Carlos De Backer

Les dinosaures n’ont pas survécu

Carlos De Backer ICT-professor aan de Universiteit Antwerpen.

Le temps qui passe est toujours un ennemi pour des projets de longue durée. Qui peut estimer à quoi ressemblera le monde informatique dans 5 ans?

Les dinosaures et les mammouths inspirent toujours autant les grands comme les petits. Ces animaux mystérieux continuent de vivre dans l’imaginaire collectif grâce à des dessins animés comme l’Age de Glace et les Croods, des spectacles gigantesques comme “Walking with Dinosaurs” ou la partie Dinoland du parc Animal Kingdom de Disney.

Bien qu’ils faisaient partie des plus grands animaux de la terre, ils n’ont pas survécu à l’évolution. Leur extinction peut-elle être expliquée par des changements climatiques drastiques? Etaient-ils peut-être trop grands que pour survivre sur Terre? Ont-ils été les victimes de météorites? Ou l’explication vient-elle d’une combinaison de facteurs? Je laisse aux vrais spécialistes le soin de faire le tri entre ces différentes spéculations.

Le mythe de la tour de Babel revient lui aussi régulièrement sur le devant de la scène. Il y a depuis de nombreuses années une sorte de compétition mondiale pour construire la tour la plus haute du monde. Le disparu World Trade Center de New York avec ses 110 étages a longtemps été le bâtiment le plus vertigineux. Désormais, la gigantesque et luxueuse Burj Khalifa à Dubai avec ses 163 étages détient un nombre impressionnant de records (dont le plus haut bâtiment, le plus haut restaurant, ‘at.mosphere’, au 122e étage…). Ce qui est certain, c’est qu’aussi hauts soient-ils, ces bâtiments n’atteindront jamais le ciel. Et ces tours sont-elles réellement conçues pour résister à des tremblements de terre violents? Peuvent-elles déjouer les attaques terroristes? Que faire si un incendie se déclare aux étages supérieurs?

Le secteur IT compte lui aussi son lot de dinosaures. Je ne veux pas parler des CIO de l’ancienne garde qui restent désespérément attachés à des systèmes informatiques dépassés. Je souhaite simplement dans la présente opinion philosopher à propos de projets informatiques mammouths qui disparaissent de façon prématurée. Ces dernières années en effet, un certain nombre de projets IT d’ampleur dans le secteur public ont été annoncés avec beaucoup d’enthousiasme et de promesses par les ministres compétents.

Les exemples ne manquent pa: le projet Phenix à la Justice, le projet eHR au SPF Personnel et Organisation, le projet d’informatisation du fisc au SPF Finances, etc. Des années plus tard, ces projets sont réapparus dans la presse avec la communication laconique que “les parties contractantes ont définitivement mis fin à la collaboration.” Le ministre qui a lancé le projet n’est évidemment plus en charge du dossier lors de cette épreuve pénible. Mais soyons honnêtes: le secteur privé n’est pas épargné par de telles catastrophes. Mais pour protéger leur réputation, les entreprises concernées vont scrupuleusement cacher la nature et l’ampleur des pertes encourues.

Lors de l’examen de tels échecs, les juristes rivalisent de stratégies pour prouver la culpabilité ou l’innocence d’une des parties. Les raisons de l’échec sont pourtant souvent évidentes. Une analyse des cahiers des charges et des offres nous apprend déjà que ces documents sont truffés de clauses juridiques et administratives. La finalité du projet est souvent bien cachée, faisant l’objet d’à peine quelques pages. Comment les fournisseurs peuvent-ils utiliser un cahier des charges vague et incomplet pour faire une évaluation objective des ressources nécessaires? A l’inverse, comment un donneur d’ordre peut-il accorder de la crédibilité à une offre qui ne mentionne que des prix totaux, sans indiquer les moyens que le fournisseur va mettre à disposition pour mener à bien le projet? Souvent, l’exécution du projet se caractérise aussi par de graves manquements. On peut naturellement supposer que les deux parties accordent une attention suffisante au suivi du projet. Cette tâche principale est souvent totalement confiée au fournisseur. Peut-on dès lors s’attendre à un reporting précis, complet et correct sur le déroulement du projet? Y a-t-il quelqu’un qui vérifie l’exactitude des informations?

Le temps qui passe est toujours un ennemi pour des projets de longue durée. Quels nouveaux besoins seront formulés par le business dans les prochaines années? Qui peut estimer à quoi ressemblera le monde informatique dans 5 ans? Quel est le niveau du taux de rotation des informaticiens et des personnes-clés autant chez le fournisseur que chez le donneur d’ordre? Oubliez donc ces projets mammouths! Tout comme les dinosaures qui n’ont pas survécu à l’évolution, ces projets très lourds sont souvent condamnés à mourir avant terme. Des projets informatiques plus circonscrits et plus courts peuvent être mieux définis et gérés. Ils permettent par ailleurs de réagir plus rapidement à toutes sortes de changements au niveau du cadre légal, du management quotidien de l’entreprise et des moyens IT disponibles. L’art consiste donc à définir et décrire des projets plus petits qui peuvent s’intégrer sans douleur à l’environnement informatique existant et futur. Et à utiliser ces descriptions pour demander des offres de prix à de plus petits fournisseurs informatiques également. Il y a, en Belgique aussi, des informaticiens compétents qui veulent mettre leurs connaissances et leur motivation à disposition d’une entreprise en échange d’une rémunération intéressante. Cette stratégie aidera sans doute un certain nombre de CIO à survivre en ces temps chaotiques.

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