Jessica Kellner

L’accessibilité n’est pas une faveur, mais un droit fondamental

Jessica Kellner co-fondatrice de l'agence numérique Bits of Love

A partir du 28 juin 2025, le European Accessibility Act obligera les entreprises et les gouvernements à rendre les produits numériques accessibles aux personnes handicapées. Mais reconnaissons-le: si nous agissons uniquement par ‘obligation’, nous passerons à côté de l’essence de l’inclusion.

Le débat sur l’accessibilité se résume souvent à des normes techniques: contraste, taille de police, texte alternatif. Mais si la structure de votre information n’est pas claire, si votre interface n’est pas parlante, une taille de police plus grande ne servira à rien. L’accessibilité commence par un concept empathique, ce qui exige perspicacité et volonté. L’accessibilité ne devrait pas être une simple case à cocher – c’est un droit fondamental.

L’angle mort de la société numérique

Nous vivons dans une société qui aime se féliciter de ses progrès numériques. Mais si vous y regardez de plus près, vous verrez un angle mort: des millions de personnes exclues de ces progrès. Non pas que la technologie ne le permette pas, mais parce qu’en tant que société, nous prêtons trop peu d’attention au fait que tout le monde n’a pas la même position de départ.

C’est une vérité dérangeante: la plupart des produits et services numériques sont conçus pour l’utilisateur moyen, et non pour les minorités vulnérables. Nous concevons aujourd’hui des services numériques personnalisés et basés sur l’IA – mais pourtant, une grande partie des utilisateurs s’y sentent encore largement perdus, même les plus férus de numérique. Pourquoi?

Parce que nous concevons à partir de systèmes, pas à partir de personnes. Pensez à Smartschool, qui est tellement surchargée de fonctions, d’abréviations et de menus que les parents sans expérience pédagogique ont du mal à s’y retrouver. Ou à la connexion à des services gouvernementaux, où il convient de saisir les mêmes informations encore et encore, à tel point que le processus semble fastidieux et déroutant. De nombreux hôpitaux disposent par ailleurs de pages d’offres numériques peut-être ‘visuellement accessibles’, mais en termes de contenu, elles constituent un véritable labyrinthe. Et même les applications bancaires, où ‘effectuer un paiement simple’ devient parfois un parcours de recherche à cause d’icônes ou d’étapes peu claires, qui ne semblent pas logiques.

Il ne s’agit pas de bugs, mais de choix structurels. Or trop souvent, ces choix sont faits sans tenir compte de l’utilisateur final. Il ne s’agit en effet pas d’agrandir une police de caractères, mais de réduire la distance entre l’humain et la technologie numérique.

Une appli comme levier d’autonomie

Chez Bits of Love, nous travaillons en collaboration avec l’a.s.b.l. De Lovie, une organisation qui soutient les jeunes souffrant d’un déficience intellectuelle. Ensemble, nous avons développé une appli qui leur permet de choisir de manière autonome les activités de loisirs auxquelles ils souhaitent participer.

Lire ou écrire n’est souvent pas possible pour eux. Nous avons donc créé une interface en langage de pictogrammes – intuitif, reconnaissable, adapté à leur univers. Tous les choix du concept – depuis la navigation jusqu’aux couleurs et au feedback – ont été testés chez des jeunes eux-mêmes. Il n’y a pas de menu caché ou de processus d’enregistrement compliqué. Chaque action à l’écran est immédiatement compréhensible, sans explication. Pour eux, c’est la différence entre être autorisé à participer à quelque chose ou pouvoir choisir par eux-mêmes. Autonomie, autogestion, et donc aussi: inclusion.

Ce qui rend cette appli plus accessible que d’autres, ce n’est pas seulement à cause de son aspect visuel, mais de tout le processus. Nous avons impliqué les jeunes dès le début, nous avons testé chaque fonctionnalité avec eux et continuons à apporter des ajustements en fonction de leurs réactions. L’accessibilité est un processus, pas un point final.

Le design inclusif nécessite un état d’esprit différent

Un changement de mentalité commence par la prise de conscience que l’on est rarement son propre groupe cible. En tant que concepteur, chef de produit ou développeur, vous êtes généralement rapide, compétent en numérique et hautement qualifié. Mais que faire si votre utilisateur ne lit pas facilement? Souffre de déficit de l’attention sans hyperactivité? Parle une autre langue maternelle? Testez-le. Parlez-lui. Concevez avec lui. Je souhaiterais encourager les entreprises à ne pas faire de l’accessibilité une obligation, mais un avantage compétitif. Le design inclusif débouche sur de meilleurs produits et sur une meilleure expérience client – pour tous.

Quiconque veut prendre au sérieux ce qui précède, débutera par ces cinq étapes:

  • Sensibilisez votre équipe. Expliquez l’importance de l’accessibilité – non seulement légalement, mais aussi socialement.
  • Faites-en une valeur au sein de votre organisation. Ancrez-la dans votre mission, et pas seulement dans votre checklist.
  • Travaillez de manière orientée processus: développez une approche réfléchie et consistante du design inclusif. Ou collaborez avec des experts comme Bits of Love.
  • Impliquez des utilisateurs finaux souffrant de handicaps, pas seulement vos testeurs internes. Leur expérience est indispensable.
  • Surveillez et ajustez. Les nouvelles technologies et les nouveaux besoins nécessitent une adaptation continue – pas une solution unique.
  • Pour terminer, placez la barre plus haut que ce que prescrit la loi

    La nouvelle législation constitue un pas en avant, mais le véritable travail ne fait que commencer. L’accessibilité nécessite un changement de mentalité, non seulement parmi les concepteurs et les développeurs, mais aussi de tout un chacun proposant des services numériques. Cela exige de l’empathie, une prise de conscience que la norme ne représente pas toujours la majorité.

    Plaçons la barre plus haut que ce que prescrit la loi. Non pas par obligation, mais parce que c’est bien ainsi. Car ‘l’inclusion numérique ne concerne pas uniquement les personnes handicapées. Elle rend chaque produit numérique meilleur pour tout le monde.’

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