Orange se lance aussi sur le marché de l’intégration
Avec le rachat de BKM, Orange se dote de compétences en intégration IT, estimant ainsi pouvoir mieux desservir ses clients. Mais qu’implique cette reprise pour les partenaires de l’entreprise et quelles sont les ambitions d’Orange sur ce marché ?
Data News s’est entretenu avec Michaël Trabbia, depuis 3 ans CEO d’Orange Belgium, et Werner De Laet, depuis peu ‘chief enterprise officer Innovation & Wholesale’, entendez la division professionnelle d’Orange Belgium. Le point de départ de cet entretien était la reprise de BKM, un intégrateur ICT employant 230 collaborateurs, pour un montant de 52,4 millions a (35 millions a pour le rachat et 17 millions pour la reprise de dettes). BKM contrôle par ailleurs Fonitel, Data Unit, VoXX cloud Voice et CC@Ps, autant d’entreprises rachetées précédemment par BKM.
Proximus a mis un pied dans l’intégration IT, Telenet a absorbé TelelinQ (Nextel). Est-ce la réponse d’Orange pour proposer également ce type d’activité à ses clients ?
MICHAEL TRABBIA : Il ne s’agit nullement d’une réponse à la concurrence, mais d’une réponse aux demandes de clients. Outre la connectivité, nos clients professionnels ont désormais toujours plus besoin d’outils collaboratifs et de communications unifiées. Nos clients nous ont demandé de leur fournir un service de bout en bout associant la connectivité à de tels outils. Cette reprise s’inscrit dans notre stratégie B2B où nous avons de grandes ambitions et il s’agit là d’un signal fort.
WERNER DE LAET : Cela fait plu- sieurs trimestres que nous voyons croître ce besoin de collaborateurs connectés. Nous proposons ainsi du mobile et du fixe, complété par d’autres services de nos partenaires. Désormais, nous pouvons offrir nous-mêmes des outils de collaboration, des solutions de sécurité, des casques, etc. sous forme de solution globale.
Notre stratégie n’est pas monolithique, mais nous analysons pour chaque client l’ensemble des possibilités offertes.
Les partenaires représentent un aspect important de la stratégie d’Orange. Ce rachat de BKM signifie-t-il la fin de l’histoire pour certains d’entre eux ?
TRABBIA : Notre stratégie n’est pas monolithique, mais nous analysons pour chaque client l’ensemble des possibilités offertes. En d’autres termes, nous avons aujourd’hui des partenaires forts que nous conserverons et même renforcerons et qu’il y a de la place pour de nouveaux partenaires. Tout ce que nous faisons ne tourne pas uniquement autour des communications unifiées et de la collaboration. Songez par exemple à l’offre en sécurité.
Pourtant, l’initiative vient aussi de l’intérieur puisque le groupe Orange a racheté Securelink.
TRABBIA : Cela peut effectivement venir du groupe, mais aussi via d’autres partenaires et peut-être aussi d’autres rachats futurs. C’est ainsi que nous avons maintenant intégré Lookout [un produit de sécurité, NDLR] dans notre offre B2B, une opération qui s’est faite via un partenariat direct. Nous n’adoptons jamais une stratégie unique.
DE LAET : Nous sommes toujours l’opérateur le plus ouvert au marché et aux partenariats, et ce sera encore le cas à l’avenir. Avec le rachat de BKM, nous avons certes accès à leurs produits et segments de marché, mais cela n’exclut pas d’autres partenariats. Si un client exprime une préférence pour X ou Y, nous serons ouverts. Certainement sur de nouveaux marchés comme l’IoT.
Si je comprends bien, la reprise de BKM est surtout intéressante pour renforcer votre position sur le segment intermédiaire du marché ?
DE LAET : Nous sommes surtout actifs dans le ‘mid-market’, mais leur filiale Data Unit notamment est également active dans les segments supérieurs. Nous n’excluons donc rien. Je tiens à préciser que le rachat n’est pas encore finalisé et que nous attendons encore le feu vert des autorités de la concurrence.
