Jeroen Baert

‘Le manque de connaissance technologique chez les deux candidats à la présidence est navrant’

Jeroen Baert Jeroen Baert est chercheur IT à la KU Leuven.

Au cours des dernières heures précédant les élections présidentielles américaines, il est malheureusement une fois encore évident que celui/celle qui deviendra en fin de compte le nouveau Leader of the Free World, aura tout intérêt à s’entourer de personnes au fait de la technologie. ‘Il est navrant de constater que les deux candidats négligent encore de bien s’informer dans ce domaine’, écrit le chercheur en informatique Jeroen Baert.

Le New York Times dévoilait récemment que l’équipe de campagne entourant Donald Trump avait finalement retiré de ses petites mains (sic) les clés de son compte mobile Twitter. Une décision judicieuse au vu de ses tweets singuliers, impulsifs et parfois très… anti-présidentiels – dont je vous épargnerai ici les détails. Cela n’empêcha évidemment pas The Donald de faire sur les podiums – où il devait néanmoins s’en tenir de plus en plus à un script écrit à l’avance – des déclarations étonnantes du style: “Le directeur du FBI Comey ne peut absolument pas examiner 650.000 courriels en huit jours. Le système est truqué.”

‘Le manque de connaissance technologique chez les deux candidats à la présidence est navrant’

Il est question ici de nouveaux courriels en provenance du bureau de sa rivale Hillary Clinton, qui ont été découverts lors d’une enquête effectuée chez Anthony Weiner, l’ex-candidat maire de New York qui – et son nom de famille n’est évidemment pas fait pour l’aider – à été à plusieurs reprises impliqué dans des scandales de sexting (texto-pornographie). (Le documentaire ‘Weiner’ (un drame tragicomique) vous est vivement recommandé). Le directeur du FBI James Comey déclarait il y a huit jours encore avec force que les courriels (e-mails) trouvés sur l’ordinateur portable d’un ex-collaborateur de Clinton pourraient provoquer la réouverture de l’enquête sur les courriels découverts sur son serveur privé (fermé cet été).

L’impact sur les sondages fut immédiat et lorsqu’il apparut plus tard qu’il s’agissait d’une fausse alarme, le mal était évidemment fait. Le timing et l’intervention inopportune de Comey à propos d’enquêtes en cours ont fragilisé la position du FBI en général et de son directeur en particulier, mais cela, ce pourrait être le sujet d’une autre opinion sur ce site. A propos de la manière et du pourquoi Clinton utilisa son serveur e-mail privé et refusa de se servir d’un Blackberry gouvernemental, je vous renvoie aussi à l’excellente explication sur le site d’actualité américain Vox.

Manque de connaissance technologique

Il est cependant important de comprendre comment le serveur e-mail de Clinton ne représente qu’un des nombreux guêpiers technologiques capables de mettre en danger ces élections. C’est le propre du cycle complet d’actualité américain de se focaliser sur certaines histoires: tant les déballages de WikiLeaks sur Clinton que les liens technologiques de Trump avec la Russie auraient d’ailleurs pu être au moins tout aussi importants. Concentrons-nous toutefois ici sur le fait que le manque de connaissance et de transparence en matière ICT de la part des deux candidats est devenu un fil rouge tout au long de leurs campagnes. Tant Trump (70 ans) que Clinton (69 ans) peuvent être qualifiés de seniors (avec tout le respect), mais il va de soi que l’âge n’est pas une excuse ici, puisque tous deux disposent de suffisamment de moyens pour s’informer mieux, ce qu’ils n’ont pas fait.

‘Il est incompréhensible d’observer que des collaborateurs impliqués dans les plus grandes campagnes politiques au monde envoient encore et toujours des mots de passe par courriel’

Cela apparut on ne peut plus clairement durant le deuxième débat présidentiel, lorsque le modérateur Anderson Cooper fit allusion aux récents messages sur les tentatives de piratage de puissances étrangères telles la Russie et la Chine. La réponse de Clinton s’avéra décevante et peu significative, alors que Trump partit dans une envolée incohérente sur ce qu’il appela “The Cyber”, où il esquissa l’image d’un ennuyeux pirate informatique obèse tentant, à partir de son lit, de saper le système démocratique avec ses gros doigts boudinés. Il s’agissait sans doute d’un trait d’humour stéréotypé, mais certainement pas de la preuve d’une connaissance approfondie. La cyber-guerre, c’est du big business, où de fortes sommes d’argent changent de propriétaire en vue d’effectuer des tentatives de hacking sophistiquées, souvent sponsorisées par des gouvernements. Dans un monde qui se numérise à grande vitesse, le problème de la sécurité en ligne croît de manière exponentielle, et l’on pourrait donc attendre des deux candidats à la présidence américaine davantage de connaissance ou à tout le moins une opinion solidement argumentée.

Conspiration

Les nouvelles déclarations à propos des courriels de Clinton – qui s’inscrivent dans l’histoire “ces élections ne sont qu’une vaste conspiration contre moi” sans cesse davantage martelée par Trump – font froncer les sourcils. Même sans la moindre connaissance ICT, il est clair pour tout le monde que le directeur du FBI Comey n’a lui-même pas lu ces courriels, puisqu’une organisation comme le FBI a une petite armée de personnes à son service. Il est tout aussi sûr – quel gaspillage ce serait – que tous ces courriels n’ont pas été imprimés et leur contenu épluché au marqueur. Mais avec l’aide de filtres de recherche et une analyse de mots-clés, il est possible avec un ordinateur de bureau ordinaire de détecter rapidement et efficacement les mails à contenu problématique. Et je ne dois pas vous dire que le FBI dispose des moyens pour mettre en oeuvre bien plus de puissance de calcul qu’un desktop domestique tout ce qu’il y a plus ordinaire.

Failles dans la communication interne

Mais ne vous y trompez pas: il n’y a pas que la démagogie surdimensionnée de Donald Trump qui trahit un manque de connaissance ICT. L’équipe de campagne de Clinton a été à plusieurs reprises tourmentée par des failles dans sa communication interne, sans parler des piratages de comptes de médias sociaux. Il est incompréhensible que des collaborateurs impliqués dans les plus grandes campagnes politiques au monde envoient encore et toujours des mots de passe par courriel, ou ne recourent pas à l’authentification à deux facteurs (où l’on doit confirmer avec son smartphone au moment du login) sur les comptes des médias sociaux. L’enquête à propos des tentatives de piratage russes lors des primaires s’effectue elle aussi de manière on ne peut plus pénible. Ne pensez surtout pas que l’impact du piratage sur les élections et sur la politique nationale est une fable: en Amérique du Sud, cela s’est déjà révélé à grande échelle.

‘Ne pensez surtout pas que l’impact du piratage sur les élections et sur la politique nationale soit une fable’

Les sujets techniques ne font que malaisément la une des journaux, mais il est inquiétant de constater combien en cette période de cybercriminalité croissante, d’équilibre compliqué entre les contrôles gouvernementaux et les libertés personnelles, et de violations démontrées du respect de la vie privée, aucun candidat n’a pu fournir une explication sensée sur son plan relatif à l’avenir technologique de la plus grande puissance mondiale. Les land of the free et home of the brave auraient été manifestement appréciés à propos par exemple des compétences en ligne du FBI (qui l’année dernière gérait un site web de pédopornographie, pour ne citer que cet exemple), de même qu’une réponse adéquate aux tentatives de piratage en ligne d’acteurs extérieurs à brève échéance.

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