Voici comment la Flandre veut rattraper son retard numérique

Jan Jambon. © BELGA PHOTO DIRK WAEM

Le ministre-président flamand Jan Jambon ambitionne de ramener la Flandre dans le peloton de tête du numérique en Europe. Une stratégie déployée par la directrice de Digitaal Vlaanderen, Barbara Van Den Haute.

L’administration flamande entend faire ‘un pas de géant’ dans le numérique pour sortir renforcée de la crise du coronavirus. C’est ainsi qu’elle vient de signer un contrat cadre ICT d’au moins 1 milliard d’euros avec plusieurs partenaires privés (voir page 25). De plus, elle a prévu 1 milliard d’euros supplémentaires, répartis sur 3 ans, dans son plan de relance numérique sous la houlette de Digitaal Vlaanderen.

Digitaal Vlaanderen est le fruit de la fusion de l’Agentschap Informatie Vlaanderen et de l’entité ICT de la Facilitair Bedrijf. Quel est le but recherché?

JAN JAMBON: En fait, nos clients, à savoir les administrations locales et les agences, ne savaient pas bien à qui s’adresser. Nous créons donc un ‘guichet unique’, sachant que 1 plus 1 fera plus que 2. Avec 200 collaborateurs d’un côté et 200 de l’autre, ce qui donnera un levier important.

La numérisation coûte cher: 1 milliard d’euros pour les contrats ICT, plus 1 milliard d’euros pour la relance. D’où vient tout cet argent?

JAMBON: D’une part, il y a les contrats cadres qui sont inscrits au budget et portent sur la poursuite de l’automatisation des administrations et la gestion des applications existantes. Ce sont les affaires courantes dont le montant est réparti sur 7 ans. Ensuite, il y a le plan de relance flamand, soit au total 4,3 milliards d’euros, dont 1 milliard spécifiquement pour le numérique. La moitié de ce plan de relance est alimenté par l’Europe, l’autre moitié par le budget flamand.

Une Datanutsbedrijf va être créée pour centraliser les données. De quoi s’agit-il précisément?

JAMBON: L’initiative émane de l’administration, mais nous souhaitons impliquer au plus vite le secteur privé. Nous allons au début faire monter à bord des partenaires privés qui devront à terme prendre la majorité dans cette entreprise. Nous sommes convaincus qu’il existe un intérêt marqué de la part du privé. Cette Datanutsbedrijf verra le jour avant la fin de l’année encore et nous apporterons d’ici là les éclaircissements nécessaires.

Vous allez également impliquer des partenaires privés?

JAMBON: Oui, mais je ne peux encore rien dévoiler, sinon que ces partenaires privés sont très intéressés. Nous entendons mettre sur pied cette Datanutsbedrijf avant la fin de l’année encore et pourrons alors donner davantage de détails.

L’approche en matière de contrats cadres a changé: davantage d’acteurs et de lots. Comment allez-vous orchestrer tout cela?

JAMBON: Cette mission est confiée à l’agence Digitaal Vlaanderen. Toutes les missions sont clairement définies. Certes, il faudra des interactions et des défis devront être relevés. Mais tout mettre dans les mains d’un seul opérateur empêche d’autres entreprises de se présenter. De même, on risque de ne pas forcément avoir les meilleurs acteurs du marché.

BARBARA VAN DEN HAUTE: Nous allons renforcer notre fonction de régie en investissant dans du personnel chargé de superviser ces services. Mais il faut par ailleurs savoir que dans ces adjudications, nous avons prévu un volet d’intégration. Ce lot a été remporté par Atos (voir page 25) et recouvre l’ensemble des services d’intégration opérationnelle. Mais indépendamment de cet aspect, nous allons veiller à ce que notre portefeuille et nos applications suivent tous la même direction.

Pourquoi avoir décidé de scinder l’adjudication en plusieurs contrats cadres?

VAN DEN HAUTE: Il y avait simplement trop de projets pour les confier à un seul acteur. Pour ce qui concerne les applications, nous allons à chaque fois organiser une mini-concurrence entre les prestataires que nous avons retenus. Et ceux-ci peuvent faire appel à des sous-traitants. Cela ne peut que profiter à l’innovation puisque nous impliquons également de petites sociétés spécialisées. Dans le même temps, nous répondons aux critiques qui estimaient par le passé qu’il n’y avait pas assez de concurrence.

Dans leurs offres, les fournisseurs choisis ont également mentionné de nombreux partenariats ou le nom de sous-traitants avec lesquels ils vont travailler. Ainsi, DXC a choisi un consortium avec Cegeka, d’autres ont décidé de s’associer à des entreprises ayant des spécialisations pointues. Ainsi CEVI avec Cronos et Cipal Schaubroeck avec DXC-Cegeka.

Les villes et communes peuvent-elles suivre leur propre voie?

JAMBON: Evidemment. Nous faisons une proposition, mais des villes comme Anvers ou Gand sont déjà relativement bien avancées dans leur numérisation et ont déjà une organisation spécifique. Plus la commune est petite, plus il lui est difficile de travailler seule. C’est pourquoi nous leur faisons une proposition la plus attractive possible.

