La dualité des centres de données

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Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

La demande mondiale de données dope la croissance des centres de données, mais impacte aussi la consommation énergétique et l’environnement. Le secteur a conscience d’un besoin de changement.

Lorsque les centres de données font la une de l’actualité, c’est souvent que ces bunkers en béton sont soit l’objet d’une panne, soit qu’ils sont au centre des débats relatifs à l’environnement ou à la consommation énergétique, beaucoup les considérant comme trop énergivores, pollueurs des eaux ou encore émetteurs de gaz à effet de serre. Et honnêtement, de tels arguments sont difficilement réfutables. C’est ainsi qu’à l’échelle mondiale, les centres de données consomment désormais 3% de l’énergie produite. Et l’an prochain, ce pourcentage passera à 4%, tandis que les prévisions à plus long terme ne laissent entrevoir qu’une augmentation de ces pourcentages. «Et nous sommes tous responsables à titre individuel de cette explosion de la consommation de données», insiste Marc Garner, senior vice-président pour l’Europe de la division Secure Power de Schneider-Electric, spécialisée en centres de données, que nous avons rencontré à Conselve en Italie, le Cooling Hub du groupe chargé de l’innovation en matière de refroidissement et qui fabrique notamment des refroidisseurs.

Marc Garner, senior v-p Europe de la division Secure Power de Schneider- Electric: «D’ici 2025, les experts s’attendent à voir l’empreinte électrique totale des centres de données continuer à augmenter de 50%.» © National

«D’ici 2025, les experts s’attendent à voir l’empreinte électrique totale des centres de données continuer à augmenter de 50%. Et à cette même échéance, on prévoit une hausse de 500% des données globales générées dans le monde. Par ailleurs, à l’horizon 2040, le trafic IP progressera dès lors d’un facteur 140, sachant que toutes ces données doivent transiter vers ou au départ d’un centre de données et y être stockées. Il n’est dès lors pas surprenant que les centres de données soient toujours davantage présents dans le débat énergétique», ajoute Garner. A l’en croire d’ailleurs, il faut s’attendre à une croissance exponentielle forte dans les centres de données au cours des 7 prochaines années. «En 2030, les besoins en énergie générés par le cloud et l’edge augmenteront d’un facteur 4 alors qu’au cours de la même période, l’utilisation de l’internet sera multipliée par 5», argumente-t-il encore.

Garner évoque une certaine dualité dans la mesure où plus le secteur des centres de données est en croissance, plus l’importance économique du secteur se renforce. En 2030 en effet, les services cloud en Europe représenteront 7 milliards €. Ce qui induira la création de 75.000 emplois supplémentaires. Cela étant, l’impact sur la consommation énergétique et d’eau – par les systèmes de refroidissement par exemple – augmentera en proportion. «C’est très simple: il faut agir et nous avons pris le problème à bras le corps en tant qu’industrie. Mais il faut à mes yeux aller plus loin. Si l’on regarde l’ensemble des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations-Unies, les centres de données sont concernés par chacun des domaines. Notre défi consiste à faire des progrès à plusieurs niveaux, considère Garner. Cela étant, nous progressons – le Climate Neutral Data Center Pact qui vise à un marché des centres de données neutre en 2030 en est un parfait exemple-, mais il faut en faire davantage.»

‘Electricity 4.0’ est le concept imaginé par Schneider Electric dans ce contexte. L’entreprise entend ainsi se positionner comme l’avenir du secteur énergétique, au point de convergence entre électricité et numérique, en rendant l’infrastructure électrique plus verte et plus intelligente. «Mais dans le même temps, nous devons certainement aussi travailler sur le volet ‘demande’», poursuit Garner qui n’entrevoit pas de pénurie d’énergie. «Il ne peut être question de pénurie d’énergie, mais simplement de gaspillage énorme d’énergie. Pour moi, l’équation est simple: réduire le gaspillage d’énergie permettra de diminuer la consommation énergétique, de réduire les coûts et de baisser les émissions. Nous avons l’opportunité d’atteindre le zéro-émission, mais espérons surtout que les conditions économiques ne se traduiront pas par un ralentissement des objectifs en matière de durabilité», conclut Garner.

L’unité de production de Schneider-Electric de Conselve (Italie) fabrique des systèmes de refroidissement pour les centres de données. © National

Refroidissement durable

L’un des éléments certainement les plus importants dans le contexte de la maîtrise de la consommation énergétique des centres de données est le refroidissement. «Certes, le refroidissement est un point d’attention majeur, mais clairement pas le seul pour améliorer la durabilité», insiste Andrew Bradner, directeur général de l’entité Cooling au sein de Schneider Electric. À cet égard, il entrevoit la percée récente de l’intelligence artificielle et surtout de l’IA générative comme un accélérateur supplémentaire et un incitant à l’accélération du développement de solutions de refroidissement innovantes. «Que l’on ne s’y trompe pas: même sans IA, les besoins en demande continueraient à augmenter sensiblement. Cela étant, de nombreuses tâches d’IA typiques exigent de la puissance supplémentaire et des processeurs plus performants. Pour l’instant, les charges de travail IA ne représentent que 8% de l’ensemble des opérations des centres de données. Mais d’ici 2028, celles-ci pèseront de 15 à 20% déjà», croit encore savoir Bradner.

