i-Police: chronique d’une mort annoncée d’un méga-contrat

© Nicolas Messyasz
Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

Le gouvernement fédéral met définitivement fin à i-Police, l’ambitieux mais très contesté projet de numérisation, censé guider la police belge dans le 21ème siècle.

Le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin (MR) a résilié le contrat conclu avec le géant IT français Sopra Steria, après qu’un examen critique a révélé l’absence de résultats tangibles, malgré les millions d’investissement consentis. Lors de son lancement en 2021, le projet i-Police était pourtant considéré comme le Graal pour la circulation des informations au sein de la police intégrée. L’objectif était aussi noble que complexe: réunir quatre-vingts banques de données et applications dispersées en une plateforme unique. Un accord-cadre de 299 millions d’euros fut attribué à un consortium formé autour du géant français de la consultance Sopra Steria. Aujourd’hui, plus de quatre ans après, le gouvernement fait marche arrière. Le bilan est douloureux: du budget total, 75,8 millions d’euros ont déjà été dépensés, sans grands résultats en termes de modules opérationnels.

Trajet laborieux

Cet arrêt n’est guère surprenant pour quiconque suit un tant soit peu le paysage tant politique que technologique. Initialement déjà, le projet connut des ratés. Après avoir décroché le contrat, Sopra Steria démarra en fait en 2022. ‘Conjointement avec nos partenaires, nous avons hâte de mener à bien ce projet et d’en faire un modèle pour les autres forces de police européennes’, avait à l’époque encore affirmé un ambitieux Michel Lorgeré, CEO de Sopra Steria Benelux, dans un communiqué de presse.

Mais les premiers débats sur la nécessité d’une numérisation remontent à 2016 déjà, à la suite des attaques contre l’aéroport de Zaventem et le métro bruxellois. Les ministres compétents avaient alors voulu consacrer 115 millions d’euros pour numériser la police. Le 20 mai 2016, la proverbiale signature de ce qui devait être i-Police fut effectivement apposée. La préparation effective débuta en 2017, mais la procédure finale d’appel d’offres et l’attribution s’éternisèrent.

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Il y a plus de deux ans déjà, il est apparu que la numérisation de la police avait du plomb dans l’aile. La gestion des informations, les processus de traitement et les projets ICT n’étaient pas harmonisés, selon un audit effectué par Deloitte en 2023. Parallèlement, il n’était à l’époque déjà pas clair de savoir ce qui était prioritaire sans compter, selon l’audit, un manque de vision sur le processus de transformation numérique. L’année dernière, donc, une tentative fut faite en vue de scinder le vaste projet en phases gérables, mais sans succès non plus. Les problèmes techniques et les retards continuèrent à s’accumuler.

La transformation numérique de la police tourne carré

Il ne fut dès lors guère surprenant qu’un nouvel examen approfondi d’i-Police ait été explicitement inclus dans l’accord fédéral du gouvernement De Wever. Il en résulta que le ministre Quintin reçut le mandat politique d’examiner d’un œil critique la mise en œuvre du mégaprojet.

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Nouvel examen critique

Les conclusions de la nouvelle évaluation furent on ne peut plus claires. ‘Cette tâche, préparée en 2017 et signée en 2021 n’a donné aucun résultat concret’, conclut à présent le ministre Quintin. ‘A ce jour, aucun élément n’a été fourni dans son intégralité’, indique le rapport que le journal De Standaard a pu consulter. Sur le budget total de 299 millions d’euros, 75,8 millions d’euros ont déjà été versés à Sopra Steria. Le ministre Quintin souligne qu’1,8 million d’euros seulement de ce montant ont été versés depuis le début de la présente législature.

Dans un message adressé à De Standaard, le commissaire général Eric Snoeck reconnaît que la numérisation de la police a subi du retard. Lui et le ministre Quintin soulignent que la police adopte désormais une nouvelle approche, ciblant des projets de plus petite envergure, qui reposent davantage sur les services IT internes de la police.

Le dossier i-Police fait ainsi partie de la liste des projets IT de prestige belges ratés. Pour le contribuable, il reste une facture salée de près de 76 millions d’euros pour un système qui n’a jamais vraiment fonctionné. Il reviendra désormais aux équipes IT internes de la police de préparer un avenir numérique viable à partir des cendres de ce fiasco. Et donc de ressusciter comme un phénix? C’est là une comparaison dont nous nous abstiendrons dans un contexte gouvernemental IT.

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