Steven Poelmans: “Personne n’est parfait”
Le leadership peut prendre des formes diverses et variées, mais ces styles différents ont tous leur importance. Mieux encore, il est possible de les apprendre et de les changer en cours de route. Par exemple lors d’une réunion EEG.
Un bon leader est-il quelqu’un qui cible un objectif final ou plutôt quelqu’un de flexible? Vaut-il mieux tenir ses distances vis-à-vis de ses subordonnés ou le manager idéal est-il surtout une oreille attentive? Autant de paradoxes qui peuvent parfois s’entrechoquer, mais qui devraient idéalement alterner. Tel est en résumé le message du professeur Poelmans.
Steven Poelmans dirige depuis quelques années déjà la Melexis Endowed Chair of Neuroscience- and technology-enabled High Performance Organizations à l’Antwerp Management School. Auparavant, il a été durant 20 ans professeurs à Barcelone et y a lancé voici 10 ans le premier NeuroTrainingLab qui existe désormais aussi à Anvers.
Ce labo regroupe des personnes qui exercent des fonctions dirigeantes de jeux de rôle, spécifiquement adaptées aux entreprises et enregistre l’activité cérébrale des participants à l’aide d’un capteur EEG. L’analyse de ces deux dimensions génère un rapport qui indique le type de leader que l’on est.
Le leader idéal existe-t-il? Ou est-ce une question d’entreprise ou de situation?
Steven Poelmans: Ces 8 dernières années, nous avons observé près de 1.000 cadres, hommes et femmes, capables de changer rapidement de style de gestion et qui enregistrent actuellement de meilleurs résultats. Un bon leader est capable de gérer des paradoxes différents.
Quels sont ces paradoxes?
Poelmans: Il s’agit de comportements en apparence contradictoires, mais fondamentalement complémentaires. En tant que leader, on peut être plutôt autoritaire, plutôt empathique ou plutôt encadrant. Si vous êtes orienté tâches ou orienté relations, vous garderez vos distances ou serez davantage proche, vous serez exigeant ou flexible. C’est ainsi que l’on constate que les ingénieurs sont souvent orientés données. Se réunir vise à résoudre un problème. Au niveau des coaches, on remarque qu’ils écoutent mieux ou se positionnent en support. Dans les deux cas, le risque existe de ne cibler qu’une seule dimension du paradoxe, ce qui rend le leadership moins efficace, alors que celui qui parvient à bien les combiner enregistre des résultats formidables.
Un bon leader est capable de gérer des paradoxes différents.
Mais la rapidité de passage d’une dimension à l’autre peut s’apprendre, d’après vous?
Poelmans: On peut améliorer la flexibilité du cerveau, souvent sur la base de l’expérience. Si l’on applique régulièrement certaines techniques de management, on peut parvenir à passer plus rapidement d’une dimension à l’autre.
Comment procède-t-on pour associer la mesure physique de l’activité cérébrale?
Poelmans: Ces paradoxes sont très souvent liés à l’activation de réseaux neuronaux antagonistes. Ils sont antagonistes dans la mesure où ils ne peuvent être activés tous en même temps, ce qui est biologiquement impossible. Au niveau des managers ultra-performants, on constate qu’ils peuvent basculer rapidement entre plusieurs modèles différents d’activité cérébrale, sans doute de manière inconsciente.
Nous analysons plusieurs états mentaux, comme la capacité à résoudre des problèmes, la pleine conscience, la vigilance, etc. Mais le timing joue également un rôle. Un comportement paradoxal est souvent apprécié par des semblables ou des dirigeants. Même si les collaborateurs préfèrent que leur supérieur soit prévisible. Si l’on change brusquement, cela est ressenti comme peu fiable. Un bon leader parvient d’ailleurs à encadrer ce changement et peut le ressentir.
Mais combien de fois change-t-on? Toutes les 2 minutes est sans doute exagéré?
Poelmans: Le leadership situationnel veut qu’il faut adapter son style à la personne ou à la situation. Nous allons un pas plus loin dans notre labo en disant qu’une même personne dans une même situation peut changer lors d’une conversation d’une demi-heure. Cela semble contradictoire, mais celui qui peut changer rapidement et au bon moment arrive à de meilleurs résultats.
