“Qui veut encore se battre pour IBM dans de telles circonstances?”

IBM Belgium va supprimer d’ici la fin de l’année 233 de ses 1.498 emplois dans notre pays. Dans une lettre ouverte – tout à la fois inhabituelle et sincère -, le personnel de l’entreprise technologique fait entendre sa voix: “Même recevoir un carnet de notes devient mission impossible.”

L’année dernière, IBM Belgium avait annoncé la suppression de 233 emplois sur base d’un plan social à propos duquel des négociations débuteront bientôt dans le cadre de la Loi Renault.

Il fallait s’y attendre, même si IBM Belgium peut présenter d’excellents chiffres et que l’entreprise mère engrange aussi du bénéfice. Malheureusement, aucun résultat n’est suffisamment bon, lorsqu’on poursuit une indécente chasse au bénéfice et que l’on peut trouver ailleurs une main d’oeuvre nettement moins chère.

IBM Belgium, qui occupait encore 3.000 personnes au changement de siècle, est partiellement dégraissée en raison de divers règlement et prétextes inquiétants. C’est ainsi qu’il y a par exemple eu un ‘règlement de départs volontaires’ pour les personnes qui approchaient de l’âge de la retraite, un règlement qui revenait en fait à des licenciements.

En même temps, des collaborateurs étaient continuellement remerciés pour services rendus et ce, de manière discrète. Voilà comment on en arrive à un nombre de 1.300 personnes, compte non tenu des licenciements récemment annoncés.

Maintenant, ce n’est plus possible. Les ordres du général en chef sont formels: des gens doivent être licencié, parce que les ‘prétextes’ sont épuisé.

Heureusement, la Belgique bénéficie encore d’une solide protection. Contrairement aux Etats-Unis, il est ici impossible d’appliquer une période de préavis d’un seul mois. Il s’agit d’abord de négocier avec les syndicats.

Mais comment IBM en est-elle arrivée à une telle situation catastrophique?

En 1992 déjà, l’entreprise connaissait de gros problèmes. Mais Lou Gerstner, un directeur intelligent, réussit à remettre IBM sur les rails en se concentrant sur le développement de services.

Le monde n’est pas parfait, et Gerstner ne l’était sans doute pas non plus. Mais il avait une vision claire et introduisit le concept d”empowerment’, à savoir l’attribution de responsabilités à chaque acteur dans un domaine très clairement décrit. Il régnait alors une grande transparence, surtout au niveau des primes qui étaient combinées à des résultats tout aussi clairement décrits et fixés à l’avance.

Palmisano se focalisa de manière obsessionnelle sur le bénéfice par action

La situation commença à se détériorer avec l’arrivée de son successeur, Sam Palmisano. Il va de soi que la direction ne peut être tenue pour responsable de tous les tourments auxquels l’entreprise est confrontée aujourd’hui, mais quand même.

Il y eut par exemple l’histoire de l’externalisation (outsourcing), consistant en la reprise complète de départements IT de grandes et puissantes entreprises. Initialement, ce département outsourcing fut très rentable, mais les problèmes s’accumulèrent cependant bien vite.

Les clients en voulaient en effet toujours plus pour moins d’argent. Il en résulta que les ‘outsourcers’ se virent contraints de sous-traiter des activités dans des pays à bas salaires. Cette externalisation devint un modus vivendi et fut élargie à toutes les activités qui pouvaient être exécutées à l’étranger.

En outre, Palmisano a en grande partie scellé l’avenir d’IBM au moyen d’une politique toujours davantage issue du client même.

Il se focalisa de manière obsessionnelle sur le bénéfice par action et se fixa lui-même des objectifs inaccessibles: 10, puis 15, puis 20 dollars par action et ce, même si personne ne l’avait demandé.

Tout cela alla à l’encontre du développement de compétences au sein de l’entreprise, mais à l’encontre aussi d’un véritable service à la clientèle.

La ‘gestion par la scorecard’, ce tableau magique reprenant les résultats en trois couleurs: vert, jaune, rouge est devenu la règle d’analyse de la bonne santé de l’entreprise. Tout doit être vert, sans quoi les ennuis commencent.

Cela engendrait des mensonges cachés, mais largement répandus à chaque niveau, même si tout le monde le démentait, et cela entraînait des tas de mesure dommageables

Et le rouge, lorsqu’il apparaît, n’est jamais analysé. On ne se pose pas la question. Pourquoi le résultat est-il mauvais. L’analyse est: il faut être vert partout.

Cela engendrait des mensonges cachés, mais largement répandus à chaque niveau, même si tout le monde le démentait, et cela entraînait des tas de mesure dommageables. C’est ainsi que les dépenses étaient gelées toujours plus tôt dans l’année et que de précieuses formations techniques étaient subitement annulées, parfois même la veille, même si l’on passait ainsi à côté d’une opportunité unique qui risquait de ne plus se représenter.

L’entreprise se retrouve à présent avec une piètre direction incapable d’encore prendre ses responsabilités.

Un simple déplacement d’un employé d’une équipe vers une autre, approuvée par les deux managers concernés, doit même parfois passer par le siège central d’IBM à Madrid.

Quasiment personne ne prend encore des décisions. Les managers sont transformés en simples exécutants sans la moindre autonomie: leur moral est aussi bas que celui de leur personnel, et ils le cachent de moins en moins.

Alors que la croissance se ralentissait, Palmisano considérait encore comme un eldorado les pays en voie de développement, surtout les pays BRICS.

Mails s’en mordit vite les doigts: IBM éprouvait visiblement beaucoup de difficultés à s’y installer, avant que la direction ne soit confiée à Gini Rometty.

Il est clair que ce ne fut certainement pas un cadeau. C’est ainsi que Rometty fut confrontée à une croissance lente, allant de pair avec un échec dans les pays en voie de développement et avec une entreprise sans vision, à l’exception du bénéfice par action.

Gini mit au point une nouvelle stratégie basée sur les piliers du futur: la technologie ‘cloud’, les données massives (big data) et l’analytique.

Et pourquoi pas après tout? Une entreprise doit se renouveler et innover ou à tout le moins réagir aux tendances fortes.

Le personnel a l’impression que l’entreprise n’a jamais été moins maniable qu’aujourd’hui

Il n’est à coup sûr pas facile d’être le dirigeant d’une entreprise telle IBM. Le problème, c’est que le développement des nouveaux piliers est très lent, alors que les activités traditionnelles sont entre-temps abandonnées à leur sort.

A présent, Rometty semble prendre conscience de la grande paralysie de l’entreprise. Elle entend la rendre de nouveau ‘mobile’, et l’on ne peut pas lui en vouloir de cette décision.

Mais le personnel a pourtantême l’impression que l’entreprise n’a jamais été moins maniable qu’aujourd’hui.

Même le fait de demander un stylo à bille et un carnet de notes est devenu un parcours d’obstacles sur lequel plus personne n’a envie de s’essayer. C’en est devenu tout simplement risible.

Ajoutez-y le manque de reconnaissance, une politique des salaires qui n’en a que le nom, l’impuissance de maintenir longtemps au travail les jeunes recrues, et la concentration du pouvoir entre les mains d’une direction élitiste et aveugle qui est sûre d’elle et est incapable de déléguer ou d’écouter.

Qui veut encore se battre pour Big Blue dans de telles circonstances?

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