L’ère numérique stimule les femmes entrepreneures

Nathalie Vandaele

Le monde numérique est synonyme de rupture : il modifie et détruit l’emploi. Il est temps d’ajuster cette vision négative : l’entrepreneuriat féminin est en plein essor. En effet, le poste de travail virtuel et le style de vie mobile offrent plus que jamais aux femmes la flexibilité nécessaire pour créer leur propre entreprise – même chez elles, dans leur fauteuil. A des coûts réduits et avec des risques limités, qui plus est. Nathalie Vandaele, associée du département Human Capital chez Deloitte Consulting, suit de près cette évolution positive.

L’ère numérique dope clairement les femmes entrepreneures. Mais quels étaient jusqu’ici les freins à l’entrepreneuriat pour les femmes ?

NathalieVandaele : ” La dépendance du temps et de l’espace. Grâce aux évolutions numériques, il est pratiquement possible de travailler de partout et à n’importe quel moment. Ainsi, il est parfaitement concevable de lancer sa propre activité depuis son domicile. Il suffit de disposer d’un ordinateur portable et d’une connexion Internet, et le tour est joué ! C’est un changement fondamental de paradigme. Plus besoin de disposer d’un local et de plusieurs collaborateurs – autant d’éléments qui constituaient un frein important pour de nombreuses femmes. Désormais, il est possible de démarrer de chez soi en commençant petit pour évoluer par la suite. “

Le travail numérique est une forme plussociale de travail : il nécessite de constituerdes équipes de personnes dotées des bons talentspour la tâche à accomplir. Les femmessont-elles avantagées dans la mesure où ellespossèdent en moyenne une intelligence socialesupérieure ?

” Je ne parlerais pas de ‘sociale’, car il s’agit là d’un trait de caractère qui n’est pas vraiment lié au sexe. Cela dit, il est vrai qu’en général, les femmes attachent plus d’importance à la communication et aux interactions au sein d’une équipe. Elles agissent différemment dans la constitution et le suivi d’une équipe, et appliquent un autre style de management, un style qui cadre bien avec le travail numérique. “

S’agit-il d’un style de management moinsdirectif ?

” Non, les femmes peuvent être aussi directives que les hommes. C’est davantage une approche différente. Les bons dirigeants s’adaptent au contexte et aux personnes en face d’elles. J’estime plutôt que les femmes réussissent particulièrement bien à mettre en place une équipe et à veiller à sa cohésion et à une dynamique de groupe optimale. “

Grâce aux évolutions numériques, lescoûts de démarrage et les risques liés à lacréation d’une entreprise sont nettement inférieursà ce qu’ils étaient autrefois. Est-ce là aussi à l’avantage des femmes ?

” Il faut toujours se méfier de vouloir généraliser un phénomène, car les différences entre individus sont évidemment énormes. Mais oui, si l’on regarde l’ensemble de la population, les femmes osent en général prendre davantage de risques que les hommes. Dans ce domaine également, la numérisation abaisse le seuil d’accès à l’entrepreneuriat. Il est possible de créer sa propre entreprise à moindres frais – et dans le pire des cas de l’arrêter par la suite. “

Des initiatives supplémentaires sont-ellesnécessaires pour stimuler l’entrepreneuriatféminin ?

” Dominique Leroy (CEO de Proximus) a été élue Manager francophone de l’Année 2015. Je pense que les femmes qui occupent des fonctions élevées sont des modèles de référence importants. A cet égard, les médias peuvent faire la différence en mettant régulièrement les femmes entrepreneures sous les projecteurs et en insistant sur le fait que c’est possible. L’entrepreneuriat n’est pas sexué. “

Les start-up ont le vent en poupe. Lesgrandes banques et les acteurs du marché organisentmille et un événements pour attirer les jeunes starters. Pourtant, l’intérêt se porte surtout sur le secteur technologique, ce qui ne favorise guère les femmes entrepreneures dans la mesure où il s’agit toujours largementd’un monde d’hommes.

