Andrew Vaz (Dell): ‘Open RAN s’avère plus contraignante pour les acteurs télécoms en place’

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Pieterjan Van Leemputten

L’architecture Open RAN est depuis quelques années déjà considérée comme le graal pour les acteurs télécoms. Fini pour eux de dépendre des grands acteurs de réseau! Mais comment l’atteindre et comment un acteur non-télécom en vue tel que Dell se positionne-t-il sur un marché qui éclate progressivement?

Lors du salon MWC, Data News s’est entretenu avec Andrew Vaz, vicepresident product management de Telecom Systems Business chez Dell Technologies. Il nous  a fourni des informations détaillées sur la tendance Open Radio Access Networks (Open RAN) ou vRAN (RAN virtualisé, capable de tourner sur du matériel standard).

Quelle est la position de Dell vis-à-vis d’Open RAN. Etes-vous un fournisseur de matériel ou prestez-vous d’autres services aussi?

VAZ: Dell est une grande adepte du mouvement vers une architecture RAN virtualisée sous quelque forme que ce soit. Qu’il s’agisse d’une RAN virtuelle d’Ericsson, de Nokia, de Samsung ou de Mavenir, ou d’une Open RAN de n’importe qui d’autre. De notre point de vue, la différence, c’est qu’aussi longtemps que les CPU seront virtualisés, nous utiliserons une puissance de calcul que nous pourrons distribuer aux quatre coins du réseau. Et cela se rapproche nettement du cœur de nos activités.

Andrew Vaz.

Nous aimerions gagner l’edge, soit sur site dans les grandes entreprises, soit dans les télécoms, où nous distinguons un grand besoin, parce que c’est un secteur qui possède nombre de sites périphériques.

Avez-vous déjà été impliqués dans des réseaux avec vRAN?

VAZ: Nous y travaillons actuellement avec quelques grands opérateurs, comme Dish. Nous les avons aidés avec des milliers de serveurs sur leurs sites. Idem avec Vodafone. Nous collaborons ainsi avec des dizaines d’acteurs qui optent pour les solutions virtualisées.

Cela peut se faire de manière distribuée, mais on voit au Japon par exemple aussi beaucoup d’applications RAN centralisées. Nous avons également déjà construit des serveurs répondant spécifiquement aux besoins du ‘rugged edge’, car plus vous vous rapprochez de la périphérie du réseau, plus souvent vous aboutissez dans d’autres environnements.

Comme des endroits reculés ou d’accès malaisé nécessitant un pylône d’antennes?

VAZ: Oui, ce genre de choses. C’est pourquoi nous avons également changé le concept de nos serveurs. Nous avons ainsi adapté l’infrastructure électrique et fabriqué des serveurs modulaires: tout se trouve à présent en façade pour un accès aisé. Ils sont aussi robustes avec chauffage possible, afin de pouvoir démarrer dans des environnements froids et y travailler.

Open RAN, est-ce possible sur le plan technique? Certainement. Mais la vitesse à laquelle chaque opérateur le fera, dépend de chacun d’eux et de son planning financier en la matière.

Nous collaborons même avec une entreprise en vue de proposer une armoire dotée d’un refroidissent à eau dans certaines circonstances. En fait, nous mettons là en œuvre notre expertise en matière de puissance de calcul et notre connaissance du cloud en combinaison avec notre savoir-faire télécom. Nombre de membres de mon équipe proviennent d’ailleurs du monde des opérateurs télécoms.

Quelle est la place d’Open RAN chez les acteurs télécoms? On en parle depuis assez longtemps déjà, mais dans la pratique, y compris en Belgique, on se rend compte que beaucoup d’opérateurs se limitent aux acteurs de réseau classiques. Y a-t-il des pays où cela est différent?

VAZ: Je ne parlerais pas de répartition par région ou par pays, mais de deux types d’environnements: ‘greenfield’ vs. ‘brownfield’ (nouveaux acteurs vs. acteurs à infrastructure existante). Un nouvel acteur, comme Dish ou Rakuten, recourt à cloud native vRAN ou Open RAN.

