Des grésillements sur la ligne au Parlement pour Proximus

Guillaume Boutin, CEO de Proximus, Stefaan De Clerck, président de Proximus, et Dirk Lybaert, secrétaire général. © BELGA PHOTO HATIM KAGHAT
Pieterjan Van Leemputten

Après les critiques sur le faible cours de l’action Proximus, l’entreprise s’est défendue au Parlement. Ses explications et les questions du monde politique, à l’exception de la N-VA, ont montré un manque de connaissances de base en matière de télécommunications chez les parlementaires.

Ces dernières semaines, Proximus a été pointée du doigt par la classe politique. Les critiques sont venues notamment du MR et de la N-VA et dénonçaient le fait que le cours de l’action de l’entreprise soit à un niveau bas, avec peu de perspectives d’amélioration. Proximus n’a pas répondu directement à ces affirmations, mais a demandé une audience pour expliquer la vision de l’entreprise et réfuter les critiques. Cela a eu lieu mardi après-midi.

Proximus insiste sur le fait qu’elle est aujourd’hui dans une position de force, mais que plusieurs défis l’empêchent actuellement de produire des ‘pépites d’or’ pour ses actionnaires. ‘L’ambition européenne est que tout le monde dispose d’un réseau gigabit, qu’il y ait la 5G partout. Nous y contribuons en partie à la demande de l’Europe’, déclare en préambule le président Stefaan De Clerck.

De Clerck souligne également les obstacles imposés par divers gouvernements, tels que les objections à l’utilisation de pylônes électriques et la taxe sur les tours de transmission, autant d’éléments qui rendent un déploiement plus coûteux et plus complexe. Il évoque également l’urgence de déployer la fibre optique le plus rapidement et le plus efficacement possible. Lui et le CEO Guillaume Boutin espèrent que White Smoke conclura bientôt un accord avec des concurrents (principalement Wyre, composé de Telenet et Fluvius) pour déployer ensemble la fibre optique. Cela n’a été autorisé que récemment par une réglementation.

Fibre, Digi et de mauvaises conditions de marché

‘Nous avons longtemps actualisé notre réseau de cuivre, mais cela ne suffit plus. Nous devons donc déployer ce réseau de fibre optique dans les plus brefs délais. C’est pourquoi nous y injectons six milliards d’euros supplémentaires, un investissement ‘consenti une seule fois par génération’, après quoi nous pourrons retrouver les marges bénéficiaires d’avant.’

Proximus a également évoqué ‘le tapis rouge’ qui est en train d’être déroulé pour Digi, le quatrième opérateur national qui amplifiera la concurrence. ‘Nous avons mis en garde contre les risques et les effets secondaires, mais nous y ferons face pour limiter les conséquences négatives’, ajoute De Clerck.

A l’international, il évoque le rachat de Route Mobile (2023), que Proximus souhaite regrouper avec BICS et l’américaine Telesign (rachetée en 2017). La diversification dans la perspective du marché international peut générer une croissance et des bénéfices susceptibles de soutenir les investissements nationaux. Les désinvestissements comme la vente des centres de données devraient pour leur part rapporter de l’argent à court terme.

‘Pourquoi les vendons-nous maintenant? Parce que nous n’en aurons plus besoin à l’avenir. Nous n’allons pas rivaliser avec des entreprises comme Microsoft, qui investissent des milliards dans leurs centres de données. Nous ne pouvons pas faire face à cette concurrence’, déclare Boutin à ce propos.

Proximus a adressé un message clair au Parlement: le cours de l’action est bas, mais cela peut s’expliquer par les investissements nécessaires que KPN a déjà réalisés aux Pays-Bas, un mauvais marché pour (presque) tous les acteurs télécoms européens, et une concurrence imminente sur son propre marché.

Mal connecté

Après l’entrée en matière signée Proximus, différentes factions ont pu poser des questions et faire des commentaires. Même si la plupart ne sont pas allées au-delà de vagues généralités, ciblant le gouvernement démissionnaire, on eut droit à un avis sur la question de savoir si Proximus devait ou non rester dans les mains de l’Etat, caractérisé parfois par un manque cruel de connaissances sur l’entreprise ou le secteur.

