Avez-vous raison de vous inquiéter de la montée rapide de l’intelligence artificielle?

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Un robot peut-il devenir chef-coq? Des ordinateurs peuvent-ils servir de chauffeur de taxi, telemarketeur ou arbitre? La réponse est oui sur toute la ligne, et cela engendre des questions dans le domaine en croissance particulièrement rapide de l’intelligence machine, où l’intelligence de l’ordinateur se rapproche de celle de l’homme… voire la dépasse à terme.

Faisons connaissance avec PR2, un robot qui, il y a deux ans déjà, semblait en état d’apprendre par lui-même comment cuire une pizza préparée. Il trouva tout ce dont il avait besoin en analysant des vidéos sur YouTube et en scannant des pages WikiHow sur internet. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a directement maîtrisé ce processus d’apprentissage pour le mettre à disposition de tous ses… congénères: le modus operandi a en effet été chargé sous la forme d’algorithmes sur un système en ligne appelé RoboHow, sur lequel d’autres systèmes informatiques et robots intelligents pouvaient se brancher.

Moley, un autre robot intelligent, avait reçu lors du salon CeBit de l’année dernière la mission de la part de ses créateurs de réaliser un potage au crabe sur base d’une recette du lauréat de MasterChef UK, Tim Anderson. Il y parvint en une demi-heure avec des restes de cuisine comparables à ceux utilisés par Anderson en personne pour la même recette.

En croissance

Ce ne sont là que deux exemples pris au hasard qui démontrent l’incroyable croissance qu’ont connue les machines intelligentes ces dernières années. Les ordinateurs et les robots qu’ils commandent, sont littéralement devenus progressivement plus intelligents grâce au fait que leur logiciel interne est lui-même programmé de telle façon à stocker aussi tout ce qu’ils ont appris, et à partager entre eux ces processus d’apprentissage via le nuage.

Les emplois en télémarketing et en mobilité notamment pourraient être rapidement les victimes de l’intelligence machine

“Les premières décennies au cours desquelles les systèmes IT intelligents ont percé, ils restaient dans les limites de leurs propres structures: il s’agissait de robots physiques qui effectuaient une tâche répétitive spécifique, des systèmes CRM qui aidaient à la prise de décisions de vente, etc., déclare Menno Van Doorn, directeur du Research Institute for the Analysis of New Technology au sein de l’entreprise ICT française Sogeti. Les systèmes sont alors devenus de plus en plus intelligents, tout en restant dans un environnement très fermé et contrôlé. La toute dernière génération de systèmes intelligents est par contre très différente: ils se déplacent dans un environnement non-contrôlé, où ils sont confrontés à des éléments inhabituels pour eux. Et ils développent leur pouvoir d’auto-apprentissage, ce qui fait qu’ils s’améliorent sans cesse dans leur imitation du comportement humain.”

Tout cela a mis en branle une véritable mini-industrie: le cabinet de consultance Deloitte a calculé que le marché des applications d’apprentissage machine représente aujourd’hui déjà une valeur d’un milliard d’euros et atteindrait pas moins de 50 milliards d’ici trois ans. Les investissements dans les jeunes entreprises actives dans ce domaine ont triplé en 2014 par rapport aux années précédentes. Les grandes sociétés s’intéressent aussi à ce domaine: Google rachète ainsi avidement des startups qui y sont actives, dont Boston Dynamics, DeepMind et Redwood Robotics, alors qu’IBM, Microsoft et Amazon louent les services de leurs systèmes IT intelligents à d’autres entreprises.

Hardware et algorithmes

Le développement de l’intelligence machine a débuté il y a soixante ans avec un mini-projet estival à l’université britannique de Dartmouth. Conjointement avec une équipe d’étudiants, le chercheur en informatique John McCarthy a durant l’été de 1956 posé la base théorique de l’intelligence machine et a expliqué à cette occasion qu’une machine apprenant par elle-même serait une réalité dans les vingt ans qui allaient suivre. C’était évidemment exceptionnellement optimiste, mais ces dernières années, l’on a vu apparaître certains éléments qui ont quand même accéléré le développement des systèmes intelligents.

