“Un saut technologique qui nous occupera dans les prochaines années”
Filiale d’Eiffage Benelux, le groupe belge de construction Duchêne est un des leaders au sein du Groupe. Pour poursuivre sa croissance, il entend intensifier les synergies et de créer des pôles de compétence.
Quelle était la situation de l’IT à votre arrivée en 2005?
Etienne Rutten: A l’époque, la société employait 100 personnes pour 2 informaticiens. Outre le câblage, et notamment le raccordement du WAN au réseau interentreprise, et la sécurité avec création de domaines séparés, je prends d’emblée en charge le développement d’applications internes en Visual Basic .Net. J’ajoute que les factures d’achat étaient déjà numérisées, de même que le système de pointage des ouvriers.
François Vandecan: Il faut savoir qu’Eiffage Benelux ne compte pas moins de 14 sociétés différentes, dont Duchêne est la plus grande en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs. Le Groupe s’est constitué largement par rachats. Or chaque société possédait sa propre informatique avec des applications très spécifiques à chaque métier. Il a été décidé de procéder à une standardisation ‘à la Belge’, entendez au pas à pas, en donnant la priorité à la continuité d’activité de chaque entité, tout en permettant aux filiales de rester agiles et autonomes face à un Groupe assez hiérarchisé. Mais clairement, le message du Groupe est de créer un écosystème IT cohérent et de réduire le nombre d’applications. C’est ainsi que plutôt que du staging manuel pour l’installation de nouveaux PC, nous avons opté pour un imaging standardisé avec mises à jour et distribution de nouveaux logiciels automatiques.
Eiffage n’entend pas être un précurseur en matière IT. Cela étant, l’innovation permet de faire la différence par rapport à la concurrence.
Quels ont été les chantiers de ces dernières années?
Rutten: L’un des projets majeurs a été la migration d’Exchange OnPremise, avec un domaine propre à Eiffage Benelux, vers Office365 Eiffage. Parmi les autres projets IT, citons la digitalisation et l’industrialisation des processus, la migration de Windows 7 vers Windows 10 ainsi que la sécurité. Il faut savoir que la construction est l’un des secteurs privilégiés des cybercriminels.
Vandecan: Au niveau du Groupe, nous procédons à une intégration des outils Groupe entre la maison-mère française et Eiffage Benelux. Avec une philosophie claire: lorsqu’une majorité des filiales utilise un produit spécifique, et pour autant que le produit “Groupe” ne réponde pas aux besoins, après présentation aux autres filiales, c’est ce premier qui est adopté à l’échelle de l’ensemble des entités. Ce fut notamment le cas pour la solution de mobile device management, d’asset management ou d’endpoint protection. Par ailleurs, nous avons déployé un produit de sécurité endpoint pour l’ensemble du Groupe. Enfin, un Enterprise Service Bus (ESB) a été développé pour pouvoir échanger des données entre toutes les applications ‘silos’ des différentes entités et du Groupe et n’encoder qu’une seule fois la donnée pour éviter tout risque d’erreur ou d’incohérence. Plus spécifiquement, mon rôle consiste à piloter, à guider les filiales et à en faire des alliés dans la mise en place d’un produit.
Qu’en est-il des projets prévus pour cette année et les années à venir?
Rutten: L’un des chantiers les plus importants sera la mise en place d’un écosystème de micro-services basé sur Kubernetes et Docker. Il s’agit là d’un saut technologique qui nous occupera dans les 4 à 5 prochaines années. En tant que développeur, ces solutions nous obligeront à réécrire les applications, souvent écrites en interne comme c’est le cas chez Duchêne, ainsi qu’à trouver des spécialistes pour nous épauler. J’ajoute que plusieurs applications développées en interne chez Duchêne ont été adoptées au niveau du Groupe.
