La Cour constitutionnelle: ‘Finis les droits d’auteur avantageux pour les informaticiens’

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Sept sociétés IT et quelque septante développeurs de logiciels ont saisi la Cour constitutionnelle pour contester la réforme du droit d’auteur, mais les juges estiment justifiée l’exclusion des développeurs de logiciels du régime fiscal favorable aux droits d’auteur.

La réforme du régime fiscal des droits d’auteur fait partie des projets fiscaux du ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V). Une nouvelle loi imposerait entre autres des conditions supplémentaires à l’application du régime fiscal favorable aux droits d’auteur. De ce fait, toute cession ou licence de droits d’auteur ne serait plus prise en compte pour un avantage fiscal.

En juillet de l’année dernière, sept firmes IT et quelque septante développeurs de logiciels se sont adressés à la Cour constitutionnelle pour s’opposer à la réforme. Ils ne remettaient certes pas en question la loi en tant que telle, mais l’interprétation que Van Peteghem en faisait. Fin 2022, ce dernier avait en effet annoncé à la Chambre que la nouvelle loi aurait un champ d’application plus strict, même si des questions pouvaient être soulevées sur la base du texte de la loi.

Principe d’égalité

Les firmes IT et les développeurs de logiciels ont explicitement demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur cette interprétation. ‘Selon la Cour, l’exclusion des programmes informatiques du régime d’avantages fiscaux est justifiée’, affirment Kimberley De Plucker et Vincent Vercauteren, avocats fiscalistes chez Tiberghien et spécialisés en la matière.

Selon les acteurs IT, cette exclusion constitue une violation du principe d’égalité, mais la Cour rejette à présent pareille affirmation. ‘Selon le législateur, le régime favorable a été introduit autrefois pour les secteurs soumis à des risques variables’, explique De Plucker. Pensez aux auteurs ou aux compositeurs. ‘Dans son argumentation, la Cour affirme désormais que le développement de programmes informatiques s’inscrit dans le cadre de relations économiques stables et que le secteur IT n’est donc pas soumis à ces risques volatiles.’

Nuages sombres

Grâce à ce régime favorable, les revenus des droits d’auteur sont soumis à un taux avantageux de 15 pour cent de retenue à la source avec d’importantes déductions de coûts (forfaitaires) et sont également exonérés des cotisations de sécurité sociale.

En raison du régime fiscal favorable, les droits d’auteur constituent précisément un moyen privilégié de rémunération des développeurs de logiciels dans le secteur IT et, pour de nombreux salariés, ils constituent une condition importante dans les négociations salariales. ‘Les éditeurs de logiciels sont pratiquement obligés de verser à leurs employés une partie des droits d’auteur dans le cadre de la… guerre des talents’, explique De Plucker.

L’exclusion des développeurs de logiciels met également en danger la position concurrentielle de la Belgique, estime De Plucker. ‘Au départ, de nombreuses entreprises étrangères n’avaient pas compris l’importance du droit d’auteur et n’étaient donc pas prêtes à faire face au tumulte et à l’incertitude juridique provoqués par le projet de réforme fiscale.’ En outre, une lutte de concurrence s’est manifestée entre les entreprises qui ont choisi de continuer à appliquer le régime fiscal favorable et celles qui l’ont inclus dans leurs packs salariaux.

Importance croissante des décisions anticipées

Ce régime fiscal favorable a perduré pendant des années, en partie grâce aux nombreuses décisions anticipées (‘rulings’) que les entreprises, notamment dans le secteur IT, ont conclues avec le fisc. Vercauteren: ‘Depuis plusieurs années, nous assistons à un plus grand contrôle de l’utilisation du régime de faveur. Sur base de l’interprétation, selon laquelle les logiciels ne sont pas couverts par la nouvelle loi, les décisions anticipées concernant les développeurs de logiciels deviennent caduques. Un triste résultat, puisque les décisions anticipées avaient une durée de cinq ans et que les entreprises ont désormais perdu leur protection juridique.’

La réforme du régime de faveur accroît l’importance des décisions anticipées pour les entreprises. ‘Quiconque bénéficie d’une telle décision approuvée par la ruling commission ne risque rien en principe. Mais cette commission appliquera des conditions plus strictes et refusera davantage de décisions anticipées, même si une entreprise dépose à présent la même proposition que celle approuvée par la commission il y a quelques années encore.’

Pourtant, le régime des faveurs continue d’exister

‘Comme prévu, il y a peu de choses à dire à propos des principes et de la technicité du jugement’, déclare Maxime Vermeesch, associé du cabinet Alongsight Legal et l’un des avocats à avoir introduit l’affaire devant la Cour constitutionnelle. ‘Mais il n’empêche que le jugement fait encore sourciller. Surtout quand la Cour affirme que le régime repose sur la présomption de revenus irréguliers et variables et qu’elle part du principe que l’exclusion des programmes informatiques n’aurait pas de conséquences disproportionnées pour les développeurs.’

‘Bien que certains produits livrables (‘deliverables’) de développeurs ne soient pas strictement des programmes informatiques sur le plan légal, on s’attend toujours à ce que l’administration fiscale suppose que les développeurs ne remplissent généralement plus les conditions pour bénéficier du régime favorable’, explique Vermeesch. ‘Nous recommandons donc aux développeurs de logiciels de ne plus appliquer ce régime depuis le 1er janvier 2024.’

Un jugement décevant

Ce qui est encore plus douloureux pour le secteur IT, c’est que d’autres professions restent hors d’atteinte. ‘Des groupes professionnels qui sont au même niveau que les développeurs en termes de régularité des revenus, comme les spécialistes du marketing et les journalistes, peuvent encore et toujours bénéficier du régime favorable. De plus, les développeurs n’ont désormais plus de clarté sur la qualification fiscale de leurs revenus. Or cette clarté était précisément le véritable objectif du régime fiscal de 2008. Bref, un jugement très décevant’, conclut Vermeesch.

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