(Project) Manager? Ne tirez pas sur le pianiste!

Stefan Grommen Stefan Grommen est rédacteur de Data News.

De très nombreuses entreprises ont, depuis longtemps, institutionnalisé la fonction de project manager. Pas seulement en IT, mais aussi du côté métier, dans le marketing, le facilities management, et bien d’autres domaines qui dépassent les origines de la gestion de projet, que l’on trouvera par exemple dans le génie civil, l’armée, etc.

De très nombreuses entreprises ont, depuis longtemps, institutionnalisé la fonction de project manager. Pas seulement en IT, mais aussi du côté métier, dans le marketing, le facilities management, et bien d’autres domaines qui dépassent les origines de la gestion de projet, que l’on trouvera par exemple dans le génie civil, l’armée, etc.

Selon les entreprises, les titres changent. Récemment, on a vu apparaître beaucoup de “program managers “, ce qui, avouons-le, fait très chic. Et que dire alors de “portfolio manager”, encore plus chic. Savoir ce qu’est un programme ou un portefeuille de projets n’est pas toujours facile, faites-le test, posez la question à cinq personnes autour de vous, vous risquez bien d’obtenir cinq réponses différentes. Mais savoir ce qu’est un manager, ça, ça devrait être facile. Le Petit Robert, et une multitude de sources sur le Web, nous apprennent qu’il s’agit d’un “chef, dirigeant d’une entreprise”. On pourra au passage regretter qu’il semble s’agir à leurs yeux d’une fonction exclusivement masculine. Mais bon… On dira donc que l’entreprise est le projet et que le manager de projet en est le chef, le dirigeant. Et donc le responsable si le projet se déroule mal. Oui, certes. Mais que manage-t-il ou elle en réalité? Pour faire plus simple dans la suite de cette réflexion, pardonnez-moi, mesdames, d’utiliser le masculin exclusivement. Sur quels éléments le manager de projet a-t-il la capacité d’exercer sa chefferie (aussi un terme qui monte, ça, la chefferie…)? Amusons-nous un peu. Les délais: en septembre, la date de fin du projet a été fixée par le comité de direction, disons pour juillet de l’année suivante. Le chef du département l’a prudemment ramenée à avril, et le responsable du PMO a inclus début mars dans son planning. Questions: quel délai notre project manager doit-il prendre en compte? Et quelle marge de manoeuvre a-t-il? Le budget: idem, en septembre, le budget a été fixé à 3 millions EUR par le Codir. Raboté une première fois de 500.000 EUR par le chef de département qui sait qu’il peut en avoir besoin ailleurs cette année encore pour un projet qui dépasse, peut-être, et une seconde fois d’un bon 500K par le client du projet qui entend bien garder des PPLS. Les PPLS (entendu authentiquement en réunion), ce sont des Poires Pour La Soif. Question: comment le chef de projet va-t-il réussir à livrer, si on lui prend tout de suite un tiers de son budget et un quart de ses délais? Ben ça, ça dépend du scope…

Le scope: ah, justement, le scope ou “contenu” du projet. Il n’a pas été, lui, défini en septembre par le Codir. Oui, bien sûr, on a évoqué dans un HLBC (high level business case, très en vogue!) les objectifs du projet, ainsi que son ROI (1), sa NPV (2), son IRR (3), que l’on s’empressera de ne plus évoquer par la suite; d’ailleurs, ça pourrait faire trop mal. Et il est du reste normal que le scope ne soit pas défini à ce stade, qui pourrait le faire? Le manager de projet le sait, lui qui a prévu de réunir ses clients en décembre et janvier pour définir ensemble ce fameux scope, se disant encore un peu naïvement qu’à cette période de l’année, ce sera plus calme et qu’ils pourront, cette fois-ci, définir un contenu bien “cadré.” Las, on sait ce qu’il en advient, les réunions de projet sont escamotés entre le 15 décembre et le 15 janvier, et des pans entiers du scope sont ignorés ou, pire, définis par le chef de projet. Mais, vaille que vaille, on démarre quand même l’exécution; on dirait d’ailleurs dans certains cas que seule l’exécution représente du “vrai” travail. Préparer, planifier, prévoir, projeter, tous ces “P” indispensables au projet, il semblerait qu’ils soient assez mal vus. Il faut RE-A-LI-SER! Au boulot, messieurs, dames! Peu importe si on construit la maison et que les plans ne sont pas terminés ou qu’on développe sans spécifications, au boulot!

Et c’est là qu’interviennent les ressources. Ah, ces fameuses ressources dont l’implication est un élément vital pour le projet. Les délais, les coûts, la capacité à livrer, sans même parler de la qualité (2), tout ça dépend de la qualité des ressources affectées au projet. Sont-elles disponibles? Ca dépend… Les meilleures ne le sont par définition jamais, tout le monde se les arrache. Sont-elles motivées, ces ressources? Ca dépend… Parfois pas du tout, et le chef de projet a bien du mal et peu de moyens pour influencer cette motivation; pas de lien hiérarchique, pas de budget pour faire du team building (en 2009 en tout cas!). Le chef de projet a-t-il les moyens de construire sa ‘dream team’, de faire comme dans les livres une analyse des compétences disponibles, nécessaires, de l’écart entre les deux, de prévoir des formations, des événements,… Pas toujours, il faut bien l’avouer. Qu’est-ce qui lui reste, alors, à manager s’il ne contrôle ni le délai, ni le budget, ni les ressources? Quand on lit après les grandes analyses et les fameuses études qui clament que x% des projets ne sont jamais livrés, que y% dépassent le budget de z%, etc. (x, y et z prennent la valeur que vous voulez), j’ai un peu envie de dire: ne tirez pas sur le chef de projet. #

(1) ROI= Return On Investment, NPV= Net Present Value, IRR= Internal Rate of Return(2) Le sujet de la qualité dans les projets est bien trop vaste pour être traité ici.

Jean-Louis DavoiseJean-Louis Davoise dirige Davoise & Associates, cabinet d’experts en project management (www.davoise.com). Il est lui-même spécialisé dans les problématiques organisationnelles et humaines des projets et programmes stratégiques dans les moyennes et grandes entreprises.

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