Best of: Les inventeurs de King’s Quest créent un nouveau jeu vidéo au bout de 25 ans

King's Quest 1 © Sierra

Il y a plus de trente-cinq ans, Roberta et Ken Williams ont véritablement acquis le statut de superstar parmi la population à l’époque encore modeste de ‘computer gamers’. Avec Colossal Cave Reimagined, les voici qui font subitement un comeback inattendu.

Vous vous trouvez au pignon d’un petit édifice en briques situé au bout d’une route qui vient du nord. Une rivière serpente dans le sud. Vers le nord, vous découvrez un paysage ouvert, alors que partout autour de vous, ce ne sont que buissons touffus. Et maintenant?

Il va de soi que vous entrez dans la maison qui n’est pas plus grande qu’une hutte. Vous en prélevez une lanterne en bronze, un trousseau de clés et une bouteille d’eau vide, puis vous sortez et découvrez à proximité, côté sud, une grille fermée par un cadenas. Heureusement, vous avez la clé pour l’ouvrir et lorsque vous placez une échelle en-dessous de la grille et que vous cheminez à travers un ensemble de grottes, la lampe que vous venez de trouver, s’avère bien utile pour éclairer quelque peu toute cette obscurité.

>Enter house

Après une brève exploration, vous enlevez les lunettes VR Oculus Quest 2 et vous vous retrouvez sur le stand de la firme de moteurs 3D Unity dans la partie du salon commercial de Gamescom, un festival annuel consacré aux jeux vidéo organisé dans le complexe de la ville allemande de Cologne. Colossal Cave Reimagined, le jeu dont vous venez de reproduire une démo, en est aux derniers mois de son développement. Ces tout premiers pas dans l’aventure sont temporairement la seule chose que les développeurs apprécient de montrer.

Or vous avez déjà joué à ce jeu, il y a très longtemps. Dans la seconde moitié des années 80, vous avez en effet déjà goûté sur un ordinateur Commodore 64 à Colossal Adventure, un jeu d’aventure vidéo textuel reprenant les mêmes événements, sauf que l’environnement était alors décrit en texte élégant certes, mais efficace, après quoi il vous était possible au moyen de commandes textuelles concises (un verbe et un substantif) de parcourir l’ensemble de l’univers du jeu tiré de la prose utilisée et de résoudre des puzzles logiques à l’aide d’objets trouvés. Ce jeu était à son tour une réédition de Colossal Cave Adventure, qui avait été développé en 1976 par l’informaticien Will Crowther et qui, des années durant, ne pouvait tourner que sur des mainframes.

Best of: Les inventeurs de King's Quest créent un nouveau jeu vidéo au bout de 25 ans
© Cygnus Entertainment

Colossal Cave Reimagined se situe au moins cinq révolutions au-delà du jeu original: au beau milieu des années quatre-vingts, tous ces jeux d’aventure se virent peaufinés. C’est ainsi que votre personnage put parcourir l’univers du jeu, que la zone d’entrée de texte disparut, que la technologie 3G dynamita le monde du jeu et que des lunettes VR vinrent s’ajouter à certains titres. Mais ce jeu qui, dans une version ‘platte’, se manifestera aussi sur PC et Nintendo Switch, aura bien toutes les caractéristiques de l’original. Comme la lampe en bronze et des incantations telles que ‘Xyzzy’ que le joueur doit émettre après avoir agité sa baguette magique.

Les animateurs et investisseurs du projet, le couple de Californiens Ken et Roberta Williams, connaissent leurs classiques. Car ces deux quasi septuagénaires sont eux-mêmes ce qu’on peut appeler des classiques. Quiconque jouait à des jeux vidéo dans les années 80 et 90 ou possédait déjà un ordinateur à cette époque, les connaît peut-être grâce à Sierra On-Line, l’éditeur de jeux vidéo comme King’s Quest et des dizaines d’autres encore par après. Pour la première fois en quasiment un quart de siècle – ayant perdu leurs illusions, ils prirent congé de l’activité des jeux vidéo en 1998 -, ils viennent de créer un nouveau jeu. Et dans ce but, ils ont opté, ce qui semble plutôt étrange, pour un produit déjà existant plutôt que pour quelque chose d’original.

