Pourquoi Google craint une condamnation par l’Europe

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La Commission européenne accuse formellement Google d’abus de position dominante de son moteur de recherche. En cas de condamnation, l’entreprise pourrait se voir infliger une amende de 6 milliards de dollars. Google dispose certes de suffisamment d’argent, mais elle va probablement choisir un arrangement à l’amiable. La plainte de l’UE arrive au plus mauvais moment possible pour elle.

La position de marché dominante de Google représente depuis des années déjà une épine dans le pied de la Commission européenne. Le géant technologique possède dans la plupart des pays européens une part de marché flirtant avec les 90 pour cent sur le plan de son moteur de recherche. Après des plaintes déposées par des concurrents et des entreprises européennes, la Commission européenne a lancé officiellement en novembre 2010 une enquête préliminaire sur les pratiques, selon lesquelles l’entreprise internet américaine privilégie ses propres services et ceux de ses partenaires dans ses résultats de recherche. Sans reconnaître sa culpabilité, Google a formulé déjà quelques propositions accompagnées de concessions ces dernières années.

Mais aujourd’hui, la commissaire européenne compétente, Margrethe Vestager, a tranché. Google n’a pas montré suffisamment de bonne volonté. Vestager poursuit un certain nombre de dossiers à l’encontre de Google et entame déjà une première procédure antitrust officielle. Elle en a expliqué la première étape hier: elle accuse formellement Google d’avoir abusé de sa position dominante dans l’Union européenne en renvoyant les utilisateurs vers des sites de shopping. Google place systématiquement ses partenaires plus haut dans les résultats de recherche de produits sur son propre service de comparaison. Les consommateurs européens qui utilisent Google, ne se verraient ainsi pas toujours présenter la meilleure offre. De même les magasins web ne collaborant pas avec Google seraient désavantagés.

Google dispose à présent d’un délai de quasiment dix semaines pour réfuter formellement ces accusations. Hier déjà, elle a expliqué à son personnel ce que recouvre cette accusation. Ce communiqué interne a du reste été dévoilé dans la presse. L’on peut y lire que l’entreprise se dit innocente: elle n’intervient dans les résultats de recherche que pour desservir le mieux possible l’utilisateur. En outre, la plupart des clients internet se tournent quand même directement vers le magasin web de leur choix et n’effectuent que sporadiquement des recherches via la plate-forme de shopping de Google. Autrement dit: ‘nous ne faisons rien de mal, et les activités de shopping ne représentent vraiment rien.’

Guerre d’usure

La Commission européenne ne se contentera pas de ce genre d’arguments. L’on va assurément au devant d’une guerre d’usure juridique. L’affaire peut durer des années encore. Si la Commission juge Google coupable, celle-ci pourra encore contester juridiquement cette décision. Tel sera certainement le cas car Google risque pour une telle infraction une amende pouvant dépasser les 6 milliards de dollars. Une condamnation créerait aussi un précédent juridique, ce qui permettrait à l’Union européenne de sanctionner plus facilement d’autres pratiques de Google.

En outre, Google n’a pas du tout envie de reconnaître une quelconque culpabilité en Europe. Ce serait pour elle une manière de se faire rappeler à l’ordre aussi dans le reste du monde et tout particulièrement aux Etats-Unis. Le contrôleur américain peut lui également infliger des méga-amendes. Google fera donc tout pour faire traîner les choses le plus possible en Europe. Un arrangement à l’amiable avec versement d’une forte somme serait probablement pour l’entreprise internet une solution acceptable car après tout, elle dispose dans son bas de laine d’un montant de quasiment 65 milliards de dollars.

Les leçons de Microsoft

Il y a encore une autre raison pour laquelle Google préférerait un accord avec l’Union européenne: une condamnation ouvrirait également la porte à un contrôle plus strict. Lorsque Microsoft se vit taper sur les doigts par le contrôleur américain de la concurrence, elle se vit imposer de 2002 à 2011 un comité où toute une série d’experts indépendants se comportèrent comme des belles-mères indiscrètes.

Toutes les décisions importantes, voire des changements significatifs dans le code source de son software devaient leur être présentés, pour vérifier si Microsoft n’abusait pas de sa position dominante. Tout ces embarras auraient fait en sorte que Microsoft n’aurait pas pu avant 2011 concurrencer pleinement Apple et Google en matière de systèmes d’exploitation mobiles. Mais à cette date, les deux autres s’étaient déjà partagé le marché des plates-formes mobiles.

Google a donc tiré parti des problèmes antitrust de Microsoft et entend donc à présent éviter elle-même ce genre de péripéties. En cas de condamnation antitrust européenne au plus mauvais moment possible, l’entreprise devrait rouler des années durant avec le frein à main serré. Elle devrait aussi se mettre en quête d’une nouvelle vache à lait car elle dépend encore trop des revenus générés par le trafic internet sur les ordinateurs classiques. Les services mobiles et le système d’exploitation de Google sont extrêmement populaires, mais elle s’attend à un recul de la croissance et surtout à une diminution des marges, parce que les résultats de recherche sponsorisés rapportent moins sur les smartphones et tablettes. (SF)

Cet article est paru dans The Daily Trends

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