Qu’y a-t-il comme problème avec le style que j’adopte naturellement?
Poelmans: Le leadership authentique est une bonne chose. Mais à mon avis, il ne suffit pas. Si vous ne faites que ce vous sentez bien, vous négligez d’autres aspects et vous vous limitez face à la diversité de votre équipe. Un style appris s’acquiert par l’expérience. Cela peut sembler plus ardu, exige davantage d’attention pour appliquer certaines techniques, mais cela s’apprend.
Comme mon cerveau assimile-t-il ce genre de choses? Un scan EEG mesure surtout l’activité extérieure, alors que l’IRM va plus en profondeur?
Poelmans: C’est exact. L’IMR ou le fMRI sont des techniques qui montrent également la concentration du sang ou l’association entre une certaine activité cérébrale et des fonctions mentales. Mais il s’agit là d’un autre contexte: l’immobilité dans un tunnel dans un hôpital. Ce n’est pas l’endroit pour observer des capacités de leadership. L’EEG peut être utilisé avec des capteurs et des vêtements intelligents alors même que la personne bouge ou marche. C’est important dans nos jeux de rôles.
Mais comment faites-vous le lien avec la notion de leader?
Poelmans: En combinant ce que l’on fait et l’activité du cerveau. Nous observons plusieurs phases cérébrales [delta, alpha, bêta, gamme, NDLR]. A l’aide d’algorithmes, nous pouvons traduire ces données brutes en indicateurs interprétables. Nous pouvons ainsi mesurer la charge cognitive, la manière dont le cerveau travaille, collecte ou traite l’information, s’il est question d’attention, de vision ou d’empathie, mais aussi quand il y a surcharge et donc apparition du stress.
A cet égard, il est important de faire le lien avec ce qui se passe à ce moment précis dans le jeu de rôles. Un EEG n’est que des vagues qui avancent et reculent, après quoi le logiciel les traduit en modèles. Mais le même modèle EEG donne des indications différentes selon que l’on parle ou que l’on écoute. Si l’activité augmente lors de l’écoute, c’est que l’écoute est attentive et si l’activité augmente lorsque l’on parle, c’est que l’on observe les réactions de l’autre personne.
Pouvez-vous vous enseigner les compétences de leadership à vous-même?
Poelmans: Il est impossible de développer des compétences sans expérience. On apprend par la pratique, sur le tas, peut-être avec un leader qui vous guide. Il existe également des formations, mais c’est souvent aussi en écoutant un prof, tout en faisant soi-même ses découvertes et ses expériences.
Le jeu de rôles peut-il aider? Ce n’est pas la réalité et il n’y a pas de conséquence pour la personne ou l’entreprise.
Poelmans: Nous n’avons certainement pas la prétention d’affirmer que l’on se trouve dans la vraie vie. Mais nous avons mis au point des scénarios sur-mesure pour les entreprises en essayant de simuler au plus près la réalité. Les pilotes doivent également engranger de l’expérience de vol et commencent sur un simulateur.
De même, il n’est possible d’apprendre qu’en étant à l’aise. Celui qui est sous forte pression n’apprend pas forcément bien. C’est pourquoi il est important d’être dans un environnement sécurisé et de bénéficier du feedback sur son attitude.
Les entreprises auraient-elles intérêt à confier à leurs collaborateurs d’autres rôles ou fonctions?
Poelmans: Chaque approche est pertinente, mais chaque personne a son propre rythme. Surtout au niveau des informaticiens, l’impression prévaut qu’il faut faire carrière, qu’il s’agisse de généralistes ou de spécialistes. Une personne qui possède des compétences exceptionnelles ne doit pas être poussée à devenir un dirigeant, mais il faut lui offrir une carrière qui lui permettre d’approfondir ses connaissances et de gérer des projets plus complexes.