‘Si nous avions commencé avec une feuille de papier vierge, nous aurions probablement conçu un jeu du genre de King’s Quest 9’, déclare Ken Williams à Data News. ‘Or nous ne possédions pas les droits sur King’s Quest, qui appartiennent à présent à Activision. Tout a débuté par une sorte de dégourdissement des doigts: je m’ennuyais durant les confinements du Covid et j’étais en train d’apprendre à programmer en Unity, parce que l’actuelle omniprésence de la technologie 3D me fascinait. Colossal Cave était un produit relativement simple et avait déjà été conçu: il ne devait plus qu’être adapté. Mais nous souhaitions voir transparaître l’esprit de l’original dans notre titre, ce qui n’est après tout que normal. Nous avons lancé Sierra au départ d’une fascination partagée envers Colossal Cave. Nous devons nos carrières à ce jeu. Il nous semblait donc simplement logique d’en revenir après tout ce temps à des jeux vidéo, dont les titres nous avaient autrefois inspirés.’

‘A l’époque, j’étais simplement obsédée par Colossal Cave, après avoir découvert le jeu’, déclare Roberta Williams. ‘Les moyens avec lesquels il a été réalisé, étaient évidemment encore simples, mais c’était quand même une histoire dans laquelle celui qui se trouve devant son ordinateur, joue le rôle principal, et où il apprend chemin faisant à connaître l’univers de l’histoire en l’explorant et en résolvant des puzzles logiques. Je trouvai cela magique.’

>Take brass lantern

On est en 2020 et pour Marcus Mera, ce n’est pas la meilleure année de son existence. Ce New-Yorkais de 45 ans, qui gagne sa vie en tant que concepteur de bijoux indépendant, est en train de divorcer et est forcé de revenir habiter temporairement chez ses parents. Il y trouve le calme, mais aussi… toute une pile d’anciens jeux vidéo de sa jeunesse. ‘Je me retrouvai propulsé dans les années 80 et 90, l’époque de mon adolescence’, déclare Mera à propos de cette période. ‘J’achetai un Commodore 64, explorai internet en quête d’une alimentation et d’accessoires et au fil du temps, je me mis à collecter aussi d’autres ordinateurs classiques. A un moment donné, j’acquis un lot de dizaines d’anciens jeux, dont certains m’intéressaient. Je parcourus 400 kilomètres pour aller les chercher, mais je n’avais pas osé imaginer ce que j’allais y dénicher: une version d’Adventures in Serenia de Sierra pour PC IBM, un joyau extrêmement rare. Et voilà comment je fis la une sur des groupes Facebook et des forums internet de collecteurs de jeux vidéo vintage. A un moment donné, l’organisateur du Vintage Computer Federation East Festival me demanda de venir faire une présentation sur le King’s Quest original de 1984, et sur l’impact que ce jeu eut sur l’industrie des jeux vidéo d’antan. J’acceptai aussitôt, mais il s’avéra alors que j’étais programmé juste avant Ken Williams en personne. Je devais donc venir parler de l’entreprise de Ken avant même qu’il ne prenne la parole. Vous avez dit stress?’

King's Quest IV
King’s Quest IV© Sierra

Pour réduire quelque peu la pression et pour veiller à ce que son discours ne chevauche sur le plan du contenu celui de Williams, Mera prit contact avec ce dernier. Ils se parlèrent, et c’est comme cela que Williams fut invité par Mera à créer un produit commercial de son ex-prototype qui allait devenir par la suite Colossal Cave Reimagined. ‘Il me demanda: à quoi êtes-vous occupé pour l’instant?’, déclare Williams. ‘Lorsque je lui dis que je planchais sur un mini-projet de jeu, il répondit que fort de son expérience en 3D-modeling, il aurait aimé y collaborer, et cela démarra ainsi. Neuf mois plus tard, nous avions créé quelque chose qui me paraissait tenir la route. Mais Roberta n’était pas cet avis: ‘C’est terrible. Nous devons protéger notre héritage: les gens attendent un certain niveau de qualité de vous.’ C’est alors qu’elle décida de collaborer et soudain, cela devint un véritable projet.’

