Le pilote automatique est-il fiable?

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Pieterjan Van Leemputten

Dans l’aéronautique, l’automatisation est une réalité depuis des années déjà. Mais en cas de panne, les avionneurs tels Airbus ou Boeing ne reconnaissent que rarement leur faute.

Tom Dieusaert est un journaliste belge basé à Buenos Aires qui a été fasciné par le crash du vol Air France 447 de Rio à Paris en 2009. A l’époque, une erreur humaine a été invoquée comme explication à l’accident, mais Dieusaert explique dans son livre ‘Computer Crashes’ que cette ‘erreur humaine’ ne s’est produite qu’après un problème au niveau des systèmes automatiques eux-mêmes.

Capteurs défectueux et problèmes de logiciels

Après le blocage des capteurs de vitesse sur l’Airbus 330 qui ne fonctionnaient pas correctement depuis des mois déjà, les ordinateurs de bord ont commencé à transmettre des informations erronées aux pilotes. Dans son ouvrage, Dieusaert ne souhaite pas mettre l’aviation sur la sellette. ” L’avion reste l’un des moyens de transport les plus sûrs et il n’est pas question de susciter un vent de panique. Reste que lorsqu’un problème survient, les constructeurs préfèrent le taire et accusent souvent les pilotes. Alors qu’ils sont précisément la dernière ligne de défense sans se préoccuper des erreurs qui ont été commises avant leur intervention. Plus l’automatisation progresse, plus le nombre d’erreurs à ce niveau est proportionnellement élevé. Les moteurs de Rolls-Royce ou General Electric atteignent désormais presque la perfection absolue par rapport aux appareils des années 50 à 60. Il y a aussi moins d’accidents grâce aux systèmes de communication et à l’arrivée du GPS. Du coup, les problèmes au niveau des ordinateurs de bord augmentent proportionnellement. Selon l’autorité de l’aéronautique OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale), le fameux ‘loss of control in flight ou LOC I est la principale cause d’incidents et d’accidents. ”

En cas de situation inattendue, un être humain est nettement plus inventif.

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Dans le crash d’Air France, plusieurs facteurs sont intervenus. ” C’était la nuit, la visibilité était réduite à cause d’une tempête, tandis que ce type d’avion [l’Airbus 330, NDLR] avait bénéficié d’un nouveau type de capteur (tube de Pitot) dans les 2 années précédant l’accident. Par ailleurs, des erreurs ont été détectées dans le logiciel du flight director, de l’écran de diagnostic ECAM et de l’alarme de décrochage. En principe, l’appareil n’aurait pas dû voler et il était prévu de remplacer les capteurs de vitesse à l’arrivée à Paris le 1er juin. Au final, c’est là que se situait le problème. ”

Sans commentaire

Dans le cadre de son livre, Dieusaert souhaitait obtenir une réaction des constructeurs concernés, en l’occurrence Airbus et Thales, le fabricant français des capteurs incriminés. Mais en vain. ” J’ai abordé la question avec les porte-parole des deux entreprises, mais ceux-ci se sont refusés à tout commentaire. Officiellement parce qu’une action en justice est en cours, mais ce n’est que partiellement vrai. Ils se retranchent derrière une disposition de l’OACI qui vaut lorsqu’une enquête est menée. Or désormais, il n’y a plus qu’une procédure pénale. L’enquête proprement dite, menée par le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile ou BEA a été clôturée en 2012 déjà. ”

Quant à la procédure pénale, elle devrait s’achever en 2020 au plus tôt. ” La situation est pourtant simple : cet avion n’aurait jamais dû décoller. Entre-temps, ni Airbus ni Air France n’ont été mis à l’amende. ”

Pour préparer son livre, Dieusaert s’est également entretenu avec des familles des victimes. ” Ils lisent également les rapports publiés sur les accidents et constatent qu’ils sont souvent écrits en faveur des constructeurs et que la faute est rejetée sur le pilote. Mais ils mènent aussi leurs propres recherches et constatent que les acteurs du secteur aérien se protègent mutuellement. Ces familles ne le font pas d’ailleurs pour l’argent dans la mesure où elles ont reçu des compensations et que les compagnies sont assurées. Leur démarche est indépendante de toute recherche de faute ou responsabilité. ”