Ce n’est pas une question de technologie, puisque chacun la maîtrise.
Si Proximus, Telenet avec Nextel et Orange abordent un client, pourquoi celui-ci devrait-il opter pour Orange ?
TRABBIA : Ce n’est pas une question de technologie, puisque chacun la maîtrise, mais de relation avec vos clients et de support offert. C’est ainsi que nous entendons nous différencier : nous sommes réputés pour la relation étroite que nous entretenons avec nos clients professionnels et notre capacité d’écoute de leurs besoins, autant d’éléments qui font la différence.
Avec BKM, nous renforçons notre position de challenger face à l’acteur établi, tandis que notre proposition de valeur est, outre la solution, le service et le prix ainsi que la proximité du client. Nous pouvons nous adapter aux besoins et n’allons pas proposer une solution offrant des fonctions dont le client n’a peut-être pas besoin. Par ailleurs, BKM promeut les solutions cloud, gage d’agilité et de coûts réduits.
DE LAET : Nous faisons également la différence parce que nous faisons partie d’un très grand groupe qui nous permet d’avoir accès notamment à Business & Decision ou Orange Cyberdefense. Les choses en sont encore à un stade préliminaire, mais ces éléments permettent de nous différencier dans le monde 5G : un partenaire offrant toutes ces options, outre la proximité du client.
Proximus est uniquement active en Belgique, Telenet adopte une approche de rachat et d’intégration rapides, alors que les partenariats font partie de notre ADN. Même après le rachat de BKM, nous ne voulons pas qu’ils perdent leur identité. Il s’agit évidemment de trouver le bon équilibre puisqu’ils font désormais partie d’un plus grand groupe, mais l’objectif est de proposer à la fois les avantages d’un grand groupe et la présence locale.
Notre ambition n’est pas de bâtir des entreprises verticales.
Le groupe Orange a racheté voici 2 ans Business & Decision et s’offre à présent Securelink. Et Orange Belgium rachète BKM. L’ambition est-elle de procéder à d’autres rachats en Belgique, par exemple des acteurs IoT ?
TRABBIA : Notre ambition n’est pas de bâtir des entreprises verticales. Orange ne croit pas dans l’intégration verticale. Mais je n’exclus pas qu’une reprise soit intéressante pour élargir notre offre, comme nous venons de le faire avec BKM. Mais l’approche est désormais de passer par des partenaires, avec le soutien du groupe Orange qui dispose d’une expertise très vaste, comme c’est le cas aujourd’hui en matière d’analytique avec Business & Decision.
Dans d’autres cas, nous regardons des partenariats locaux. Pour l’IoT, tel est le cas notamment avec CommuniThings [solutions de parking intelligent, NDLR]. Il s’agit d’une collaboration locale, avec l’ambition de l’exporter à l’international. Il n’est jamais question de ‘taille unique’. Parfois, on s’allie à de grands acteurs, parfois à un écosystème plus large de petits acteurs ou d’acteurs locaux ayant une expertise spécifique.
Qu’en est-il en fait de l’IoT en Belgique ? Orange a ciblé durant des années le M2M, mais vous tournez-vous maintenant vers des réseaux IoT et y a-t-il déjà de nombreux projets qui dépassent la phase de test ou de projet pilote ?
DE LAET : L’IoT en est encore à un stade précoce, mais on voit heureusement apparaître des exemples pratiques, notamment dans la connectivité enrichie et les processus qui migrent dans le cloud. Autrefois, les ambitions étaient limitées au niveau du groupe, mais nous nous intéressons désormais aussi à la manière dont l’information est stockée, les analyses faites sur les données, autant de domaines où nous bâtissons une expertise au sein du groupe.
La majorité des volumes se situe toujours dans le M2M classique, mais l’on constate que le marché évolue peu à peu vers l’IoT à bande étroite (NB-IoT). Il s’agit d’une technologie à laquelle nous nous intéressons, mais il faut du temps pour bâtir un écosystème, par exemple avant que les fabricants de matériels ne proposent les équipements adéquats.
