L’illusion du courrier électronique

Stefan Grommen Stefan Grommen est rédacteur de Data News.

Avec tous les moyens de communication directe disponibles aujourd’hui, nous avons l’impression de pouvoir non seulement travailler plus facilement et plus rapidement, mais aussi de manière plus productive. Finis les temps d’attente, les tonalités d’occupation, les timbres-poste, …

Avec tous les moyens de communication directe disponibles aujourd’hui, nous avons l’impression de pouvoir non seulement travailler plus facilement et plus rapidement, mais aussi de manière plus productive. Finis les temps d’attente, les tonalités d’occupation, les timbres-poste, …

Tout est immédiat, électronique et de préférence même unifié. Maintenant que nous pouvons joindre n’importe qui n’importe où et n’importe quand, l’augmentation de la productivité doit être énorme. Mais est-ce vraiment le cas? Le courrier électronique, comme d’autres moyens de communication universels, offre un bel exemple de ce qui peut arriver quand on ne veille pas assez à instaurer une bonne culture de l’information. Mais se pourrait-il que ses avantages du courriel profitent surtout à l’expéditeur et que ses inconvénients retombent sur le destinataire? Celui-ci se retrouve confronté à une surcharge de travail: de multiples messages auxquels il faut répondre avant de les classer, de multiples informations qui se trouvent éparpillées quelque part dans la boîte aux lettres, mais où et de quelle provenance? Apparemment des inconvénients mineurs, mais qui finissent par peser lourdement sur le prétendu gain de productivité.

Les chiffres le confirment: le nombre de messages entrants augmente chaque année de 30%, nous y consacrons plusieurs heures par jour, les courriels archivés commencent à prendre des proportions astronomiques et nous redoutons de plus en plus de prendre du retard (40% des gens suivent leur messagerie même en vacances). En soi, le courrier électronique n’a rien de répréhensible, il peut effectivement se révéler très productif. Mais ce qui est dangereux, c’est quand le courrier électronique est utilisé d’une mauvaise manière ou pour des choses inappropriées. Il génère alors plus de pertes de temps qu’il n’en résorbe. Le gain de productivité devient une illusion.

Pourquoi le courrier électronique pose-t-il problème? Le courrier électronique est destiné à assurer une communication asynchrone, mais bien souvent nous l’utilisons à tort à d’autres fins: gestion documentaire (envoi et archivage de documents; gestion de contacts et de dossiers); gestion de tâches (délégation et suivi de tâches; rappels); gestion de rendez-vous; assistance (demande d’assistance; traitement des demandes d’assistance).

Quelques exemples tirés du quotidien. Dernièrement, j’ai reçu (une fois de plus) une convocation à une importante réunion de commission. Outre la convocation, le message comprenait 12 pièces jointes avec les documents nécessaires (ordre du jour, rapports et quelques simulations sous Excel), envoyées à moi-même et aux 14 autres membres de la commission. Le collaborateur du secrétariat avait bien sûr jugé inutile de gaspiller l’argent ou le temps précieux de l’entreprise en photocopies, enveloppes, timbres ou étiquettes d’adresse, et de prendre encore un jour de retard. Certains documents n’étaient même pas prêts la veille de la réunion. Un courriel allait donc lui faire gagner au moins une heure de travail de bureau, ce qui n’est pas négligeable par ces temps de crise. Que devais-je faire en tant que destinataire? Lire son courrier électronique en réunion est une pratique autorisée, mais ce n’est pas vraiment facile, donc on imprime, cela va vite. En théorie du moins, car dans la pratique, cela prend plus de temps du fait que l’imprimante est une imprimante départementale. Avant même que j’arrive à la machine, une série de documents imprimés avaient mystérieusement disparu. Mais je ne savais pas lesquels (ils ne comportaient bien sûr aucun titre ou numéro de page). Il m’a donc fallu rouvrir tous les fichiers, identifier les pages manquantes et les renvoyer à l’imprimante. Au final, j’y ai passé une petite heure. Les 15 membres de la commission ont tous fait la même chose (ou du moins auraient dû le faire…). Au total, nous avons ensemble consacré 15 heures pour économiser 1 heure de secrétariat. Une perte de productivité de 14 heures, soit deux jours ouvrables de ce coûteux temps de travail pour une seule réunion (sans parler de la durée de la réunion). Tels sont les avantages des nouvelles technologies de l’information et de la communication quand on ne suit pas la bonne attitude.

Autre exemple: vous trouverez en pièce jointe la nouvelle réglementation / procédure pour… Nous vous saurions gré d’en tenir compte à l’avenir selon les besoins. Que faut-il en faire? L’apprendre par coeur, l’archiver soigneusement, ou retenir que nous avons un jour reçu un message à ce sujet, mais où se trouve-t-il à présent? Et qu’en est-il des nouveaux collaborateurs? Un manque manifeste de gestion des connaissances. L’utilisation de pièces jointes est déjà en soi un signal. En envoyant non pas un lien mais le document lui-même, nous signalons que nous n’avons pas d’alternative efficace pour gérer ou retrouver les documents pertinents. Et c’est ainsi que chaque destinataire se retrouve à jouer en quelque sorte le rôle d’administrateur (ou préfère justement ne pas le faire).

Quelles sont les choses qu’il vaut mieux ne pas régler par courriel? Faut-il vraiment mettre tout le département en cc:? Pourquoi n’est-il pas judicieux de mettre tous ses clients ou connaissances dans le champ À? Ne pouvons-nous pas planifier une réunion sans nous assaillir d’innombrables courriels? Quelle est la différence entre le push et le pull d’informations?

Sans réfléchir un instant au sens et au non-sens de ce genre de pratiques, nous écrivons et lisons des messages à tort et à travers. Nous pédalons sur des vélos fixes, nous trottons de plus en plus vite sur des tapis roulants, mais le gain de productivité reste une illusion. “Nous consacrons plus de temps au courrier électronique qu’à toute autre application sur ordinateur. Et ce ne serait pas un problème informatique?”

Jan VanthienenLe Professeur Jan Vanthienen est professeur ordinaire à la faculté Economie et Sciences de gestion à la KU Leuven, service informatique de gestion. Il enseigne les systèmes informatiques ainsi que la gestion de l’information et de la connaissance.

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