De nouveaux yeux pour les voitures autonomes

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Els Bellens

Que feriez-vous pour améliorer les ‘yeux’ des voitures autonomes? La start-up belge Autonomous Knight pense avoir trouvé la réponse à bon nombre des problèmes auxquels la technologie est actuellement confrontée.

La start-up est à la base une spin-off de la start-up limbourgesoise Benhault spécialisée en ‘mining tech’. Geoffrey Ejzenberg et Noël Jans, fondateurs des deux sociétés, ont appris à se connaître au sein du holding néerlandais RTF, concepteur de véhicules modulaires pour l’industrie minière. «Nous y avons procédé à un management buy-out, explique Geoffrey Ejzenberg, avant de nous retirer durant une semaine en isolement total pour réfléchir à l’avenir.» Au départ en effet, l’entreprise était spécialisée dans les camions autonomes utilisés dans les mines.

Entre-temps, Jan et Ejzenberg ont fortement développé leur projet. «Il était clair pour nous que ce camion finirait par circuler, explique Ejzenberg. Mais la difficulté consistait à le rendre autonome. Nous avions analysé les technologies de capteurs existantes sur le marché, sachant que des véhicules autonomes existaient déjà, mais celles-ci ne nous satisfaisaient pas.» Notre duo a donc mis au point un tout nouveau système de capteur pouvant fonctionner dans des circonstances météorologiques différentes. Sachant que l’intérêt d’un tel capteur ne se limite pas aux seuls véhicules miniers, ils ont créé une nouvelle entreprise, baptisée Autonomous Knight.

Cette petite société est la seule start-up étrangère à avoir été reprise par le groupe Volvo dans son incubateur. Avec comme ambition de mettre au point un système permettant aux véhicules autonomes de retrouver leur chemin.

Les yeux de la voiture

Mais est-ce bien nécessaire? Oui, selon Jans et Ejzenberg. Car actuellement, la plupart des technologies de véhicule autonome sont basées sur un lidar ou des caméras, voire dans le cas de véhicules militaires sur un radar ou un sonar pour les bateaux. «Mais si l’on s’intéresse aux véhicules miniers, force est de constater que faire circuler un tel véhicule autonome n’est pas sécurisé», fait remarquer Noël Jans. En effet, une mine est un environnement par définition poussiéreux et qui opère dans des conditions fort différentes: de nuit, par mauvais temps et souvent dans des zones reculées et inhospitalières, ce qui n’est pas compatible avec les lidars et les caméras. «Un véhicule minier doit pouvoir fonctionner 24 h sur 24. Le rendre autonome n’a de sens que s’il peut rouler en toute autonomie durant toute cette période et en toutes circonstances», dixit Jans.

Un véhicule minier doit pouvoir fonctionner 24 h sur 24. Le rendre autonome n’a de sens que s’il peut rouler en toute autonomie durant toute cette période et en toutes circonstances.

Or nous n’y sommes pas encore. Pour comprendre l’importance d’un nouveau système de capteur, il convient d’abord de comprendre ce qui fait défaut aux systèmes actuels. En pratique, deux types de solutions existent. «Qu’il s’agisse des voitures, des trains ou des taxis, tous utilisent le lidar comme capteur de distance de type ‘mid-to-long’, explique Ejzenberg. Et tous ont le même problème.» En effet, un système lidar émet une vague de points laser qui permet, en simplifiant, de détecter des objets en mesurant la vitesse et la qualité des ondes de lumière qui sont renvoyées. Ce faisant, le capteur va créer un scan 3D de l’environnement et peut donc détecter des objets situés devant le véhicule. Le problème est notamment que les lasers ne réfléchissent pas seulement le laser en fonction d’un piéton ou d’un pylône le long de la route, mais aussi par exemple une goutte de pluie. Bref, le mauvais temps peut affecter les résultats.

L’alternative consiste à recourir à des caméras, une technique qui est notamment utilisée par Tesla. «Celles-ci font cependant face aux mêmes limitations que l’œil humain, note Jans. Ainsi, leur vision n’est pas parfaite la nuit ou par temps de brouillard notamment.» Il s’agit là de l’une des raisons pour lesquelles, ironise Jans, les véhicules autonomes sont plus à l’aise dans des régions comme la Californie où il fait généralement sec et ensoleillé, et moins dans notre Belgique pluvieuse. En l’occurrence donc, ce système n’est pas davantage idéal dans des conditions extrêmes.