Un parlementaire a ainsi parlé de ‘vitesse gigabyte’, une confusion compréhensible avec le gigabit, mais une vitesse huit fois plus rapide. 1 byte correspond à 8 bits et est souvent utilisé pour indiquer un volume de données, alors que les bits, mégabits ou gigabits par seconde sont utilisés pour indiquer la vitesse d’une connexion.

Dieter Keuten (Vlaams Belang) a estimé que Proximus avait attendu trop longtemps pour déployer la fibre optique ‘parce qu’elle devait couvrir les déficits budgétaires du gouvernement fédéral’. Le parlementaire oublia ici que Proximus a pu ainsi tirer profit pendant très longtemps de son réseau de cuivre et que la technologie de la fibre optique est désormais plus mature et peut-être moins chère.

Le MR pour sa part s’intéresse à KPN, qui va beaucoup mieux aujourd’hui. Là encore, on semble oublier que l’opérateur néerlandais a connu des périodes fortes au début de ce siècle en raison de l’ouverture du marché, suivie d’une diversification de ses activités. Elle a ensuite racheté, entre autres, Getronics, qui a été revendue en 2019 sous le nom de KPN ICT Consulting à la firme belge Cegeka.

Côté PVDA/PTB, le manque de connaissances de base en économie moderne était particulièrement évident. Farah Jacquet se demandait pourquoi les entreprises télécoms engrangent de gros profits: ‘Pour une entreprise publique, le but doit être de servir les gens.’ Parallèlement, elle se demande pourquoi l’entreprise travaille avec des sous-traitants pour l’installation de la fibre optique. Une dissidence étonnante dans une salle qui souhaite avant tout que Proximus accorde une plus grande attention à ses sous.

CD&V et Groen/Ecolo se sont, eux, montrés relativement modérés et positifs quant aux explications de Proximus. La question était notamment de savoir si le déploiement de la fibre optique se déroulait dans les délais. Mais on entendit aussi d’autres questions inadéquates, telles que combien de personnes disposent aujourd’hui de la fibre optique? A quand une couverture 5G complète? Des sujets sur lesquels Proximus communique régulièrement dans des rapports trimestriels et annuels. Boutin déclara qu’il visait une couverture à cent pour cent en fibre optique à Bruxelles, à quatre-vingts pour cent en Flandre et à septante pour cent en Wallonie.

Un seul parlementaire s’est demandé comment l’entreprise faisait face à la baisse des revenus issus des SMS et de la téléphonie fixe. C’est comme si un débat sur l’avenir de Proximus se tenait soudain il y a dix ans.

Les réclamations de la N-VA 

Un seul parlementaire connaissait bien le sujet. Michael Freilich a en effet brusquement pris Boutin et De Clerck pour cible. Rappelons que ce député N-VA a été l’un des leaders de l’attaque lancée contre Proximus ces dernières semaines, et ses munitions ne semblent pas encore épuisées. Freilich reproche à Proximus d’être sélective en matière de chiffres: ‘Nous n’avons d’autre choix que de constater que sa valeur boursière a été décimée’. Selon lui, le fait que l’entreprise ait été retirée du Bel20 et que Moody’s et Standard & Poor’s aient abaissé leurs notes sur l’entreprise, est sans précédent.

Il reproche également à Proximus d’avoir payé trop cher pour le rachat de Fiberklare. La co-entreprise avec la société d’investissement EQT a été entièrement rachetée par Proximus cet été pour 246 millions d’euros. Selon Freilich, EQT y a investi 60 millions d’euros. 

Freilich: ‘Si elle avait investi dans ce domaine plus tôt, l’entreprise ne se serait pas mise dans les problèmes.’ De Clerck a réagi en soulignant que ce rachat était utile et que la pleine propriété du réseau de fibre optique constituera une valeur ajoutée à long terme. Surtout si d’autres opérateurs utilisent également le réseau. De Clerck: ‘Nous prévoyons qu’un tel réseau sera utilisé trois fois plus d’ici 2030, les besoins seront encore plus grands qu’aujourd’hui, ce qui signifie que nous aurons besoin de notre propre infrastructure à court terme.’