Michillay Brown, vp d’ESG: «Les centres de données ne peuvent se permettre aucune panne, ce qui nous oblige à prendre en compte les conditions climatiques extrêmes.» © National

Dans ce contexte, un nombre croissant de prestataires de services doivent se tourner vers des centres de données hyperscale, avec comme évolution une tendance croissante à la standardisation, toujours selon Bradner. «C’est ainsi que nous allons par exemple promouvoir le refroidissement liquide», précise Bradner. Mais ne s’agit-il pas là d’une technologie qui nous est présentée depuis bon nombre d’années déjà comme une solution miracle? «Le refroidissement liquide est certes considéré depuis 15 ans déjà comme ‘the next big thing’», sourit Bradner, qui cite également l’exemple du gaming ou de l’overclocking. «Mais il y a une autre raison pour laquelle ce concept fait à nouveau beaucoup parler de lui. Pour de nombreux types de charges en effet, il s’agit là du refroidissement le plus efficace. De hautes densités ne peuvent tout simplement pas être refroidies par air. Ce n’est donc certainement pas nouveau, mais la technologie est désormais concrète.»

N’oubliez pas aussi que depuis 2008 déjà, les nouveaux processeurs dégagent chaque fois un peu plus de chaleur. Chez Schneider Electric, nous avons opté pour une approche de bout en bout, tout en estimant que dans les prochaines années, les technologies de refroidissement par air et par liquide coexisteront. Au niveau du refroidissement par liquide d’ailleurs, une approche agnostique s’impose. En effet, le manque de standardisation dans le design ne favorisera d’ailleurs pas cette transition. C’est ainsi qu’il n’existe par exemple aucun standard en matière de test du refroidissement liquide ou de contrôle des performances. Dans le domaine du refroidissement liquide, on se retrouve très vite dans le Far West», conclut Bradner.

Les centres de données comme dorsale de la durabilité

Maurizio Frizierro, directeur Cooling Innovation & Strategy chez Schneider Electric, estime même que ces évolutions constituent une opportunité pour les centres de données de s’imposer comme une sorte de dorsale d’un avenir plus durable – dans le cadre des 12 ODD. «Le refroidissement a un impact tangible sur l’ensemble des ODD. La réduction de la consommation énergétique par le biais de l’optimisation de la température de fonctionnement est une première étape logique que nous avons franchie depuis un certain temps déjà grâce à des refroidisseurs plus efficaces notamment. Chaque degré supplémentaire a un impact direct de 3 à 4% sur la facture énergétique, dixit Frizierro. Mais les centres de données influencent aussi les émissions de gaz à effet de serre. En optant par exemple pour d’autres liquides de refroidissement.»

Mais à partir de quand le refroidissement liquide devient-il vraiment une nécessité, avons-nous demandé à Frizierro? «Tout dépend de la consommation par kilowatts d’une baie dans le centre de données. De nombreux sites travaillent encore avec 7, 10 ou 15 kilowatts par baie. Dans ces cas, le refroidissement liquide peut permettre d’être plus efficace. La température de l’eau peut alors rester relativement élevée sans devoir recourir à des compresseurs coûteux. Mais dans certaines autres circonstances, le refroidissement par air peut suffire, voire être plus efficace. Cela dit, les choses changent lorsque vous atteignez une densité de 50 kW par baie. Techniquement, il est encore possible d’utiliser le refroidissement par air, mais votre efficacité devient catastrophique. Et si vous allez vers des densités plus élevées encore, le refroidissement liquide est certainement une nécessité», explique encore Frizierro.

Stack mise à fond sur la durabilité

Data News a profité de cette rencontre pour visiter l’un des centres de données EMEA de Stack, un exploitant mondial de centre de données qui mise clairement sur la durabilité. Dans le centre ‘tier 4’ près de Milan, Michillay Brown, vp d’ESG, commente: «Pourquoi investir massivement dans la durabilité? Parce qu’il n’est plus possible d’ignorer cette réalité, pour les raisons invoquées par Schneider Electric, mais aussi sans conteste en raison de la transition et de la crise énergétiques, du réchauffement climatique et des conditions météo extrêmes que l’on rencontre partout dans le monde», déclare Brown sur un ton catégorique. «De plus, les centres de données ne peuvent se permettre aucune panne, ce qui nous oblige à prendre en compte les conditions climatiques extrêmes. Même dans la conception du bâtiment. Quand bien même une zone de pluie intense sur une très courte période s’abattrait sur le site, l’eau serait acheminée vers des bassins pour éviter toute inondation. Ce bâtiment est également conçu pour résister aux tornades comme on en connaît aux États-Unis, en espérant ne jamais en avoir chez nous.»

Cela étant, Michillay Brown ajoute qu’à ses yeux, la durabilité va au-delà de la maîtrise de la consommation d’énergie et d’eau. «Il s’agit pour nous de réutiliser la chaleur résiduelle ou encore de filtrer l’eau de pluie. Ceci tout autant dans un but sociétal ou pour soutenir les communautés locales.»

À l’échelle mondiale, chaque centre de données de Stack est alimenté en énergie 100% renouvelable et équipé de systèmes d’optimisation de l’eau, d’efficacité énergétique ou de refroidissement performants. L’entreprise installe souvent ses centres de données dans des zones industrielles, parfois en rénovant d’anciens bâtiments ou en construisant des infrastructures en préfabriqué pour réutiliser les espaces inoccupés et ainsi soutenir un écosystème économique et numérique plus large. «Nous considérons l’écologie et la durabilité sociale clairement comme une urgence stratégique», conclut Michillay Brown.

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