Space Applications et LG introduisent le smartphone dans l’ISS

© ESA
Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

Le spécialiste belge du spatial Space Applications vient d’installer, en collaboration avec LG, un smartphone comme outil de travail à bord de la navette spatiale internationale ISS. ” Les astronautes sont plus mobiles s’ils peuvent lire leurs instructions sur l’écran d’un smartphone. “

Le nom de Space Applications ne vous dit sans doute pas grand-chose et c’est bien dommage car ce spécialiste belge de l’espace développe des technologies ultra-pointes en étroite collaboration avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et son pendant américain la Nasa. Robotique, logiciels de navettes spatiales, projets de type futur conceptuel, interaction homme-machine : autant de domaines parmi d’autres sur lesquels se penche l’entreprise de Zaventem.

L’un des projets que s’est vue confier Space Applications par l’ESA et l’European Space Research and Technology Centre (ESTEC) porte sur la mise au point d’outils collaboratifs destinés à faciliter le travail des astronautes. Rien de surprenant au fait que les astronautes consacrent une grande partie de leur temps à la réalisation d’expériences scientifiques. Pour mener à bien ces missions, nos astronautes reçoivent des instructions et sont tenus de respecter certaines procédures.

Depuis de longues années, ces manuels sont fournis au standard ODF (Operations Data File), ce qui permet d’éviter toute confusion et de permettre aux hommes de l’espace de comprendre correctement les instructions. Au départ, ces fichiers ODF pour astronautes étaient disponibles sur papier, avec l’inconvénient de devoir transporter et manipuler des ouvrages complets. Mais dans les années ’90, l’ordinateur portable a fait son apparition, rendant ainsi les instructions plus mobiles. Et aujourd’hui, c’est au tour des smartphones et autres wearables utilisés pour transmettre facilement les instructions.

“Dans le cadre du projet Mobile Procedure Viewer ou MobiPV, nous avons étudié la manière de présenter les procédures ODF sur de nouveaux types d’appareils, car si les laptops sont certes mobiles, il n’est guère pratique de transporter partout de tels ordinateurs lorsque l’on se déplace dans une navette spatiale”, précise Keshav Chintamani, chef de projet chez Space Applications.

Du smartphone à la smartwatch

Le système WEAR fait partie des innovations déjà testées. Il s’agit de lunettes futuristes de type Hololens qui présentent à l’astronaute les instructions en réalité augmentée. Supposons que vous deviez enlever 4 vis à un certain endroit : la couche de réalité augmentée vous montre où se trouvent les vis en question. Le Belge Frank De Winne avait déjà testé ce système lorsqu’il se trouvait à bord de l’ISS.

Si les laptops sont certes mobiles, il n’est guère pratique de transporter partout de tels ordinateurs lorsque l’on se déplace dans une navette spatiale

Un autre appareil en cours d’expérimentation est le smartphone, mais pas associé à une caméra ou à des lunettes Google Glass. Dans la configuration testée en septembre 2015 pour le programme Mobile Procedure Viewer, le smartphone avait été transformé en une super-montre intelligente qui faisait office de ‘serveur central’ recueillant l’ensemble des données, qu’il s’agisse des instructions ODF (transmises au départ d’un laptop dans l’ISS via Wi-Fi vers l’écran du smartphone) et des images vidéo provenant de la caméra installée sur le front de l’astronaute.

L’appareil choisi par Space Applications pour le test était le Nexus 5 développé par LG et Google. Ce Nexus 5 n’est pas le premier smarphone à voyager dans l’espace (il s’agissait du Samsung Galaxy Nexus S), mais bien le premier appareil à être utilisé à des fins concrètes de recherche. “Nous savions que le Nexus 5 conviendrait, ne serait-ce que parce qu’il est piratable, sourit Chintamani. C’est important dans la mesure où il faut pouvoir lui faire faire des choses que d’autres smartphones ne peuvent faire, comme y brancher une caméra externe.”

L’avantage du Nexus est de tourner une version de stock d’Android, sans couche spécifique du fabricant. Ce faisant, une entreprise comme Space Applications peut plus facilement se l’approprier puisque le téléphone est beaucoup plus ‘ouvert’.

Défis

Avant que le Nexus 5 puisse être embarqué dans l’espace, il a toutefois fallu trouver des réponses absolues à quelques spécifications majeures définies par l’ESA. “Ainsi, un écran en verre n’est pas autorisé à bord d’une station spatiale car s’il casse, il explose et des milliards de particules de verre se dispersent dans les zones de vie et de travail des astronautes.”

Autre problème, celui des fréquences radio. 3G, GSM, Bluetooth : les fréquences sur lesquelles reposent ces standards peuvent interférer avec les équipements de la station et doivent donc être exclues.

“Une troisième question concernait la batterie, ajoute Jeroen Peeters de LG Belgique. Il existe un risque que les batteries lithium-ion explosent dans l’espace, ce qui n’est évidemment pas admissible.” Les responsables de la sécurité de l’ESA ont dès lors exigé de pouvoir tester 20 batteries du même lot de fabrication de Nexus 5. Dans ce lot, 3 ont été sélectionnées au hasard et soumises à rude épreuve (jusqu’à être mises dans un four) pour vérifier si elles pouvaient résister et ne pas exploser.

Les batteries ont été mises à rude épreuve pour vérifier si elles pouvaient résister et ne pas exploser

“J’ai dû contacter la R&D en Corée pour leur demander des renseignements très spécifiques, poursuit Peeters. Notamment sur la manière dont sont construites les batteries, sur le nombre de cellules qu’elles renferment et sur les composants utilisés pour leur fabrication. Mon propre employeur pensait que je me livrais à de l’espionnage (rire).”

Lorsque la valeur du contrat a commencé à être connue chez LG, Jeroen a bel et bien reçu les informations demandées. Et lorsque l’on a appris que la 3G et le GSM pouvaient être bloqués en mettant l’appareil en mode avion et qu’une couche de téflon pouvait être apposée sur l’écran du Nexus 5, l’appareil a finalement été ‘agréé’ par l’ISS. “Le rechargement de la batterie a également posé problème, note encore Chintamani. Car si l’alimentation en électricité était prévue dans la navette, nous devions encore prouvé par différents tests que le téléphone ne surchargerait pas les fusibles lors d’un rechargement, ce qui aurait été catastrophique.”

Base journalière

Au final, l’équipe de Space Applications aura reçu 1 h pour tester son projet de Nexus 5 en septembre. “Comme prévu, l’appareil a été utilisé durant ce test pour afficher les procédures et pour communiquer, le cas échéant via la caméra connectée. Tout s’est fait au départ d’une simple appli Android que l’on peut également faire tourner sur un système Unix. Comment la communication s’établit avec la Terre ? Le laptop central dans l’ISS avec lequel est relié le Nexus 5 communique avec un ordinateur au Centre Européen des Astronautes à Cologne, explique encore le responsable d’équipe. La communication proprement dite se fait par le système TDRSS de la Nasa, un système de satellites militaires qui supporte la communication sans fil en TCP/IP.”

Le smartphone utilisé pour le test MoviPV était un appareil vendu dans le commerce . “Nous voulons voir dans quelle mesure il était possible d’utiliser un produit commercial classique. En effet, les astronautes ont eux aussi besoin d’une bonne usability et d’une user experience irréprochable. Ce sont des domaines où les investissements ont importants. Nous voulions donc laisser l’appareil tel qu’il est.”

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