Bruno Segers

Qui s’opposera aux ‘numéripolistes’?

Bruno Segers Bruno Segers est CEO de la Start-up IrisPact SA; il a été à la tête de RealDolmen et Microsoft en Belgique: il a occupé différentes fonctions locales et internationales chez Lotus, IBM et Oracle et il est administrateur au sein de plusieurs sociétés belges innovantes.

Dans l’ancien monde, la vie privée et la sécurité constituaient deux règles de base, mais dans le nouveau monde, celles-ci sont devenues des vases communicants qui rendent particulièrement difficile toute prise de décision équitable.

“Où étais-tu le 22 mars ?”, est une question que nous entendrons encore fréquemment dans les prochaines années. Pour ma part, j’étais dans le Thalys entre Anvers et Amsterdam. Quelques minutes à peine après les explosions à Zaventem, les voyageurs prenaient connaissance sur leur smartphone ou tablette des premiers messages lancés sur les réseaux sociaux. Et dès mon arrivée en gare d’Amsterdam, je savais que mon voyage de retour poserait problème, au vu des annonces d’annulation des trains internationaux.

“Où étais-tu le 11 septembre ?” Cette question, je m’en souviens comme si c’était hier : dans une salle de réunion du bâtiment de Microsoft à Diegem où plusieurs collègues discutaient au moment où la directrice du marketing Veerle fit irruption en lançant cette question devenue légendaire : “Vous n’imaginez pas ce qui vient d’arriver ?”

Bien sûr que nous ne le savions pas, dépourvus de smartphone et de Wi-Fi. Seuls les collègues qui se trouvaient devant un écran assistaient à la scène. Dans une autre vie, tout le monde se serait réveillé avec plaisir à la vue d’une dame, mais les circonstances de l’époque ne s’y prêtaient pas.

Liberté d’expression et indécision risquent de devenir les deux nouveaux droits fondamentaux.

D’où cette question délicate : “A quand remonte le 11 septembre ?” Eh bien, c’était voici 15 ans, alors que beaucoup d’entre vous imaginent certainement que c’était voici 10 ans au maximum. Il a donc fallu 15 ans pour que l’on se rende compte que ‘cela’ pouvait également arriver chez nous à Bruxelles. En dépit du fait que ‘cela’ s’est entre-temps passé à Londres, à Madrid et à Paris, nous n’avions toujours pas pris les mesures qui s’imposent pour éviter que ‘cela’ se produise dans notre pays.

“Il est indispensable d’adapter les lois et règlements désuets qui constituent des entraves au déploiement de nouvelles technologies et des nouveaux modèles organisationnels qui en résultent”, estimant à juste titre la FEB. Rares sont ceux en revanche qui ont pris conscience que ces mêmes lois et règlements désuets doivent être adaptés pour éviter que les nouvelles technologies ne facilitent la destruction de modèles organisationnels.

Dans l’ancien monde, la vie privée et la sécurité constituaient deux règles de base, mais dans le nouveau monde, celles-ci sont devenues des vases communicants qui rendent particulièrement difficile toute prise de décision équitable.

L’absence de sécurité dans un cas génère une privation de vie privée dans l’autre. La droite et/ou la gauche continuent à avancer des arguments en faveur et en défaveur, de sorte que la liberté d’expression et l’indécision deviendront les deux nouveaux droits fondamentaux. Loin de moi l’idée de comparer l’EI à Google, Facebook ou Twitter, mais tous profitent largement du cadre législatif actuel pour se développer.

Voici 10 ans, j’écrivais mon premier blog. Le phénomène était nouveau et je me demandais qui allait lire mon texte. Aujourd’hui, les choses sont bien plus claires : on publie plus qu’on ne lit. On parle plus qu’on écoute. Facebook a transformé le Web en un café des sports et Twitter a permis à des pochards de créer davantage d’animation encore au comptoir.

De son côté, Google permet de tout savoir sur les habitués du café et les piliers de comptoir. Pas étonnant que l’entreprise génère plus de bénéfices que Facebook et Twitter. Je reviens tout juste du Grand Prix de l’Escaut à Schoten et j’ai pu constater que les piliers de comptoir consommaient moins que les autres clients, alors que d’autres me payant pour nier les avoir vus au village. Rien de nouveau sous le soleil.

Un ‘numéripoliste’ est un monopoliste qui peut continuer à médire impunément par manque de législations ou de règlementations correctes et contraignantes dans le monde numérique.

Les médias (a)sociaux ont fait de l’Internet un café du commerce où chacun a une opinion sur tout et n’importe quoi, mais où aucun avis tranché n’est formulé parce que l’on sait qu’il y aura toujours quelqu’un pour être ‘contre’ et qui pourra rassembler un groupe de ‘sympathisants’. Les médias sociaux sont devenus un outil idéal d’intoxication au lieu d’être un outil d’accélération du processus de décision. Sic.

Du coup, le terme ‘numéripoliste’ se pose en candidat au titre de ‘Terme ICT de l’Année’ pour ce mois d’avril. Un ‘numéripoliste’ est un monopoliste qui peut continuer à médire impunément par manque de législations ou de règlementations correctes et contraignantes dans le monde numérique. L’EI peut continuer à tuer et mutiler des innocents (sécurité), alors que Google, Facebook et Twitter peuvent continuer à manipuler des gens dans le monde numérique (vie privée).

Du coup, ils continuent à se développer en toute tranquillité. Le temps des décisions courageuses est venu à Bruxelles. Non pas à Zaventem ou à Maelbeek, mais des deux côtés de la rue de la Loi. Pour le bien-être des Belges et de tous les Européens.

Cette option est parue dans le numéro de Data News du 15 avril 2016.

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