VAN DEN HAUTE: De très nombreux processus sont identiques dans les administrations locales. Et celles-ci sont demandeuses d’une sorte de modèle SaaS au niveau de la Flandre. Pour l’instant, nous allons leur offrir une sorte de menu où elles pourront faire leur choix. Elles vont ainsi gagner énormément en efficacité, non seulement parce qu’elles ne devront plus faire leurs propres adjudications pour des applications que d’autres villes ou communes ont déjà ou vont avoir. Nous leur laissons la liberté de choix, mais nous veillerons à rendre notre proposition attractive.

Le citoyen verra-t-il une différence à court terme?

JAMBON: Plusieurs projets concrets ont déjà été mis en place comme le Groeipakket [les allocations pour enfants, NDLR]. Mais nous insistons pour mettre le citoyen au centre. Prenez le projet Notaire. Si vous signez un compromis d’achat d’un logement neuf, il faut en général 3 mois ou plus avant que le notaire intervienne. L’objectif est de réduire ce délai à quelques jours ouvrables. Il s’agit en effet en général de données dont dispose l’administration. J’ajoute qu’un tel projet est bénéfique pour la croissance puisque les entreprises de construction peuvent se mettre plus rapidement au travail. De même, la Mobility-as-a-Service est un aspect important. Si je veux aller de A à B, quel est le trajet le plus intéressant?.

VAN DEN HAUTE: Nous insistons particulièrement sur l’e-inclusion ou encore la stratégie d’un seul et même guichet pour les citoyens et les entrepreneurs. Ces éléments sont déjà bien visibles pour l’homme de la rue. Mais nous voulons aussi automatiser davantage nos processus. Le citoyen s’en apercevra dès qu’il entrera en contact avec l’administration. Dans le projet immobilier, notre ambition est d’obtenir tout ‘le jour ouvrable suivant’ alors qu’il faut aujourd’hui plusieurs mois pour collecter toutes les données – en général des données non structurées. Sur le plan technologique, il s’agit de services web, puis d’un projet classique de collecte de données. En soi, il n’y a là rien de révolutionnaire. Même si c’est un défi au niveau de l’application. C’est dans ce domaine que Digitaal Vlaanderen a un rôle à jouer: développer des projets, mais aussi et surtout intervenir à l’intersection entre différents acteurs. Souvent, les données se trouvent dans des silos que personne n’a intérêt à ouvrir. Notre rôle est dès lors de faire la différence et de jouer un rôle de locomotive pour extraire les données de ces silos en impliquant les différents acteurs, en exposant les avantages potentiels et en trouvant un accord possible.

Les données et leur traitement sont au centre de la problématique. Naguère, des critiques se sont élevées au niveau fédéral contre un projet, surtout du côté francophone. Craignez-vous qu’une telle opposition surgisse également en Flandre?

JAMBON: Je ne le pense pas. Les citoyens et les entreprises restent propriétaires de leurs données et nous allons préciser les modalités d’utilisation de celles-ci. La Datanutsbedrijf permettra d’utiliser les données, mais pas de les donner gratuitement. C’est là une philosophie totalement différente.

VAN DEN HAUTE: Si vous regardez votre profil de citoyen, vous verrez effectivement de nombreuses données sur vous. Mais vous seul y avez accès, et pas les fonctionnaires. Il n’y a aucune consolidation centrale.

Par ailleurs, il y a la notion de coffre-fort de données où la gestion des données est confiée en régie à l’utilisateur lui-même, qu’il soit citoyen ou entreprise. Je crois énormément dans la notion de coffre-fort. Prenez l’exemple des allocations pour enfants: lors d’une demande, nous nous basons sur la déclaration fiscale d’il y a 2 ans. Mais quid si votre situation familiale a changé entre-temps? Via le coffre-fort, le citoyen pourra alors nous transmettre certaines données plus actuelles.

Pour ces coffres-forts, vous faites appel à Solid. Cela vous permet-il de rassurer le citoyen sur les problèmes de vie privée?

VAN DEN HAUTE: Oui, certainement. Nous savons que de nombreux services personnalisés sont interdits par le RGPD. Heureusement, Solid rend conciliable ce qui était inconciliable. Donner plus de données donc, mais aussi plus de contrôle. Les citoyens ne sont pas concernés tant par la vie privée que par la notion de contrôle.

Inrupt sera-t-il un fournisseur ou allez-vous implémenter Solid vous-même?

VAN DEN HAUTE: Dans un premier temps, nous allons collaborer (voir également page 20). Mais cela ne signifie pas que nous allons nous limiter à un partenariat. Certes, nous sommes les seuls à avoir un accord de licence de service de type ‘enterprise’. Mais en collaboration avec l’UGent et imec, nous allons certainement participer à la communauté Solid

D’aucuns disent qu’il ne s’agit plus alors d’externalisation?

VAN DEN HAUTE: C’est exact, et nous en avons conscience. En fait, nous les considérons comme de véritables partenaires dans la mise en place de notre stratégie. Cela va bien au-delà d’un contrat de vente, mais véritablement d’un partenariat structurel permettant de mener à bien notre politique ICT.

Barbara Van Den Haute, directrice de Digitaal Vlaanderen:
Barbara Van Den Haute, directrice de Digitaal Vlaanderen: ” Nous insistons particulièrement sur l’e-inclusion. “

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