>Xyzzy

La magie apparut dans le jeu, lorsque Roberta se rallia aux autres. Mari et femme ressentirent de nouveau le feu sacré d’autrefois, lorsqu’à vingt ans, à trente ans, voire à l’aube de leurs quarante ans, ils aidèrent à imposer le genre du jeu d’aventure. ‘Ils sont complètement plongés dans la pratique’, affirme Mera. ‘Ken me le dit aussi au tout début: ‘Tu t’y consacres entièrement ou tu ne collabores plus.”

Ken Williams, de son côté, poursuivit son processus d’apprentissage d’Unity et aida lui-même à programmer le jeu. Le couple injecta une partie de sa fortune dans le développement du jeu, ce qui lui permit de constituer des équipes de développement et de design de 34 personnes travaillant à domicile dans tous les Etats-Unis. Ils dirigeaient tout cela à partir des deux piliers traditionnels qu’ils utilisaient à l’époque aussi chez Sierra: Ken dirige l’aspect technique de l’activité, alors que Roberta se consacre au travail créatif.

>Throw axe at troll

Et les voilà tout à coup revenus à quelque chose dont ils avaient pris congé il y a un quart de siècle: des journées de travail de 12 heures ou plus. ‘Nous travaillons dur’, prétend Ken Williams. ‘Roberta et moi sommes assez compulsifs de nature: lorsque nous entamons quelque chose, nous n’avons de cesse d’aller jusqu’au bout. Pour moi, une journée typique débute à 6 heures du matin, lorsque les membres de l’équipe sur la côte est ont déjà travaillé une demi-journée. Ensuite, je poursuis mes activités jusqu’à 18 heures, lorsque les collaborateurs de la côte ouest s’arrêtent. Durant les week-ends, je travaille plus calmement, mais à présent que nous approchons de la fin du développement, je constate que toujours plus de personnes effectuent aussi du travail le week-end. Nous travaillons avec Microsoft Teams, ce qui est une bénédiction. Tout au long de la journée, nous recevons les questions de l’équipe par ce canal. Même Roberta et moi l’utilisons parfois pour chatter entre nous, à la maison, de nos bureaux respectifs. Je ne peux cependant pas dire que je m’amuse: j’avais oublié combien le travail de développement est ardu. J’ai hâte de pouvoir refaire quelques parcours de golf, mais à présent, en ce moment précis, place au jeu et rien qu’au jeu. Je serai cependant très heureux quand c’en sera fini et que je pourrai jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. Si vous m’aviez dit cela n’importe quel jour, lorsque j’arpentais encore les couloirs de Sierra, vous m’auriez probablement entendu grommeler, mais aujourd’hui, je considère cela comme l’apogée de ma vie.’ ‘Il s’agissait d’ajouter des choses à l’original’, explique-t-elle. ‘Notre jeu était avant tout graphique de nature, mais cela signifiait aussi que je devais écrire un nouveau texte. Pas nécessairement pour étoffer l’histoire ou les puzzles, mais bien pour donner des informations textuelles supplémentaires pour des choses que le joueur remarque peut-être – au sein du jeu – et ‘visualise’. Le joueur avait simplement besoin de davantage de brefs messages que dans le jeu original. J’ai essayé de les rédiger de la même manière que celle sur laquelle reposait la prose originale de Will Crowther et Don Woods, afin d’éviter toute divergence dans le ton.’

>Cross bridge

Ken et Roberta Williams ont créé Sierra, qui s’appelait à l’époque encore On-Line Systems, en 1979, et leur premier jeu – Mystery House – apparut sur le marché un an plus tard. Ce fut là le tout premier jeu d’aventure à images (simples). Avec l’argent qu’ils gagnèrent ainsi, ils firent développer des ‘joystickgames’ simples, mais relativement populaires tels BC’s Quest for Tires et Oil’s Well par des freelancers, mais la véritable impulsion que connut Sierra – appelée ainsi en raison des montagnes de la Sierra Nevada proches de la ville californienne d’Oakhurst, où leur entreprise était établie -, remonte à 1984 avec King’s Quest: un jeu d’aventure qui disposait non seulement de très beaux visuels compte tenu de la puissance de calcul de l’époque, mais dans lequel surtout le personnage principal pouvait aussi déambuler.

