Christophe Rosseel

Cher Monsieur Robben, nous méritons de meilleurs produits numériques

Christophe Rosseel est associé chez In The Pocket, un studio de produits numériques occupant 150 personnes.

Frank Robben, directeur de Smals, déclare dans une interview accordée à Data News qu’il aimerait que des esprits criques soient présents autour de la table à dessin. Christophe Rosseel d’In The Pocket accepte l’invitation et fait observer que de nombreux processus publics ne conviennent pas encore à notre société numérique.

Cher Monsieur Robben,

Dans une interview accordée à Data News le 17 décembre dernier, vous appelez les esprits critiques à s’asseoir autour de la table à dessin, lorsque les autorités utilisent des moyens IT pour résoudre des problèmes complexes. Je suis l’un de ces esprits critiques et je me fais un plaisir de relever le défi.

Les grands arbres captent beaucoup de vent, dit-on. Cela pour vous dire que vous allez pouvoir progressivement remplir le Sportpaleis d’Anvers avec les gens qui vous critiquent, mais ce courrier n’est pas destiné à vous offenser. Je pense à juste titre que vous avez les meilleures intentions du monde et que vous faites avec passion ce qui est nécessaire pour fabriquer des produits IT au départ des pouvoirs publics.

Je comprends que vous deviez dans ce but parfois jouer des coudes et collecter en passant davantage de mandats que ce qui sied normalement à une seule et même personne. Je comprends aussi les questions critiques que cela suscite, mais ce n’est pas de mon domaine et ce n’est pas non plus ce que je dénonce.

Cher Monsieur Robben, nous méritons de meilleurs produits numériques

Par contre, je m’y entends en produits numériques et là, je constate que toutes ces bonnes intentions n’engendrent pas de la qualité. Nos services publics sont mal adaptés à l’ère de l’information. Les autorités envoient régulièrement des mails pour se rappeler au bon souvenir des citoyens: des mails qui annoncent ‘un document’ et qui envoient ensuite le citoyen à travers un labyrinthe numérique où une chatte ne retrouverait pas ses petits.

Quiconque fait preuve de pas mal de bon sens ou de patience aboutit finalement dans l’une des nombreuses boîtes aux lettres numériques que compte notre pays – ou dans une file numérique devant l’une d’elles. Mais la lecture ne représente que la moitié du problème. L’écriture s’effectue tout aussi péniblement. Dans nombre de cas, il apparaît que le document dans votre boîte aux lettres est un PDF qu’il convient d’imprimer, de remplir et de renvoyer vers un service public. Ce dernier pourra alors le lire, le retaper et le re-scanner ‘pour numérisation’.

Certains services publics ont déjà dépassé le stade PDF. Mais cela ne signifie malheureusement pas que la qualité se soit améliorée. Citez-moi un produit d’information public, et j’attirerai votre attention sur de sérieux problèmes en matière d’expérience d’utilisation, de disponibilité, d’accessibilité ou de sécurité. Et je ne parle ici que des ‘essais’ qui aboutissent chez le citoyen. Dans beaucoup de cas, cela ne réussit pas, et des millions d’euros et des milliers de journées de travail sont ainsi gaspillés, comme dans le cas du projet Retibo.

Il va de soi que vous n’êtes pas responsable de toutes les initiatives IT en Belgique, et je ne vous blâme pas ici personnellement pour tous les résultats décevants. La loi de Conway est inexorable: chaque système numérique reflète l’organisation où il a été créé. Vous personnifiez une culture qui a besoin de fixers (réparateurs) pour faire avancer les choses.

Or cette sorte de culture n’est pas saine. Il y a plus de 20 ans, l’agile manifest était publié et depuis lors, d’innombrables petites équipes multidisciplinaires ont démontré qu’elles pouvaient créer des produits IT de manière à la fois plus rapide et efficiente que des organisations hiérarchiques aux nombreux niveaux de compétence et de départements.

La seule chose que des gens dans votre position devraient restaurer, c’est l’illusion que l’approche hiérarchique big up-front design fonctionne mieux qu’un processus incrémentiel et itératif. Contrairement à ce que vous semblez penser, cette approche agile ne s’oppose pas à la qualité, à la prévisibilité ou à la sécurité, bien au contraire.

A peu près chaque organisation ayant vu le jour avant internet a la transformation numérique parmi ses priorités stratégiques. Seul le gouvernement n’a pas reçu le mémo.

Je vous vois vous et les organisations que vous représentez être confrontés à des ‘exigences changeantes‘. Les circonstances changeantes sont aujourd’hui une donnée, et quiconque s’y oppose, est condamné à disparaître. Le modus operandi avec lequel on accueille le changement, s’appelle l’agile development. Au niveau organisationnel, il est question de transformation numérique. A peu près chaque organisation ayant vu le jour avant internet a la transformation numérique parmi ses priorités stratégiques. Seul le gouvernement n’a pas reçu le mémo.

Nous avons besoin de gens comme vous pour donner le bon exemple.

Il existe certes des initiatives bien intentionnées en vue de moderniser la culture, mais tout ne va pas pour le mieux pour autant. Nous avons besoin de gens comme vous pour donner le bon exemple. Vous ne gérez pas tous les produits d’information, mais vous avez suffisamment de pouvoir pour en sélectionner au moins un avec lequel vous pouvez démontrer que la révolution de l’information de la dernière décennie n’a pas échappé au gouvernement.

Tout commence par les appels d’offres. Je vois passer pas mal d’adjudications IT publiques et dans 95% des cas, elles déterminent à l’avance le délai, la portée et le budget. Cela exclut une approche agile en amont. La loi sur les marchés publics ne facilite pas la vie des maîtres d’ouvrage publics de concilier facilement exigences formelles et développement agile. Mais je sais à coup sûr que quelqu’un comme vous peut y arriver.

Je ne peux m’imaginer chantier plus important. Alors que vous être encore en train d’assimiler la transition des mainframes vers la ‘client server architecture’, les prochaines évolutions s’accumulent déjà: nuage et ‘edge computing’, SaaS, mobile, apprentissage machine,… Y vont de pair des normes toujours plus rigoureuses en matière d’accessibilité, de sécurité, de confidentialité et d’attentes plus strictes de la part des citoyens. Ce qui est plus important que n’importe lequel de ces défis, c’est de mettre en oeuvre l’organisation IT publique, de sorte qu’elle puisse faire face de manière structurelle à ce terrain de jeu en évolution rapide.

Je me fais fort de proposer l’infrastructure d’In The Pocket pour concrétiser tout cela. Cela peut prendre tout aussi bien la forme d’un petit café exploratoire que d’une conférence sur le software agile pour… restaurateurs dans les services publics.

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