” Le problème majeur est que l’industrie n’admet pas commettre d’erreur. Les ordinateurs ne sont pas parfaits et il peut donc arriver qu’un avion ait une panne. Les choses peuvent être réglées, mais il n’y a actuellement aucun débat parce que les choses ne sont pas transparentes. ”

Un autre accident majeur récent où l’ordinateur de bord était impliqué concernait le crash d’Air Asia (vol 8501) de décembre 2014. ” Ici également, la faute a été mise sur le pilote alors que le problème se situait dans la carte de l’ordinateur dont le circuit était rouillé. Air Asia a longtemps nié ce fait. Au lieu de réparer la carte, les ordinateurs étaient chaque fois redémarrés. Mais en fait, il s’agit d’un problème de matériel, alors qu’il semblait dans le cockpit que la panne était logicielle. Dès lors, l’ordinateur de commande avait été relancé. ”

Court-circuit dans l’ADIRU

Dieusaert évoque encore dans son livre plusieurs incidents graves au niveau de court-circuits dans le cerveau de l’avion, le fameux Air Data Inertial Reference Unit. Cet ADIRU collecte des informations provenant de capteurs externes (pression, vitesse, température, etc.) et les transmet aux instruments et au pilote automatique. Mais en cas de court-circuit, des situations étonnantes peuvent se présenter. L’un des incidents connus est celui du vol 72 de Qantas en 2008 qui s’est soudainement mis en piqué. Des pilotes, du personnel de bord et des passagers ont été blessés, mais l’accident a pu être évité de justesse.

” En mai, la même situation s’est produite avec un avion d’Air Rouge Canada. Il est inquiétant de constater qu’un appareil semi-automatique fasse soudainement des manoeuvres bizarres contre la volonté des pilotes. ”

Dieusart cite également l’exemple de cet incident sur un vol Lufthansa entre Bilbao et Francfort en novembre 2014. Comme dans le cas de Qantas, l’appareil a subitement piqué du nez, en l’occurrence parce que certains capteurs avaient gelé. ” Dans tel cas, il faut espérer que le pilote déconnecte les ordinateurs suffisamment vite et vole en manuel “, dixit encore l’auteur. Basculer vers les commandes manuelles se fait en soi assez rapidement. ” Mais beaucoup de pilotes craignent de prendre la main parce qu’ils sont enfermés dans une procédure. Certains peuvent avoir des problèmes avec leur compagnie parce qu’ils prennent l’initiative de passer en mode manuel. ”

Avions intelligents, pilotes stupides ?

L’idée sous-jacente de l’automatisation dans l’aviation est que les pilotes sont le maillon faible de la chaîne de sécurité et un facteur de risque. ” Aujourd’hui, les pilotes ont une fonction de contrôle. Ils volent quelques minutes lors du décollage après quoi les ordinateurs prennent le relais. En principe, un tel appareil peut également atterrir seul le cas échéant. Du coup, les jeunes pilotes perdent leurs capacités de navigation. Voici 20 ans, un pilote volait des centaines d’heures, mais aujourd’hui, beaucoup apprennent souvent le métier sur un simulateur. ”

De son côté, Dieusaert n’est pas partisan des ordinateurs pour simplifier la navigation aérienne. Et si l’on planche désormais sur des avions sans pilote, il se dit en faveur du maintien d’un pilote à bord. ” Sans doute un vol totalement informatisé permettra-t-il des économies de carburant. Certes, les ordinateurs peuvent en outre exécuter certaines tâches monotones. Mais en cas de situation inattendue, un être humain est nettement plus inventif et en mesure de trouver plus rapidement une solution. ”

Dans le même temps, il plaide pour que les pilotes volent davantage. Et pour davantage de contrôle des autorités en cas de problème technique et d’accident avec des machines sophistiquées, comme dans le cas du vol Air France 447. ” Le problème est que les appareils sont devenus à ce point complexes que les constructeurs sont encore les seuls à les comprendre. Du coup, des autorités comme le BEA sont tentés de rejeter la faute sur le pilote. “

Computer Crashes – When airplane systems fail compte 196 pages.

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