CommuniThings constitue à cet égard un bel exemple en matière de parking intelligent. La demande a émané de villes, mais finalement, l’ADN d’un système de parking intelligent peut aussi être appliqué à d’autres domaines.
TRABBIA : Les choses se sont effectivement mises en place plus lentement que prévu, mais nous constatons que des clients s’intéressent désormais beaucoup plus à l’IoT. Pas uniquement des projets pilotes ou des tests, mais des déploiements sur le terrain. Une dynamique se met en place vu le nombre croissant de cas pratiques et l’élargissement de l’offre en matériels et logiciels. L’arrivée de la 5G va encore accélérer l’évolution, surtout pour l’industrie 4.0.
Un standard comme le NB-IoT sera-t-il encore pertinent avec l’arrivée de la 5G ?
TRABBIA : Il suit la même évolution technologique. Certes, il est nécessaire pour recevoir la 5G de posséder un autre appareil, tandis que ce réseau offre d’autres possibilités, mais les manières de travailler sont identiques. De même que tout ce qui concerne la gestion des données et l’analytique en arrière-plan, ainsi que la Plateforme que nous proposons.
L’arrivée de la 5G va nous aider dans nos discussions avec nos clients.
DE LAET : L’arrivée de la 5G va nous aider dans nos discussions avec nos clients. Ceux-ci entendent ce qui sera bientôt possible avec la 5G, mais dans de nombreux cas, nous pouvons déjà leur offrir ce dont ils ont besoin avec le NB-IoT, ce qui leur permet de commencer à tester. En fonction de la latence et des volumes de données, tant le client que nous-mêmes pouvons appréhender ce que réclame le projet et voir si ce projet peut réussir ou non.
Fluvius a ouvert récemment son premier commutateur local sur lequel Orange veut lancer une offre FTTH. L’ambition est-elle d’utiliser à terme ce réseau également pour des connexions professionnelles ?
TRABBIA : Nous soutenons le modèle d’un réseau ‘wholesale’ avec accès passif. Ce faisant, tous les acteurs peuvent se différentier. Mais nous ne sommes pas exclusifs. Sur le marché professionnel, nous travaillons également avec le réseau à fibres optiques de Proximus par exemple. Nous voulons surtout répondre aux besoins du client.
Sur un plan général, tant le B2C que le B2B sont des marchés très statiques où davantage de concurrence et de différenciation devraient être possibles. Si chacun offre la même chose sur le marché de gros, rien ne changera. C’est pourquoi nous soutenons leur modèle et allons lancer une offre tant B2C que B2B sur leur réseau. Nous verrons ensuite leurs ambitions futures au terme de ce premier test.
Un tel réseau indépendant est-il l’avenir pour Orange ?
TRABBIA : Il s’agit d’un modèle intéressant que nous soutenons, qu’il s’agisse de Fluvius ou d’un autre acteur.
C’est évidemment l’idéal lorsque l’activité principale de ce partenaire n’est pas dans les télécoms.
TRABBIA : Quand bien même tel serait le cas, un acteur ‘wholesale-only’ a toujours intérêt à ce que d’autres entreprises utilisent son réseau. Cela offre une certaine garantie d’accès équitable, mais ce type de modèle peut tout aussi bien fonctionner avec un acteur télécom.
DE LAET : Genk et d’autres zones de test sont un bel exemple de système ouvert. Installer de la fibre optique est un investissement coûteux, donc le fait de travailler en commun, sachant que les acteurs peuvent se différencier sur un tel réseau, constitue une garantie de déploiement rapide.
TRABBIA : L’infrastructure doit être partagée. En Belgique, il est insensé d’installer plusieurs réseaux à fibres optiques les uns à côté des autres. Le partage permet un déploiement rapide tandis que la rentabilité est supérieure et que la concurrence se situe alors sur le plan des services.
