Els Bellens

‘Non’, cela ne signifie plus rien pour les firmes technologiques 

‘Non, c’est non.’ C’est là l’une des affirmations qu’on tente d’inculquer depuis des années aux gens actifs dans l’interaction sociale, avec plus ou moins de succès. Mais alors que dans les relations humaines et au travail, on reçoit toujours plus souvent le message, selon lequel il faut oser dire ‘non’ et l’accepter, tel n’est pas le cas dans le monde numérique.

A quand remonte la dernière fois où vous avez encore eu la possibilité de dire non à un ordinateur? ‘Windows veut installer un tout nouveau système d’exploitation’. Vous avez alors le choix entre ‘maintenant’ ou ‘plus tard’. Si les conditions d’une appli ont été adaptées, il s’agit de les accepter ou de ne plus pouvoir l’utiliser et de laisser en plan tout votre travail et vos contacts. ‘Voulez-vous autoriser les cookies?’: cinq écrans à interface truquée (‘dark pattern’) pour tout décocher, avant un nouvel essai un mois plus tard.  

En tant qu’utilisateur de services numériques, il ne vous est quasiment plus permis de refuser encore quelque chose quelque part. Il y a certes des boutons qui demandent ostensiblement votre avis (‘Nous jugeons essentiel le respect de votre vie privée’), mais dans la pratique, vous êtes poussé et orienté jusqu’à ce que vous donniez la ‘bonne’ réponse. ‘Non’ signifie au mieux ‘nous réessayerons plus tard’.

A quand remonte la dernière fois où vous avez encore eu la possibilité de dire non à un ordinateur?

L’idée que le consommateur doit être pris par la main comme un petit enfant, semble être l’aboutissement provisoire d’une évolution vers ‘moins de friction’. Quasiment chaque jeune pousse technologique a quelque part mentionné le terme ‘sans friction’ dans son argumentaire au cours des dix dernières années. Des frigos qui commandent du lait, lorsqu’il n’y en a plus, des mangeoires automatiques pour animaux domestiques, alors que ‘des gens comme vous et moi achetons en ligne, payons d’un clic et sommes livrés à domicile. Pratique certes, mais quelque part, la notion ‘vous n’avez plus besoin d’y penser vous-même’ se change en ‘vous n’avez même plus besoin de penser’.

Sans friction

Encore faut-il que cela rapporte aux entreprises technologiques. Malgré toutes les règles de l’UE sur ‘l’informed consent’ (consentement libre et éclairé), ces firmes continuent de tenter de nous présenter sans friction des choses que nous ne choisissons pas nous-mêmes. Entre-temps, chaque site qui le peut, essaie de se muer en TikTok et de lancer un flux algorithmique sans fin sur ses utilisateurs. Chacun d’eux veut suivre ChatGPT: fournir des réponses simples et rapides sur un plateau. Les utilisateurs ne doivent eux-mêmes ni consulter la source ni vérifier l’exactitude, ce qui ne fait que provoquer des frictions.

Le contenu généré par voie algorithmique est dès lors omniprésent. Et je suis forcée de l’admettre: cela marche. C’est un peu trop facile de balayer à chaque fois jusqu’à Short, TikTok ou une autre plate-forme suivante et de remarquer tout à coup que vous êtes en avance de deux heures, et que le nouveau hit de Miley Cyrus tourne en permanence dans votre tête après avoir été reproduit une vingtaine de fois au préalable. C’est là l’équivalent moderne de zapper sans réfléchir d’une chaîne à l’autre, mais avec moins d’épisodes Friends et davantage de Joe Rogan non demandé.

Engagement

Autre chose: les algorithmes ne valent que ce que les entreprises technologiques veulent qu’ils soient. Ils reposent vaguement sur vos préférences, mais surtout sur ce qui vous incite à vous engager. Trop souvent, on me présente le genre de vidéo qu’un géant technologique comme YouTube, dont la base de données contient quasiment dix années de mon historique de visionnement, devrait savoir que cela ne me plaît pas. ‘Vous devez mieux former l’algorithme’, dit-on alors à l’utilisateur que vous êtes. Cliquer plus vite, bloquer des choses. Il n’empêche qu’à chaque clic sur ‘je ne veux pas voir çà’, vous savez que Google réessaiera plus tard avec une vidéo haineuse virale. ‘Votre avis est important pour nous’, mais une fois encore, cela passe inaperçu.

Il y a quelques semaines, des messages annonçaient que le patron de Twitter, Elon Musk, avait fait adapter son service, afin que davantage d’utilisateurs voient ses tweets dans la ligne du temps algorithmique ‘For you’. Ceux qui l’avaient bloquée, se sont quand même vu enfoncer dans la gorge ses tweets dénués de sens, car si un empereur débourse 44 milliards pour de nouveaux vêtements, tout le monde doit les voir et les verra. On peut sourire de l’ego particulièrement fragile de l’homme le plus riche du monde, mais cela démontre bien ce que lui et, avec lui, de nombreuses entreprises technologiques pensent des utilisateurs.

Du sable dans les rouages

Que faire alors? Il peut arriver que vous allez apprécier ces suggestions et que vous allez les adopter. Le site de fans classique et lauréat du prix Hugo Archive of Our Own recevrait entre-temps des plaintes, car il lui manque précisément un algorithme. Les utilisateurs doivent chercher (comme des bêtes!) parmi les dix millions d’œuvres les genres et les personnages qui les intéressent. Le système de filtrage du site est légendaire, mais pas automatique.

J’ai moi-même regardé un peu trop de science-fiction pour apprécier l’évolution de ‘moins penser’ vers ‘plus suivre’. Lorsque ‘non’ n’existera plus, le seul véritable choix qu’aura encore le consommateur que vous êtes, sera de se déconnecter. Pour la plupart d’entre nous, cela ne sera pas réellement possible sur le plan social, commercial ou pratique. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il y aura des initiatives telles Solid, ou des plug-ins et des navigateurs qui vous permettront de dire ‘non’ au traçage. Une suggestion? Essayez de penser par vous-même plus souvent et de faire le choix qui s’impose. Sortez du flux automatique, car finalement, la friction, ce n’est pas si grave. Un peu de sable dans les rouages vous tiendra éveillé. A notre époque, c’est même une forme de rébellion.

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