Donc Open RAN est surtout réservée aux nouveaux venus?

VAZ: Pour les nouveaux acteurs qui construisent de façon plus moderne. Là où les acteurs existants (‘brownfield’, ndlr) doivent passer par une transformation. Open Ran ou vRAN s’avère par conséquent plus contraignante pour les acteurs en place, car ils disposent de réseaux existants nécessitant une transformation cloud. Cela signifie consolider des décennies de travail, en ce compris leurs opérations, la culture d’entreprise,… Nous le constatons du reste sur divers marchés, comme le secteur aérien ou pharmaceutique.

Les télécoms sont l’un des derniers bastions à ne pas avoir encore adopté ce type de technologie, et à juste titre. La nature critique de leurs réseaux fait qu’elles doivent recourir à une approche approfondie.

Mais on voit à présent que cela bouge. Même les acteurs ‘brownfield’ nous demandent comment procéder. Ils veulent accélérer, aborder le marché de manière plus agressive, innover plus rapidement et tirer parti des avantages de l’économie du cloud qu’ils voient dans d’autres secteurs.

Cela va-t-il amener aussi de nouveaux types de clients ou d’activités?

VAZ: La tendance est que les acteurs professionnels tiennent à présent les propos suivants: ‘J’ai besoin de certains éléments de votre macro-réseau pour mon business.’ Pensez par exemple au secteur automobile. Quelqu’un de ce secteur nous a déclaré tout de go: ‘Je ne vends plus de voitures, mais des appareils IoT mobiles, qui intègrent 7 à 9 systèmes, dix à cent millions de lignes de code, et je réfléchis donc aussi à la manière de mettre en œuvre l’accès à ces appareils sur roues.’ Cela passe par l’obtention d’énormes quantités de données télémétriques des voitures, par le déploiement de vastes mises à jour avec une certaine SLA et une vitesse permettant d’y arriver.

Dans ce cas, on n’est pas en train de mettre en place quelque chose sur un site d’entreprise fixe, mais bien au-delà. C’est là qu’on découvre souvent d’intéressants use cases. Certaines grandes entreprises disposent depuis quelque temps déjà de ce genre de technique, pleinement agile, avec des modèles devops, dont le point de départ est que leur partenaire télécom recourt à la même approche, urgence et vitesse qu’elles.

Telles sont les différentes pièces du puzzle qui conditionnent à présent le secteur télécom, dont également RAN et Open RAN. Selon moi, il s’agit là d’une transformation horizontale visible dans le cœur de métier, sur les applications périphériques, dans RAN, mais chaque fois à un tempo différent.

Davantage besoin de puissance de calcul en périphérie, moins besoin de matériel spécifique au vendeur. Voilà qui offre à Dell une position favorable dans le paysage télécom, non? 

VAZ: Oui, c’est une excellente opportunité pour Dell, et nous nous y focalisons donc. Nous aimons collaborer avec des opérateurs télécoms, parce qu’ils constituent une grande partie de l’edge, dont ils peuvent faire une réalité.

Dell est-elle également active dans les réseaux 5G privés? Ou est-ce plutôt quelque chose réservé à d’autres à qui vous fournissez des services ou du matériel?

VAZ: Pour la pile de logiciels, nous concluons des partenariats avec plusieurs acteurs. Juste avant le MWC, nous avons encore annoncé un partenariat avec Nokia. Cette firme est le numéro un du marché de la 5G privée dans plusieurs segments verticaux, ce qui nous rend très enthousiastes en tant que fournisseur d’infrastructures. Cela est aussi étroitement lié à notre capacité de travail professionnelle.

Doit-on comprendre que ce genre de partenariat est à présent conclu plus souvent qu’avant, lorsque tout un chacun s’occupait davantage de ses propres affaires?

VAZ: Dans le cadre de pareilles collaborations, nous améliorons nos points forts mutuels. Les partenaires créent une excellente solution en matière de mobilité privée, et nous, nous disposons de solutions d’infrastructure, ce qui se traduit par de solides partenariats.

Open RAN est-elle aujourd’hui plus facile à réaliser avec la 5G qu’avec la 4G? Peut-on à présent remplacer un acteur de réseau classique avec du matériel plus général ou cela reste-t-il une vision?