Vandecan: Par ailleurs, nous allons élargir notre public cible pour notre CRM et notre solution de gestion documentaire. De même, nous allons continuer à aligner les outils au sein d’Eiffage Benelux et de ses filiales, tout en réduisant le nombre d’applications, ce qui doit permettre de réduire toute une série de coûts cachés, avec pour objectif d’affecter les montants ainsi dégagés à d’autres projets. La migration de Windows 10 vers Windows 11 est également à l’agenda.
En outre, l’infrastructure informatique évolue vers un modèle de datacenter hybride. Aujourd’hui, le Groupe dispose de plusieurs centres de données et l’ambition est d’aligner les ressources informatiques au niveau du Groupe en faisant appel non seulement à nos centres de données internes, mais aussi aux plateformes de fournisseurs tiers, ce qui est le cas notamment pour la comptabilité, la gestion des actifs ou encore la publication des comptes annuels. Pour permettre un échange fluide des données entre ces différents systèmes, il va de soi que l’ESB en cours de déploiement démontre toute son importance.
Rutten: Aujourd’hui, au niveau de Duchêne, nous disposons de deux salles de serveurs avec UPS et groupe électrogène, plus une salle de survie. Par ailleurs, nous avons une réplication de nos backups à Charleroi et d’un accès aux datacenters d’Eiffage Benelux.
Vandecan: A l’avenir, en ce qui concerne les data centers, nous allons réfléchir avec les filiales sur une solution “Groupe” qui satisfasse les besoins de l’ensemble des filiales.
Nous allons aussi créer des centres de compétence au sein du Groupe, notamment pour le développement d’applications ou encore pour certains applicatifs business, comme Windows Server 2022, Office 365 ou encore la cybersécurité. Enfin, nous venons également de structurer le pôle d’innovation, avec la désignation d’un Chief Digital and Innovation Officer avec lequel je travaillerai en étroite collaboration et qui permettra la mise en place plus rapide de nouvelles innovations.
A noter également que dans les prochaines années, nous lancerons un vaste projet de tableaux de bord pour les chantiers en Microsoft Power BI. Il s’agit là d’un outil Groupe critique qui facilitera l’aide à la décision pour la direction ainsi que pour les gestionnaires et conducteurs de chantiers. A cet égard, il est évident que l’ESB jouera un rôle déterminant pour l’échange de données.
Comment évoluent vos budgets?
Vandecan: J’aurais tendance à dire qu’au cours des dernières années, les budgets IT ont été alignés avec les besoins business et de renouvellement de technologie. Plus concrètement, il est clair que le secteur de la construction n’a jamais été à la pointe de la technologie. Eiffage est un Groupe orienté solutions plutôt que budgets, ce qui signifie que si un produit se révèle pertinent, je défendrai sa mise en oeuvre dans un esprit pragmatique. On constate en effet souvent que l’IT coûte de plus en plus cher, sans vraiment apporter une véritable valeur à l’utilisateur, voire qu’il ne la remarque même pas. Au sein d’Eiffage Benelux, le Group IT Manager ne fait pas partie de la direction générale, mais est représenté par le CFO.
Il faut d’ailleurs préciser que le Groupe investit énormément dans la sécurité en général, et la cybersécurité en particulier. Non seulement dans les solutions, mais aussi la formation et la sensibilisation des collaborateurs. Car finalement, l’IT n’est qu’un service parmi d’autres.
Qu’en est-il de vos équipes IT?
Rutten: Chez Duchêne, nous sommes désormais 3 au département IT, avec depuis peu un jeune informaticien qui avait fait son stage chez nous et qui s’intégrera au Team Developement pour participer à l’élaboration des développements internes et du support aux utilisateurs. J’ajoute qu’aujourd’hui nous avons des collaborations ponctuelles avec d’autres entités du Groupe – ce qui arrivera encore plus souvent à l’avenir.