Où en sont vos préparatifs en matière de 5G ? Les enchères n’ont pas débuté, mais une fois que le gouvernement aura donné son feu vert, la mise en place pourra se faire en 6 mois. Orange est-elle prête lorsque la licence sera octroyée ?
TRABBIA : Nous sommes en pleine phase préparatoire. L’an dernier, nous avons mené un test à Liège et nous profitons ici aussi de l’expertise du groupe Orange, ce qui nous permettra de démarrer dès que les licences seront disponibles.
C’est évidemment dommage que le processus d’enchères n’ait pas pu débuter sous la précédente législature, car l’incertitude règne désormais. Si la mise en place du gouvernement s’éternise, il faudra s’inquiéter en tant qu’entreprise, mais aussi pour le pays. Surtout pour le marché professionnel.
Bon nombre d’avantages de la 5G sont surtout intéressants pour les entreprises qui sont nombreuses à attendre pour proposer de nouveaux services. Pas uniquement des entreprises belges, mais aussi des filiales belges de multinationales. Si celles-ci ont des projets en matière de 5G, il serait dommage que les antennes belges de tels groupes ne soient pas prioritaires pour des investissements technologiques.
DE LAET : Le report d’un déploiement 5G constituerait pour la Belgique un désavantage compétitif. J’étais voici peu encore responsable du Luxembourg où j’ai compris que le gouvernement luxembourgeois était un facilitateur pour la 5G. Espérons que tel sera aussi le cas du nouveau gouvernement. Notre pays compte encore beaucoup d’industries qui se plaignent du coût de la main-d’oeuvre. Dans un environnement industrie 4.0, il est possible de faire la différence à l’aide de la 5G.
Au niveau des réseaux fixes, le ‘dernier kilomètre’ reste actuellement le plus cher et le plus complexe. Considérez-vous la 5G comme une alternative pour ces derniers mètres ? Par exemple sur le marché grand public dans les zones rurales ?
TRABBIA : Il s’agit là d’un aspect que nous suivons de près, et notamment pour l’instant aux Etats-Unis. Mais à mon avis, la maturité n’est pas encore au rendez-vous. Il faut évidemment voir les fréquences que l’on peut utiliser. Il s’agit de la bande 26 GHz qui n’est pas disponible en Belgique. Voilà pourquoi cette solution n’est pas possible en Belgique, même si nous restons attentifs à la situation.
Quoi qu’il en soit, un réseau à fibres optiques doit toujours être déployé au plus près du client. L’accès 5G fixe/sans fil est possible, mais de manière alors très limitée, s’il y a une ligne de visée.
Un 4e opérateur? “Ce ne sera pas viable.
Orange s’intéresse-t-elle aussi aux réseaux 5G privés ?
TRABBIA : Nous examinons les différentes options pour offrir des services aux clients. Il peut aussi s’agir de sites locaux. Mais c’est alors une question d’octroi des fréquences. Il n’existe pas une implémentation type de la 5G.
Certains acteurs voudraient la 5G, mais avec un 4e opérateur. Est-ce encore suffisamment rentable ?
DE LAET : Ce ne sera pas viable. Nous le disons depuis longtemps déjà : il est important de différencier le réseau des services. Pour la fibre optique, il est absurde d’avoir plusieurs réseaux. Et pour le mobile, tant en Belgique qu’à l’échelle mondiale, on constate qu’un marché avec 4 opérateurs n’est pas tenable. Il faudrait en effet financer 4 réseaux avec les mêmes revenus que ceux que se répartissent aujourd’hui 3 opérateurs. Et ce, dans un contexte où la technologie est en outre en train de changer vers la 5G. Nous avons besoin de moyens pour investir dans la 5G et la déployer rapidement en Belgique. Dès lors, je demande au futur gouvernement de faire rapidement avancer le dossier en ayant à l’esprit les entreprises belges. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps dans ce domaine.
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