La créativité bridée

L’un des albums musicaux les plus téléchargés l’an dernier a été The Grey Album de DJ Danger Mouse, un mélange particulièrement réussi du Black Album de Jay-Z et du légendaire White Album des Beatles.

La compagnie EMI qui détient les droits des Beatles a mobilisé ses avocats pour attaquer DJ Danger Mouse pour vol de propriété intellectuelle. Au grand dam des compagnies de disques, les ‘mashups’ connaissent aujourd’hui un succès sans cesse croissant. On ne peut pas les acheter officiellement mais ils sont joués en concert, distribués via divers réseaux de téléchargement ou diffusés pendant des ‘podcasts’. Il existe même un ‘podcast’ entièrement consacré à cette nouvelle forme d’expression artistique ([www.mashuppodcast.co.uk/]). Beatallica, un groupe originaire de Milwaukee, parodie les chansons des Beatles à la manière du groupe de hard rock Metallica. Sgt. Helfield’s Motorbreath Pub Band, A Garage Dayz Nite, Hey Dude et I Want to Choke Your Band sont déjà à notre avis de grands classiques… que l’on ne peut malheureusement plus écouter que dans la clandestinité. En effet, le 17 février 2005, la compagnie de disques Sony/ATV a fait fermer le site [www.beatallica.com/]. Dans un retournement surprenant, le batteur de Metallica, Lars Ulrich, est venu au secours de Beatallica. L’intervention d’Ulrich est d’autant plus remarquable qu’il y a cinq ans, il avait dépêché ses avocats chez Napster du fait que ce site facilitait le vol de titres de Metallica. Quelle différence y a-t-il entre le téléchargement illégal de titres de Metallica et le mélange illégal de titres des Beatles et de Metallica? Pour Ulrich, les choses sont claires. Les membres de Napster profitaient de Metallica tandis que Beatallica s’en sert de manière créative. Selon Ulrich, les couvertures, les parodies, les ‘mashups’ et le droit de réinterpréter l’art sont des causes qui méritent notre mobilisation. Avec l’internet et la généralisation de puissants équipements multimédias, de plus en plus de gens utilisent de manière créative des oeuvres existantes. Les ‘podcasts’ dont je traitais voici quelques semaines dans Villa PC en sont un exemple typique. Le phénomène est pour l’heure encore marginal aux yeux des grandes compagnies de médias et des associations de droits d’auteurs. Cependant, il est certain qu’à terme, cela soulèvera des problèmes juridiques. Par exemple, les systèmes de licences existants pour la diffusion de musique dans les programmes radio sur l’internet ne s’appliquent pas aux podcasts. De ce fait, beaucoup de réalisateurs de ‘podcasts’ travaillent, qu’ils le veuillent ou non, dans l’illégalité quand ils agrémentent leurs émissions de musique. Des solutions existent d’ailleurs aussi pour ces situations, comme l’usage de musiques dites “admises au ‘podcast'” de groupes débutants ou moins connus. Avec la numérisation, nous courons le danger de bientôt n’avoir même plus le choix d’utiliser des oeuvres existantes de manière créative. La gestion des droits numériques (DRM ou Digital Rights Management) impose des limites toujours plus sévères aux utilisateurs de médias numériques. Par exemple, suite aux adaptations apportées aux règles de licence des iTunes d’Apple début 2004, les utilisateurs peuvent écouter leurs morceaux favoris sur moins d’appareils et les graver moins de fois sur CD. Début 2005, Apple a instauré une nouvelle restriction sur la possibilité de diffuser en continu de la musique dans iTunes via Rendezvous à l’intention d’autres utilisateurs sur le même sous-réseau. Auparavant, cela pouvait se faire à destination de cinq personnes de la maison. Désormais, on ne peut plus diffuser de la musique en continu qu’à cinq auditeurs par jour. Si vous raccordez votre PC ou votre lecteur MP3 à votre amplificateur analogique et que vous mettez les baffles à fond, peut-être alors pourrez-vous en faire profiter plus de cinq auditeurs. Les gens qui possèdent des installations musicales analogiques couvrant plusieurs pièces de leur maison peuvent également diffuser en analogique et sans restriction la musique achetée via iTunes. En revanche, les utilisateurs qui veulent profiter pleinement des avantages technologiques qu’offrent les médias numériques sont dans la pratique pénalisés par Apple. La technologie numérique n’est donc pas nécessairement plus conviviale mais tend plutôt à réduire les droits et donc à terme l’espace laissé à la créativité.

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