Vandecan: En ce qui concerne l’entité Benelux (Branche Eiffage Construction), nous comptons une petite quinzaine de responsables IT. Nous avons la chance d’avoir un grand pourcentage de personnes qui travaillent depuis longtemps dans la société. L’informatique requiert de plus en plus de compétences et prend également de plus en plus de temps. Il nous faut penser à plus industrialiser nos processus pour dégager du temps pour le support à nos utilisateurs. Certains de nos collaborateurs IT vont prendre leur retraite et nous évaluons toutes les possibilités, à savoir recentraliser le support, externaliser une partie des activités pour se concentrer sur notre métier de support, voire plus que probablement une approche hybride qui combinerait compétences internes et externes. Par ailleurs, les possibilités de formation ont été élargies dans la mesure où il est important que nos équipes IT gardent et acquièrent des connaissances sur les technologies d’aujourd’hui et de demain.
Souvent l’IT coûte de plus en plus cher, sans vraiment apporter une véritable valeur à l’utilisateur.
A propos précisément de technologies de demain, quelle est l’importance de l’innovation et quelles technologies ciblez-vous?
Vandecan: Je tiens d’abord à préciser qu’Eiffage n’entend pas être un précurseur en matière IT. Cela étant, l’innovation permet de faire la différence par rapport à la concurrence, et certainement par rapport au technologies métier. Depuis 3 ans, Eiffage Benelux a fait de l’innovation interne une vraie stratégie dans laquelle les équipes de terrains sont pleinement sollicitées, sous la supervision d’un comité de pilotage de l’innovation dans lequel notre CEO est fort actif. Notre vision de l’innovation regroupe à la fois les innovations purement métier et les transformations digitales. Nous disposons d’un budget ‘innovation’ qui nous permet de démarrer des projets suivant un processus précis et de monitorer leur évolution, en vue de les déployer à large échelle ou de les arrêter en cas de stagnation. L’ancrage avec le terrain est à cet égard clairement un gage de succès. Sur ces sujets, ma collaboration avec le CDO est particulièrement importante, et la volonté nouvelle de standardisation de l’IT Eiffage Benelux facilite grandement sa tâche dans l’analyse et le déploiement des nouvelles solutions digitales.
J’ajoute que dans le cadre du plan stratégique 20-25 du Groupe, des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle, l’apprentissage machine, la chaîne de blocs ou la réalité virtuelle/augmentée sont envisagées. C’est ainsi que nous sommes en train d’identifier les domaines d’utilisation de l’IA, de structurer nos données pour l’application de l’IA ainsi que de développer et déployer les premiers projets en IA. Enfin, la data constituera incontestablement une priorité pour l’avenir, comme le montre le projet de tableaux de bord pour les chantiers que j’évoquais ci-dessus.
Eprouvez-vous des difficultés à recruter des informaticiens?
Vandecan: Bien évidemment, le marché de l’emploi est tendu pour tout le monde dans l’informatique. Eiffage et Eiffage Benelux sont des sociétés renommées et cela facilite évidemment les recrutements. Néanmoins, nous prenons les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de nos services. Au niveau du Benelux, le bilinguisme est important puisque nous servons des utilisateurs en Belgique et au Luxembourg. Mais de plus en plus, on constate que les jeunes accordent une attention croissante à l’équilibre entre carrière et vie privée, ce qui ne facilite pas les recrutements.
Etienne Rutten
Févr. 1996 – sept. 2001: responsable comptable et informatique, Bonten (Aubel)
Oct. 2001 – août 2005: responsable du suivi analytique de chantiers, Sageco (Thimister)
Août 2005 – aujourd’hui: IT manager, S.A. Duchêne
François Vandecan
Janv. 1989 – avril 2021: missions de consultance et d’interim IT manager chez Daoust, Total, Enhesa, Getronics, M-Team, Ergon, Groupe Bruxelles Lambert, Fortis Banque, Euroclear Banque, ING Banque, Atraxis (Groupe Swissair), Carrefour et la Commission européenne.
Oct. 2019 – oct. 2021: Technology Sweeper & Strategic Advisor, iPlayMe2
Depuis mai 2021: Benelux Group IT Manager, Eiffage Benelux
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