Les arguments étayés de Freilich furent également accompagnés d’accusations et d’insinuations non prouvées. ‘Tout ce que vous touchez, se transforme en boue’, affirma-t-il ainsi en référence à l’arrêt de la collaboration avec Belfius autour de Banx et à l’arrêt de la vente des tours Proximus à Immobel. Proximus fit ici observer que c’est principalement Immobel qui n’a pas pu mettre l’argent sur la table malgré un accord.

Freilich ne croit pas non plus que l’ambition de réunir Route Mobile, BICS et Telesign soit une sage décision en raison de ‘cultures complètement différentes’: ‘C’est particulièrement ardu sur un marché pour le moins difficile. Les gens se demandent ce que vous faites et c’est ce qui explique que l’action en paie les pots cassés.’

Ces propos s’accompagnèrent également d’une discussion sur le changement de CEO chez BICS. Selon Proximus, il y aurait eu une différence de vision, alors qu’un autre différend entre ses filiales aurait été résolu de manière conventionnelle. Freilich réagit du tac au tac et affirma qu’il y avait eu une demande de mettre en place des transactions artificielles. Il exigea donc un audit et de la transparence sur cette situation. Proximus déclara vouloir assurer la transparence nécessaire à ce sujet, éventuellement à huis clos.

Les reproches sont parfois devenus très virulents et sont allés bien au-delà de la question du cours de l’action. C’est ainsi que Freilich a lancé à un moment donné la rumeur, selon laquelle De Clerck utilisait son chauffeur pour un usage privé. Ce qui débuta par des inquiétudes concernant l’action Proximus déboucha alors sur une avalanche d’accusations de la part d’un député très bruyant, dont le parti pourrait bientôt partager des postes ministériels.

L’Open VLD tempère

Les diatribes de Freilich suscitèrent des réactions parmi ses collègues. Steven Coenegrachts de l’Open VLD demanda ainsi au membre de la N-VA de cesser de lancer des accusations ‘basées sur des intuitions’: ‘Ce Parlement a lui-même choisi que le CEO soit nommé par le conseil d’administration et non par le ministre compétent.’

Selon lui, les déclarations et les divergences de vue sur l’entreprise de la part des différentes factions sont ‘la meilleure publicité pour que le gouvernement cesse sa participation dans des entreprises cotées à la Bourse’. Il a également souligné que les entreprises cotées à la Bourse ne sont pas autorisées à communiquer sur n’importe quel sujet et que la classe politique éprouve clairement du mal à le faire.

Le CEO Guillaume Boutin a pris la balle au bond: ‘La reprise du marché boursier est un objectif à long terme, mais ce chemin est semé d’incertitudes. Tout dépendra des collaborations autour de la fibre optique, de la manière dont Digi influencera le marché et de notre capacité à obtenir des résultats à l’échelle internationale. Nous l’avons également expliqué lors des assemblées générales.’

Lien conservé ou rompu?

Dans l’ensemble, Proximus n’a pas révélé grand-chose de plus qu’elle n’avait déjà communiqué et n’a pas non plus été en mesure de répondre à toutes les préoccupations. Les déclarations de l’entreprise étaient claires, mais quant à savoir si elles seront acceptées par les différents parlementaires, c’est une autre affaire. Si le MR se montre toujours compréhensif face aux explications de l’entreprise, à la N-VA, le lien semble complètement rompu.

Avec un nouveau gouvernement en vue et un nouveau débat sur l’actionnariat de l’Etat, un paradoxe intéressant se profile à l’horizon: certains partis préféreraient que le gouvernement réduise sa participation. Mais au cours actuel de la Bourse – Proximus a clôturé mardi à 6,50 euros par action -, cela ne lui apportera pas ce qu’elle attend depuis des décennies déjà.

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