VAZ: Il convient de nuancer. Y a-t-il des vendeurs qui développent leur réseau d’une manière ouverte et scindée? Oui, cela existe et cela marche. Peut-on déployer un réseau de façon ouverte et virtualisée? Assurément, cela existe aussi dans le monde réel.

Open RAN, ce n’est pas uniquement la question d’utiliser une autre technologie. Etes-vous prêt à changer votre mode d’exploitation? Disposez-vous à cette fin du personnel ad hoc?

La question-clé que nous rencontrons dans nos entretiens avec les opérateurs, porte sur les acteurs ‘brownfield’: êtes-vous prêt à changer votre fusil d’épaule? Car après tout, il ne s’agit pas uniquement d’utiliser une autre technologie. Y a-t-il sur site des gens capables de gérer une pile cloud? Ou d’autres qui peuvent mettre en œuvre la couche CAS (Container Attached Storage)? Ou d’autres encore qui, dans une environnement virtuel, peuvent travailler sur un CAS, sur un serveur?

Il n’est par conséquent pas seulement question d’équipement, mais aussi de personnel disponible?

VAZ: Oui, il convient également de comprendre l’environnement RAN même. Les compétences, c’est un élément. Et l’aspect économique en est un deuxième. Est-il judicieux pour l’opérateur que vous êtes de vous transformer et quand sera-ce le moment opportun de le faire?

AT&T a annoncé qu’elle se lancerait dans Open RAN avec Ericsson et Dell. Voilà un bel exemple d’envisager l’avenir. ‘Nous voulons être prêts d’ici X ans’, affirment ces entreprises. Et elles ont de solides exigences pour ce faire, car elles desservent quelques-unes des plus grandes villes d’Amérique du Nord.

Il s’agit de réfléchir au nombre de serveurs nécessaires, mais aussi de voir s’il est possible de le diminuer de moitié en utilisant la prochaine génération de chipsets d’Intel. Voilà le genre de modèles économiques que vous pouvez commencer à développer avec le temps, et voilà la réflexion à avoir sur la date retenue pour le passage. Tel est le pari effectué actuellement par de nombreux opérateurs. Est-ce possible sur le plan technique? Certainement. Mais la vitesse à laquelle chaque opérateur le fera, dépend de chacun d’eux, de sa zone et de son planning financier en la matière.

Est-ce justement le fait qu’il faille une telle connaissance technique, en soi un obstacle où l’IA pourrait contribuer à adoucir la transition?

VAZ: Nous collaborons à présent avec une entreprise, Aira Technologies, qui dispose du produit ‘RANGPT’, qui est un peu le ChatGPT pour l’architecture RAN. Le genre de produit offrant d’énormes possibilités pour faire tourner plus facilement une RAN.

Mais tout ce qui a trait au TCO, exige aussi pas mal de travail: de quoi former l’IA ou recourir à l’apprentissage machine en matière d’opérations radio et déterminer ainsi si votre radio est utilisée de manière suffisamment efficiente. Sur base des données de formation, il sera peut-être possible de fournir plus ou moins de capacité. Il en ira de même du courant pour les serveurs.

Chez nous, nous avons réalisé une démonstration avec Calsoft. Celle-ci a développé un logiciel permettant de tirer des données télémétriques de nos serveurs. Cela nous permet d’avoir une vision complète de ce qui se passe sur ces derniers. En cas de formation, si on constate par exemple que le CPU n’est guère utilisé, il est possible de transférer un BIOS optimalisé vers le serveur pour économiser du courant.

Avec SDN (Software Defined Networks), il est subitement possible d’opter pour des choses très créatives et de les faire tourner plus rapidement en cas de besoin, ou de déplacer ailleurs sur le réseau une charge de travail exigeant beaucoup de ressources.

A mon avis, on va assister à une profusion d’IA, d’apprentissage machine et d’algorithmes qui étudieront les données et effectueront du travail autonome. Telle sera la réalité, et nous nous y préparons d’ores et déjà chez Dell.

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