Ce fut un énorme succès commercial, qui fut suivi jusqu’en 1999 par sept suites. Entre-temps, les Williams amplifièrent le succès de leur création avec des titres conçus par d’autres développeurs et basés sur les mêmes programmes: Space Quest, Police Quest, Quest for Glory, Gold Rush et Leisure Suit Larry. Tout leur réussit , et Sierra évolua du stade de jeune pousse aménagée dans la cuisine jusqu’à devenir une entreprise occupant plus de mille personnes. En 1996, Sierra fut rachetée par CUC International, l’une des premières firmes d’e-commerce. Ce fut le début de la fin: deux ans après le rachat de Sierra, la société-mère fut passée à la loupe par le contrôleur financier américain SEC suite à des soupçons de malversations financières. En 2007, son CEO Walter Forbes fut pour cela condamné à une peine de prison de plus de dix ans.

King's Quest VII
King’s Quest VII© Sierra

‘Sierra n’a pas connu une belle fin, et cela nous a fait râler énormément’, affirme Williams. ‘Ces bidouillages étaient déjà en cours lorsque CUC International racheta Sierra: celle-ci, qui était pourtant en excellente forme et qui, selon moi, pouvait encore satisfaire des générations, à l’instar de Disney, fut entièrement vidée de sa substance. Nous nous dîmes alors tout simplement: au diable ces gens! Et nous nous en allâmes. Mais nous avions signé une obligation de non-concurrence à l’époque du rachat: pendant quelques années, nous ne pouvions plus travailler dans l’industrie des jeux vidéo. Je ne sais plus s’il s’agissait d’une période de cinq ou de dix ans, mais entre-temps, nous nous étions tournés vers d’autres centres d’intérêt. Nous avons acheté un voilier et nous fîmes le tour du monde. Nous sommes ainsi passés par le Japon, Malte, la Croatie, l’Italie, la mer de Béring. Nous avons traversé les Océans Atlantique et Pacifique. Je suis devenu électricien diplômé et mécanicien diesel. J’ai écrit quatre livres consacrés à la voile. Dans les ports de plaisance, les gens me connaissent comme un skipper, pas comme quelqu’un qui a créé des jeux vidéo.’

Ce qui n’a pas aidé non plus, c’est le fait que le jeu d’aventure a été quelque peu mis de côté suite à l’arrivée de la console Playstation.

>Plugh

‘Non je n’exclus pas que cela débouche à présent sur autre chose’, réagit illico Ken Williams, lorsque nous lui posons la question. ‘J’attends surtout de voir ce qui va se passer à présent que Microsoft est sur le point de racheter Activision. Ce serait en effet pas mal de créer un véritable King’s Quest 9 ou un nouveau Phantasmagoria. Roberta a toujours énormément apprécié ses mystères Laura Bow, tels The Colonel’s Bequest. J’ai entre-temps déjà échangé pas mal de courriels avec le responsable Xbox de Microsoft, Phil Spencer, et même avant le rachat, j’étais aussi en contact avec Activision. On verra.’ ‘Roberta réagit quelque peu plus sobrement: ‘Cela dépendra simplement de la façon dont le marché accueillera ce jeu. S’il devient un hit, nous regarderons plus-avant, mais s’il échoue, nous en resterons là. J’espère de tout coeur que les gens l’apprécieront.’

Il se pourrait qu’ils soient guidés par une bonne étoile. La division Xbox de Microsoft dispose en effet d’un programme ID@Xbox pour petits studios indépendants, et l’entreprise a déjà explicitement indiqué vouloir par ce canal ramener sur le marché sa propriété intellectuelle assoupie. En même temps, les jeux d’aventure – le genre qui a aidé les Williams à se faire connaître – effectuent actuellement une légère remontée: Ron Gilbert, l’auteur de classiques comme Maniac Mansion et The Secret of Monkey Island chez l’éditeur concurrent LucasArts, lancera bientôt la nouvelle suite Return to Monkey Island. ‘Trente ans plus tard, c’est de nouveau l’affrontement Roberta – Ron Gilbert’, déclare Ken Williams en riant. ‘A cette différence près que nous sommes à présent tous dans le même bateau: celui qui entend montrer aux gens combien les jeux d’aventure sont cool.’

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire