“Les filles perdent le goût pour l’IT dès l’école maternelle et l’enseignement secondaire inférieur”

Stefan Grommen Stefan Grommen est rédacteur de Data News.

L’informaticien Carl Van Keirsbilck analyse pour nous le manque de femmes dans le secteur ICT.

L’informaticien Carl Van Keirsbilck analyse pour nous le manque de femmes dans le secteur ICT.

Permettez-moi d’apporter quelques observations à votre article [‘L’ICT n’intéresse pas les filles’]. En l’occurrence, j’aimerais me référer à une étude que j’ai réalisée à propos de cette sous-représentation des femmes dans les orientations MST (mathématiques, sciences, technologies).

Cette étude [se trouve sur le site de l’Itinera Institute] (cellule de réflexion sous la direction du Prof. Marc De Vos).

La Commissaire européenne Viviane Reding a calculé que l’Europe pourrait générer 2 pour cent de croissance économique supplémentaire, si elle parvenait à juguler l’importante pénurie d’informaticiens. Notre pays connaît également une nette carence de 10.000 à 15.000 informaticiens, selon Agoria et la Commission européenne. Et il faut s’attendre à ce que le besoin en informaticiens continue de croître une fois la crise terminée.

Le secteur ICT ne représente ‘que’ 5% du PIB total, mais est garant de 50% de la croissance de la productivité. Le manque de personnel dans ce secteur coûte donc beaucoup d’argent à la société. L’annuaire statistique (‘indicatorenboek’) flamand de 2005 nous apprenait déjà que la pénurie de personnel dûment formé constitue quasiment le principal frein à l’innovation.

Le moyen le plus évident de combattre ce manque de personnel est de miser sur le potentiel féminin qui reste massivement à l’écart des professions et orientations scolaires techniques, scientifiques et mathématiques. Un rapport du VLOR (Vlaamse Onderwijsraad) et du VRWB (Vlaamse Raad voor Wetenschapsbeleid) indiquait l’an dernier encore que cette tendance du non-choix des filles pour ce type d’études ne s’était pas encore infléchie. En fonction de la source et de la méthode de calcul, la part des femmes dans ce secteur se situe entre 0,9 et 12% du personnel total.

Il s’agit là à la fois d’un gros problème, mais aussi d’une formidable opportunité. Dans notre pays, la sous-représentation relative des femmes dans ce genre de professions est supérieure à la moyenne de l’UE. Il est probable que ces 2% de croissance économique supplémentaire constituent pour nous un minimum.

Il convient donc d’effectuer une analyse correcte des raisons pour lesquelles les jeunes filles se désintéressent de ces études. On retrouve ici un certain nombre de facteurs récurrents, y compris dans une étude européenne en la matière, comme: – le manque de modèles de référence féminins – certains stéréotypes, selon lesquels les femmes auraient l’esprit moins mathématique que les hommes – une orientation scolaire qui pourrait être améliorée (cf. par exemple une demande d’explications de madame Fientje Moerman à monsieur Frank Vandenbroucke en date du 18/11/2008) – l’absence de manuels en matière d’égalité des sexes (cf. demande d’explications au point précédent)

Jusqu’à présent, l’on n’est pourtant toujours pas parvenu à résoudre ce problème. Je pense que cela est dû au fait que l’on n’on pas encore réussi à en découvrir la cause principale. Tel est aussi le cas pour cette étude européenne récente, à laquelle votre article fait référence.

Dans mon étude, j’en arrive moi à la conclusion que c’est dès l’école maternelle et l’enseignement secondaire inférieur que les filles perdent le goût pour des études menant à une carrière de scientifique, d’ingénieur ou d’informaticien!

Selon certaines recherches comme PISA et TIMSS, il apparaît que la Belgique dispose en gros d’un enseignement de qualité. Si l’on considère cependant ce que beaucoup d’études (TIMSS, PISA, PIRLS, SIBO LOA 27,…) concluent à propos des 15 à 20% des meilleurs étudiants, l’on ne peut nier que se posent de sérieux problèmes. Je me limiterai ici à une seule citation de PIRLS: “Le groupe de tête de nos élèves ne tient pas la comparaison avec ceux d’autres pays (tant en Europe occidentale qu’au niveau mondial).” D’autres conclusions comparables figurent dans mon étude. Nombre d’étudiants parmi les plus brillants sont insuffisamment mis au défi à leur niveau.

Des recherches menées tant chez nous qu’à l’étranger indiquent que les filles sont en général plus performantes que les garçons dans l’enseignement primaire. Leurs performances en lecture sont meilleures (cf. p. ex. PIRLS), mais aussi en mathématiques/sciences (cf. p. ex. TIMSS). A partir de l’enseignement secondaire, les performances des filles en mathématiques et en sciences deviennent tout-à-coup nettement inférieures à celles des garçons (cf. p. ex. TIMSS, PISA). Des recherches réalisées à l’université de Stanford ont déjà mis en lumière que plus le QI des filles est élevé, plus celles-ci s’écroulent littéralement, lorsqu’elles sont subitement confrontées à une matière qui constitue pour elles un défi plus important (comme p. ex. lors du passage de l’enseignement primaire à l’enseignement secondaire).

Alors que les filles se distinguent dans l’enseignement primaire, elles sont davantage louées pour les succès (en raison d’un simple curriculum) qu’elles obtiennent. On leur répète exagérément qu’elles sont intelligentes ou malignes. Ces termes renferment en fait un message caché. Si l’on est intelligent, parce qu’on obtient de beaux points, l’on est donc ignorant, si l’on en obtient de moins bons. Nombre de ces filles intelligentes obtiennent aussi de beaux points sans consentir d’efforts importants. Lorsqu’elles entendent qu’elles sont intelligentes, sans qu’elles doivent fournir d’efforts, cela signifie aussi qu’elles sont ignorantes, si elles doivent en fournir.

A partir de la première année du secondaire, la plupart des filles doivent soudainement consentir des efforts sans pour autant forcément obtenir un 9/10 ou un 10/10. Dans l’enseignement primaire, le degré de difficulté évolue en effet plus progressivement. A partir du secondaire, les élèves sont confrontés à une escalade du degré de difficulté de l’enseignement. Il en résulte que les filles quittent massivement les orientations plus malaisément perçues intégrant beaucoup de mathématiques et de sciences, ou ne les choisissent tout simplement pas. Elles tentent d’éviter de faire des efforts et optent pour des orientations plus simples. Elles développent la peur de l’échec et le perfectionnisme pour ne pas commettre d’erreurs. Faire des erreurs et devoir consentir des efforts, cela signifie en effet pour elles être ignorante. Voilà ce qu’elles ont en fait appris de manière involontaire. L’étude réalisée à l’université de Stanford établit même le lien entre le nombre plus élevé de dépressions et de tentatives de suicide chez les adolescentes. Celles-ci ont développé une fixation. Leur incitant à en savoir plus et leur processus d’apprentissage se figent.

Voilà qui constitue une tentative importante d’explication de l’écart existant entre les sexes et du fait que le salaire des femmes est encore et toujours inférieur à celui des hommes. Les femmes restent en effet à l’écart des professions les mieux rémunérées comme ingénieur, informaticien, scientifique, tous des profils tellement recherchés par notre société et nos entreprises. Des profils dont nous aurons grand besoin dans l’optique des défis ayant pour nom globalisation, vieillissement, dette publique,… Si nous voulons garantir le bien-être des générations à venir, cela semble être une piste indispensable (et… indolore).

Carl Van Keirsbilck

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