Identification

La situation se complexifie encore si l’on y ajoute le logiciel nécessaire pour permettre au véhicule autonome de fonctionner de manière sécurisée dans un tel environnement. «Pour les véhicules autonomes, deux éléments sont requis, insiste Jans. La détection et l’identification. La détection, ce sont les yeux qui permettent de voir un objet sur la route. Encore faut-il pour décider s’il faut s’arrêter un élément d’identification. Est-ce un enfant? Un bout de papier? Dans le premier cas, un freinage d’urgence s’impose, pas dans le second.»

C’est cette identification qui pose généralement problème dans la mesure où elle exige pas mal de détails. «Un engin minier dispose en général d’une distance de freinage de 50 m. Si l’on y ajoute le temps de calcul, il faut compter 100 m pour identifier s’il s’agit d’un être humain devant le véhicule ou autre chose», poursuit Jans.

Pour identifier à des vitesses élevées et à des distances importantes, il est nécessaire de disposer d’un réseau très maillé de détails, ce qui est difficile avec le lidar qui semble soumis à sa propre ‘loi de Moore’. «La base, à savoir les LED qui émettent la lumière, ne peuvent plus être réduits en taille», estime Jans. Du coup, il devient difficile d’ajouter plus de détails au capteur. «Il existe de nombreux systèmes qui cherchent à optimiser le lidar en augmentant la vitesse de traitement, mais le nœud du problème ne s’en trouve pas résolu pour autant. La taille du lidar ne pourra jamais être réduite.»

Avec des caméras qui ne peuvent traverser la poussière et le lidar qui n’est pas suffisamment rapide, la solution semble pouvoir venir d’une combinaison de capteurs. «Notre capteur multi-spectral s’appuie sur un système de caméras tout en proposant l’identification dans la mesure où il n’utilise pas seulement le visuel, mais aussi le spectre infrarouge que l’œil humain ne peut pas capter», explique encore Jans.

Le concept de ‘sensor fusion’, soit la combinaison de plusieurs types d’images de caméras, existe depuis un certain temps déjà. Ainsi, les caméras multi-spectrales sont utilisées notamment dans les systèmes militaires et dans l’espace. L’innovation apportée par Autonomous Knight porte sur un système intégrant l’ensemble sur une puce et sur un seul axe optique. «Les systèmes de fusion de capteurs va généralement superposer les différentes images grâce à un logiciel, souligne Jans. Or la plupart des algorithmes ont besoin d’une étape supplémentaire rien que pour aligner ces images, avant même donc que l’identification n’intervienne. C’est trop long. Il faut éliminer ce délai.»

Cette situation s’explique par le fait que les capteurs d’infrarouge fonctionnent souvent en résolution VGA, alors que les caméras proposent désormais une résolution Full HD ou 4K. Ces images doivent être parfaitement alignées, une étape supplémentaire qui exige pas mal de temps lorsqu’une voiture circule à 50 km/h et doit décider s’il faut éviter tel obstacle. En réglant ce problème au niveau du matériel, l’identification peut être plus précise et plus rapide, avec moins de suppositions, estiment les fondateurs. «Nous utilisons toujours la même IA de data mining que celle employée typiquement pour la conduite autonome, mais avec une précision plus grande», fait remarquer Jans.

Évolution future

Autonomous Knight vient de récolter de l’ordre de 500.000 € comme premiers capitaux d’amorçage, notamment auprès de l’agence européenne Urban Mobility et de divers investisseurs de capital-risque. Par ailleurs, la start-up a été sélectionnée par l’incubateur Camp X de Volvo Group, l’entité du constructeur automobile spécialisé dans les camions et le transport. Pas question de voir apparaître ces capteurs dans la voiture de monsieur Tout-le-Monde dans les prochaines années, pour la simple raison qu’il s’agit d’un système encore relativement coûteux. «Nous misons sur le transport commercial», précise Ejzenberg.

L’ambition est de poursuivre le développement de la technologie au sein du centre d’incubation suédois. «Nous sommes particulièrement fiers d’avoir été sélectionnés par Volvo Group, confie Jans. D’autant que nous constatons que l’on investit beaucoup dans le lidar. Il y a longtemps eu un effet de mode pour cette technologie, avec la difficulté pour nous de mettre en avant notre système. Mais entre-temps, les constructeurs automobiles ont perçu les limitations du lidar. L’idée prévaut que le data mining et l’IA permettent de tout faire, mais si le point de départ est mauvais, les informations fournies ne seront pas davantage meilleures.»

«On a beau appliquer l’IA sur un aveugle, celui-ci n’en retrouvera pas pour autant la vue, conclut Ejzenberg. Plus vos yeux seront bons, plus il vous sera facile de reconnaître votre environnement.»

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