Les ordinateurs apprennent non seulement par eux-mêmes, mais partagent ausi ce qu’ils ont appris par l’intermédiare de ce que les chercheurs appellent le Web ou les robots

Il s’agit surtout de deux éléments qui constituent le ’tissu’ de la technologie IT: une amélioration constante du matériel, et la création d’algorithmes intelligents qui permettent aux ordinateurs de penser de plus en plus comme un humain. Pour ce qui est du premier maillon, des entreprises telles IBM, Nvidia et Google préparent des sortes de puces complètement nouvelles, qui se présentent comme un réseau neurologique – avec la structure du cerveau humain donc. Côté software, l’on a imaginé des algorithmes qui simulent le fonctionnement du cerveau humain par des ‘technique de mémoire associatives’, ce qui fait que les ordinateurs améliorent leur réflexion en vue de résoudre des problèmes: ‘aucun ordinateur ne dit plus non désormais’.

Ce qui joue aussi un rôle non négligeable dans l’énorme cadence prise subitement par les systèmes apprenant par eux-mêmes, ce sont les big data: les robots/ordinateurs apprennent non seulement par eux-mêmes, mais partagent aussi ce qu’ils ont appris par l’intermédiaire de ce que les chercheurs IT appellent le world wide web of robots. Ajoutons également une meilleure interaction physique avec le monde réel grâce à la progression dans le monde de la robotique: les robots disposent aujourd’hui des capacités motrices suffisantes pour saisir par exemple un sachet de chips sans les réduire en miettes.

La croissance technologique rapproche les limites qui semblaient infranchissables, il y a quelque temps encore. Comme l’identification des émotions. “Un ordinateur ou un robot ne peut sans doute pas ressentir des émotions, mais ils peuvent de mieux en mieux les reconnaître chez l’homme, déclare encore Van Doorn. Cela s’effectue entre autres par le captage de notre timbre de voix. Ils apprennent ainsi à identifier les émotions de la personne avec qui ils conversent, et même à retenir l’apparence de ces mêmes émotions. Ils apprennent donc à reconnaître les émotions et à les anticiper et ce, sans qu’ils en ressentent effectivement eux-mêmes. Mais cela est moins important pour une machine conçue pour effectuer correctement une tâche: d’un médecin, je préfère qu’il travaille sur base de sa connaissance professionnelle que de son intuition.”

Bénédiction/malédiction

Si l’apprentissage machine poursuit sa croissance dans les années à venir et lorsque les premières véritables applications grand public arriveront sur le marché (comprenez: les arrière-petits-enfants des assistants numériques Siri, Cortana et Google Now), l’homme pourra sans aucun doute se débarrasser de nombreuses petites tâches abrutissantes: les robots et les ordinateurs ne se plaignent (provisoirement) pas encore. Mais il y aura aussi un revers à la médaille: le risque est grand en effet qu’ils s’approprient également des emplois humains dans le futur. Michael Osborne, professeur assistant en apprentissage machine à l’université d’Oxford, a calculé dans sa récente étude ‘The Future of Employment’ que des emplois en télémarketing et en mobilité notamment pourraient être rapidement les victimes de l’intelligence machine.

Et puis, il y a encore la question de ce que le futurologue Ray Kurzweil appelle la Singularité: supposons que la puissance d’auto-apprentissage des machines continue de s’accélérer de telle manière à constituer à un moment donné une ‘super-intelligence’, qui dépasse de beaucoup celle de l’homme, et qui prenne conscience que ce dernier est devenu superflu et ne doit donc pas continuer d’exister. C’est un scénario catastrophe qui a déjà été exploré ces dernières décennies dans des films de science-fiction comme 2001: Odyssée de l’Espace, The Terminator, Wargames, Tron et The Matrix, et vis-à-vis duquel Bill Gates, Stephen Hawking et Elon Musk mettent en garde. “A mes yeux, il y a un double élément dans cette crainte des machines trop intelligentes, conclut Van Doorn. Nous attribuons pas mal de comportements humains aux machines, ce qui fait que nous avons peur qu’elles s’approprient aussi nos échecs humains, si elles deviennent aussi sensées que nous. Mais qui sait, peut-être les machines ne s’intéresseront-elles qu’à nos beaux côtés? Car il y en a quand même…”

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