En revanche, je suis partisan des programmes de rotation. Dans certaines multinationales, il est possible au cours d’une carrière de travailler dans différents départements et d’enrichir ainsi son expérience. Je suis l’un des derniers à avoir encore fait mon service militaire. Je ne partage pas le cliché selon lequel on y devient un homme, mais on y a été confronté à d’autres environnements, ce qui donne plus de maturité. Idem pour les jeunes qui partent plusieurs mois à l’étranger avec leur sac à dos. On y acquiert un répertoire de comportements et apprend à passer d’un style à un autre.
De même, les programmes de mentoring sont importants dans la réussite d’une carrière. Vous pouvez être votre propre patron, mais aussi travailler avec une personne d’un autre département à laquelle vous vous identifiez.
Dans une interview au Tijd de 2018, vous déclariez que votre méthode ne peut être utilisée pour sélectionner le candidat idéal. Pourquoi, d’autant que vous pouvez savoir qui est la personne la plus adéquate?
Poelmans: Nous nous focalisons sur une méthodologie de développement et le concept de ‘safe space’ joue à cet égard un rôle fondamental. Celui-ci est totalement absent dans une situation d’évaluation où un emploi ou une promotion est en jeu. Vous avez alors un comportement faussé ou une maniabilité sociale. Les gens vont se comporter autrement et vous apprendrez surtout comment les gens peuvent duper leur monde ou jouer un rôle. Ce n’est dès lors pas intéressant dans le cadre de nos recherches.
Parmi les cadres supérieurs, on devrait retrouver un nombre sensiblement plus important de psychopathes. Est-ce exact selon vous? Ou faut-il également y voir une forme de leadership?
Poelmans: C’est parfaitement exact. J’ai donné cours à une Business School à Barcelone qui fait partie du top mondial. Des étudiants particulièrement intelligents qui n’atteignent que des scores élevés en GMAT et ne sont admis qu’au terme d’une série d’interviews. Deux collègues, tous deux psychiatres, ont constaté que 1 sur 5 avait un cadre clinique [une déviance psychologique, NDLR]. Névrosé, psychopathe, narcissique, etc. Eh oui, il arrive que certains étudiants diplômés soient un danger pour la société. Mais avec le temps, un facteur correcteur apparaît. Ces personnes reçoivent également du feedback au fil du temps.
Le leadership authentique est une bonne chose, mais il ne suffit pas.
Voyez-vous également des avantages dans ces spécificités extrêmes?
POELMANS: Certainement. Un névrosé peut être extrêmement perfectionniste. Quant au psychopathe, il ne se demande pas ce que l’on pense de lui, ce qui est idéal pour des fonctions qui essuient beaucoup de critiques. Une personne paranoïaque cherche elle à se couvrir. Dans une organisation où cet aspect est valorisé, elle peut apporter une valeur.
Tout le monde peut-il être formé ou apprendre différents style de management?
Poelmans: En principe oui, mais il existe des limites et certains peuvent aller plus loin que d’autres. En collaboration avec Acerta, nous cherchons actuellement à voir quel est le niveau d’adaptabilité de cette capacité d’adaptation. Est-il possible d’améliorer la flexibilité d’une personne? A mon sens, c’est possible, mais votre propre point de départ détermine aussi jusqu’où vous pouvez aller.
Dans mon livre, je cite l’exemple d’un manager souffrant d’Asperger. En dépit de ce trouble, il peut fonctionner relativement bien et être apprécié. Mais grâce au feedback de ses collègues, il a pu se rendre compte à temps qu’il devait se faire coacher. Au début, c’est assez mécanique et pas idéal, mais c’est faisable.
Est-il recommandé en tant que cadre d’être ouvert à un tel handicap?
Poelmans: La personne interrogée dans mon livre avait fait part de son trouble et a ainsi été respecté parce qu’il avait été honnête et avait accepté de se faire encadrer. S’exposer ainsi est une manière d’inciter vos collaborateurs à suivre cette voie. Cela crée de la confiance.
Mais une ‘anomalie’ est fréquente. Demandez à vos amis qui entretient de bonnes relations avec ses parents. Les enfants où tel n’est pas le cas ont souvent des parents extrêmement exigeants et perfectionnistes, et l’imposent à leurs enfants. Cela entrave les bonnes relations. Si l’on prend en compte ces éléments, personne n’est parfait.
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