un site web. Les opposants au texte se sont adressés à la Cour Suprême, mais celle-ci a jugé que la mesure était conforme à la constitution des Etats-Unis. Ce rétrécissement unilatéral du domaine public par les Américains cause nombre de difficultés sur l’internet. Les conditions sont en effet différentes dans d’autres pays. En Russie, par exemple, toutes les oeuvres datant d’avant 1970 font partie du domaine public. L’Union européenne protège l’auteur pendant 70 ans et l’interprète pendant 50 ans. En Australie, le délai est de 50 ans, mais il devrait y avoir du changement dès l’an prochain. Dans le cadre d’un traité commercial avec les Etats-Unis, en effet, l’Australie doit prolonger à 70 ans la protection des oeuvres américaines. C’est d’ailleurs par le biais d’accords bilatéraux que les Américains tentent d’imposer au niveau international leur délai de protection plus long. Conséquence: les sites web qui présentent des oeuvres du domaine public, sont embarrassés. Le projet Gutenberg, par exemple, publie sur l’internet des livres numérisés dont les droits ont expiré. Le département australien a ainsi mis en ligne cette année Gone With the Wind (Autant en emporte le vent), le classique de 1936. Mais les héritiers de Margaret Mitchell, l’auteur depuis longtemps décédée, ont lâché leurs avocats sur le bureau américain du Projet Gutenberg. Motif: violation de la législation américaine sur le copyright. Gone With the Wind a donc disparu des serveurs Gutenberg, bien que l’oeuvre soit librement diffusée en Australie. Les serveurs australiens contiennent d’ailleurs plus de 300 ouvrages encore protégés aux Etats-Unis, mais non aux antipodes. Les auteurs de ces livres, parmi lesquels Hitler et son Mein Kampf, ont des descendants apparemment moins vigilants. L’internet ne connaît pas de frontières, mais le Projet Gutenberg, une affaire de bénévoles, n’a pas les moyens de s’opposer à ces discutables revendications. Résultat: les droits des non-Américains sont violés sans que l’on puisse y faire grand-chose. Comme on dit aux Etats-Unis, “Money talks, shit walks”. Un domaine public solide est pourtant très important pour la créativité des artistes. “Bien volé vaut mieux que mal inventé”, entend-on souvent dans ces milieux. Des pans entiers de l’oeuvre de Shakespeare (Roméo et Juliette, les drames royaux) s’inspirent de travaux antérieurs. On peut d’ailleurs en dire autant des Disney les plus célèbres. Blanche-Neige, Cendrillon, Pinocchio, Le Bossu de Notre-Dame et Alice au Pays des Merveilles reposent tous sur des oeuvres du domaine public. Disney a sorti Le Livre de la Jungle exactement un an après l’expiration des droits de Rudyard Kipling. Il est paradoxal de voir le même Disney se rendre indirectement responsable d’une possible contraction du domaine public.

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