” Cela commence déjà dans l’enseignement. Regardez les branches IT : on constate une évolution favorable, mais la plupart des inscriptions viennent toujours des garçons. Ici également, cela peut changer pour les filles. Plus le numérique deviendra synonyme d’applis et d’outils créatifs, plus les orientations qui y mènent attireront les femmes. Développer des applications et établir des liens entre les données sont des choses totalement différentes de l’apprentissage de langages de programmation. Dans ce domaine également, le seuil s’abaisse. Mais veillons surtout à ne pas scinder le monde entre hommes et femmes. Il s’agit d’une problématique inclusive où le genre, l’âge, la nationalité, la culture, … jouent chacun un rôle. Pour réussir aujourd’hui, il faut promouvoir la diversité. “

Pour réussir aujourd’hui, il faut promouvoir la diversité.

Le numérique estompe les frontières de temps et d’espace. Mais si le temps et l’espace ne jouent plus aucun rôle, le monde entier devient votre concurrent. Ne s’agit-il pas là d’une pression supplémentaire sur l’entrepreneuriat ?

” Certes, mais je pense que cela ouvre aussi davantage d’opportunités que jamais auparavant. Il y a plus de gens qui entreprennent, mais aussi plus de possibilités. Je ne considère pas cette évolution comme problématique. Par ailleurs, le fait d’entreprendre implique toujours un risque de ne pas réussir. Cela n’a rien de catastrophique. En Europe, l’on considère encore trop souvent l’échec en tant que tel, mais nous devrions nous inspirer davantage du dynamisme américain qui regarde plutôt la prochaine tentative, avec un dossier plus solide. Heureusement, les mentalités sont en train d’évoluer. “

Les nouvelles manières de travailler fontcouler beaucoup d’encre. Pour les entrepreneursdébutants, celles-ci offrent certes desavantages, mais ne suscitent-elles pas toujoursune grande méfiance dans les entreprises ? Etn’est-ce pas à nouveau un handicap pour lesfemmes qui veulent entreprendre dans ces entreprises,les fameuses intrapreneuses ?

” Certes. Les ambitions et les intentions ont beau être présentes, la réalité sur le terrain reste bien différente au sein des entreprises. Qu’attend la nouvelle génération ? Qu’est-ce que les millennials considèrent comme vital dans leur emploi ? Leurs réponses obligent les entreprises à évoluer dans cette direction. Les jeunes professionnels attendent un environnement ouvert et flexible dans lequel ils pourront travailler en toute agilité – tout comme ils ont été élevés. Par ailleurs, la problématique de la mobilité constitue pour les employeurs un argument supplémentaire pour se tourner progressivement vers les nouvelles manières de travailler. Quant à savoir jusqu’où aller, tout dépend du degré d’innovation et de souplesse dont votre organisation fait preuve ou souhaite faire preuve. “

Il y a plus de gens qui entreprennent, mais aussi plus de possibilités.

La révolution numérique permet de travaillerde chez soi et d’être en phase avec son rythme de vie personnel. Revers de la médaille : le travail ne s’arrête jamais vraiment.

” Absolument, votre remarque est très pertinente. Autrefois, on arrêtait son travail et on rentrait à la maison. Mais aujourd’hui, on est toujours connecté. L’important est de se fixer des limites. Les organisations qui s’intéressent vraiment à la gestion des talents apprennent à leurs collaborateurs à gérer cette problématique. Elles admettent que le collaborateur ne réponde pas à ses courriels lorsqu’il est en vacances. On trouve même des entreprises qui font en sorte que leurs collaborateurs ne reçoivent aucun courriel lorsqu’ils sont en congé. “

La révolution numérique a non seulementun impact (positif) sur l’entrepreneuriat féminin,mais elle modifie aussi la manière dont les entreprises elles-mêmes doivent se réinventer ?

” Les entreprises et organisations doivent imaginer une structure et une culture leur permettant de prendre en compte le changement et s’intéresser davantage encore à leurs collaborateurs. D’autant qu’elles ont besoin de nouveaux talents. Des talents numériques, en somme. Pour développer et fidéliser ces talents, les entreprises se doivent de mettre en place un programme spécifique, d’autant que la nouvelle ‘économie des talents ouverts’ ne connaît aucune ou que peu de frontières physiques, et que les collaborateurs sont moins que par le passé liés à un poste de travail ou un employeur. De très nombreuses organisations s’aperçoivent qu’elles doivent penser de manière plus large : plus forcément en termes de ‘collaborateurs internes’, mais plutôt de réseau ouvert de talents dans lequel elles pourront puiser. “

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