Fleur Hermse

‘Bias by design’: pourquoi l’IA ne peut se passer des femmes

Fleur Hermse Sales Director Benelux, Fujitsu

Surtout aujourd’hui que l’IA joue un rôle aussi important dans nos vies, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la moitié de la population mondiale en rade.

Lors d’une interview accordée en 2009 sur la place de la femme dans l’IT, on m’avait tout bonnement qualifiée de ‘femme de service’. Eh oui. Car en tant que femme dans le secteur technologique, on est souvent le symbole de la politique de diversité. De belles paroles, mais peu d’influence réelle. Et maintenant, seize ans plus tard? Des choses ont certes changé, mais je pense que le processus est encore terriblement lent.

Faire carrière avec un sentiment de culpabilité

Voici un fait alarmant: la proportion des femmes dans les métiers techniques est en baisse constante depuis 1990. Aujourd’hui, la moitié des femmes qui poursuivent une carrière dans la technologie, abandonnent avant l’âge de 35 ans. Il est de plus en plus urgent de remédier à ce problème, compte tenu de la perspective que des décisions-clés seront prises à court terme autour de l’intelligence artificielle et par elle.

Je sais mieux que quiconque ce que signifie s’affirmer en tant que femme dans un monde IT majoritairement masculin. Quand j’allaitais, je le faisais en cachette dans les toilettes. Non pas par honte, mais parce que je craignais qu’on me prenne pour moins concentrée ou moins ambitieuse.

J’ai tout donné pour prouver que c’était possible: avoir des enfants et faire carrière. Motivée par l’espoir et la passion de faciliter la vie de la prochaine génération de femmes, dont ma propre fille Faye. Malheureusement, ce sujet mérite encore en toujours beaucoup d’attention, et nous devons aborder avec conscience le travail, l’ambition et le fait d’être une femme dans le secteur technologique.

La technologie n’est pas une affaire d’hommes – l’IA pas du tout!

La technologie est encore trop souvent perçue comme une affaire d’hommes. Pourtant, je la considère comme une formidable opportunité pour les femmes. Dans les métiers plus traditionnels réservés aux femmes, comme la santé et l’éducation, les emplois du temps offrent peu de marge de manœuvre et de flexibilité. Dans le domaine de la technologie, lorsque mes enfants étaient encore très jeunes, je pouvais organiser mon emploi du temps. Cela me permettait d’être présente aux moments importants, aux semaines thématiques et aux spectacles, mais aussi de les emmener à l’école. Mes enfants en ont bénéficié et n’en ont pas… souffert. Et même aujourd’hui, alors que j’écris cet article chez moi un vendredi après-midi, je me dois d’assister aux spectacles que ma fille a vus à Kingsland, et c’est possible, car j’ai cette flexibilité.

Mais où est la véritable urgence aujourd’hui? Elle réside dans l’IA. Car les modèles d’IA ne sont pas neutres. Ils se forment à partir de données, et ces données regorgent d’idées dépassées. Si ce sont principalement des hommes qui développent les algorithmes avec des données qui leur sont propres, cela se traduit par une IA qui désavantage structurellement les femmes.

La seule façon d’espérer que l’IA réponde véritablement aux besoins de tous les membres de la société est de concilier son développement avec les valeurs de tous les genres. Il est donc crucial que chacun soit impliqué dans les processus décisionnels liés à l’IA. Il est temps pour les femmes de s’impliquer dans les sujets relatifs à l’IA, dont le taux de croissance annuel composé prévu est de 36,6 pour cent entre 2024 et 2030.

‘Biais in, biais out’

L’intelligence des modèles d’IA dépend de leurs données. Et ces données sont souvent constituées de siècles de préjugés. De l’analyse des CV à l’évaluation des dossiers: l’IA s’approprie volontiers nos erreurs passées. On voit encore des femmes se voir refuser des emplois, parce que leur profil ne correspond pas à celui des candidats ‘retenus’ – qui, comme par hasard, sont tous des hommes. Ou parce qu’elles ont moins de chances d’obtenir un prêt. Ce n’est pas une erreur. C’est systématique.

C’est pourquoi il est tellement important que les femmes participent au développement de ces systèmes. Non pas pour la décoration, mais comme actrices critiques. L’IA, c’est une affaire de décisions. A propos de qui obtient un emploi, qui a accès aux soins médicaux, qui peut acheter une maison. Si les femmes n’y sont pas représentées, cette technologie devient tout simplement injuste.

Pas d’IA sans inclusion

Chez Fujitsu, où je travaille, des mesures concrètes sont prises pour éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les femmes. Dans la perspective du genre, nos progrès sont clairs en interne: les femmes représentent désormais 42 pour cent de notre Management Team au Benelux. En 2021, nous avons lancé le programme Empowering Women pour encourager les femmes à occuper des postes de direction. Grâce à notre initiative de mentorat en ligne Future Me, nous avons obtenu des résultats remarquables: 72 pour cent des ‘mentorées’ déclarent se sentir davantage motivées à diriger, les taux de promotion des femmes ont augmenté de 23 pour cent, et leur rétention a progressé de 7 pour cent. Mais ce n’est là qu’une partie du puzzle. Nous devons ratisser plus large. Des modèles à suivre à l’éducation des enfants. D’un plus grand nombre de femmes leaders technologiques à des hommes qui affirment eux aussi: ‘Elever des enfants, c’est mon affaire’. Ce n’est qu’alors que nous parviendrons à créer un équilibre.

Et oui, l’inverse est également vrai. Dans l’enseignement, ce sont presqu’exclusivement des femmes qui sont actives. Or les garçons ont aussi besoin de modèles masculins. L’IA apprend de notre société et donc, si celle-ci n’est pas équilibrée, l’IA ne le sera pas non plus.

L’avenir, c’est l’IA. L’avenir, c’est la femme. Ou en tout cas, l’inclusion.

Nous sommes à la croisée des chemins. L’IA change tout: de notre façon de travailler à notre manière de vivre. Et si nous voulons un avenir juste, sûr et accessible à tous, chacun doit y mettre du sien. Je suis convaincue que sans diversité dans les données et au sein des équipes qui développent l’IA, nous serons bientôt soutenus par des algorithmes qui ne connaissent qu’un seul côté de la médaille. Et c’est dangereux.

Le message que je voudrais donc passer ici aux jeunes femmes? N’hésitez pas. La technologie a besoin de vous. L’IA a besoin de vous. Et le monde? Il ira mieux si vous êtes partie prenante.

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