L’intelligence artificielle percera-t-elle enfin en Belgique ?
Certes, l’intelligence artificielle (IA) est un thème à la mode dans notre pays. Mais reste cette question : est-elle effectivement déployée ou s’agit-il encore et toujours de belles paroles ?
Que les choses soient claires : si l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, la technologie apparaît davantage comme un effet de mode dans le BtoB. Les start-up belges dont l’activité repose sur cette technologie ne s’en cachent d’ailleurs pas. ” En fin de compte, l’intelligence artificielle n’a rien de nouveau, estime Jos Polfliet, expert en IA et apprentissage machine chez Faktion, une start-up anversoise spécialisée dans les ‘chatbots’, l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle appliqués ainsi que les données en temps réel et les plates-formes computationnelles. ” Les géants de la chimie analysent leurs données depuis plus de 40 ans déjà. Et certains des algorithmes que nous appliquons pour nos clients existent depuis près de 100 ans. Autrefois, on parlait de statistiques, de ‘data mining’ ou de ‘data science’, mais aujourd’hui, l’intelligence artificielle est manifestement plus dans l’air du temps. ”
La technologie ne doit pas être perçue par les organisations comme une nouvelle mine d’or.
” Cela dit, j’ai constaté que de nombreuses entreprises se tournaient vers l’intelligence artificielle parce que cela les aidait à innover, ajoute Davio Larnout de Radix.ai, spécialisée en apprentissage machine. Il s’agit pour des start-up comme la nôtre d’une formidable opportunité d’aider les entreprises dans leurs projets d’innovation. ”
” Malheureusement, je dois régulièrement constater que nombre d’entreprises considèrent l’intelligence artificielle comme une fin en soi, pas un moyen “, enchaîne Laurent Mainil, fondateur et CEO de la gantoise Crunch Analytics. Cette jeune société de consultance fait appel à l’apprentissage machine pour aider ses clients à analyser leurs données et à étudier leurs processus de marketing et de ventes notamment. ” La technologie ne doit pas être perçue par les organisations comme une nouvelle mine d’or, estime-t-il. En fait, la seule question que les entreprises doivent se poser est la suivante : quels sont les problèmes métier qui se posent actuellement et comment peut-on les relever grâce aux données ? En outre, l’entreprise doit se préparer à l’IA. Car pour utiliser l’intelligence artificielle afin de remédier à certains problèmes, il faut d’abord et surtout investir dans une série d’éléments périphériques et dans l’infrastructure. C’est ainsi qu’il faut disposer des données nécessaires et des processus adéquats. Et surtout : être conscient des possibilités offertes par la technologie. Tous ces éléments font encore souvent défaut dans de nombreuses organisations. ”
Rattraper le retard
Ce n’est un secret pour personne que des pays comme la Chine, le Canada et les Etats-Unis sont en avance sur l’Europe dans l’IA. Même un voisin comme les Pays-Bas est nettement en avance sur la Belgique. ” Ce n’est pas pour rien que nous avons choisi cette voie, explique Mainil. Nous comptons déjà quelques clients et la maturité en matière d’IA est clairement plus grande. De nombreux projets existent déjà en ‘data science’ et nous sommes convaincus qu’il existe une culture de l’audace et de l’expérimentation – surtout dans les applications métier. ”
Pourtant, le politique s’efforce de stimuler le marché. C’est ainsi qu’en octobre, le ministre flamand de l’Innovation, Philippe Muyters, a dévoilé un plan d’action en IA. Dans le cadre d’un budget de 30 millions ?, il propose d’encadrer la recherche et les applications industrielles ainsi que de sensibiliser les acteurs concernés. ” La Flandre peut et doit être une locomotive dans l’intelligence artificielle. De nombreuses choses existent déjà à l’international. Nous ne devons donc pas essayer de réinventer la roue, mais d’exploiter les multiples atouts dont nous disposons. Il s’agit donc de trouver les bons accents afin que la société puisse pleinement bénéficier des évolutions futures “, explique-t-on dans un communiqué de presse.
Mais ce budget suffira-t-il à rattraper le retard ? ” Par rapport à la Chine et aux USA, 30 millions ? est une goutte d’eau, précise Polfliet. Je me demande si, tout comme par exemple pour l’industrie des semi-conducteurs, il n’est pas trop tard pour permettre à notre pays de jouer un rôle de précurseur. ”
” Nous devons surtout nous demander comment il se fait que nous ayons un tel retard, ajoute Larnout. N’oubliez pas que de tels pays disposent de très nombreuses données, une situation qui est à mettre en relation avec les budgets disponibles. En outre, soyons réalistes : la Belgique reste à la traîne en termes d’innovation. ”
” Investir une partie de ces 30 millions ? dans de la recherche pure ou du développement de produits est évidemment peu, concède Mainil. Mais il appartient aux pouvoirs publics de créer les conditions de croissance d’un secteur prometteur. Car le potentiel d’entreprises susceptibles de vendre ou de développer des applications IA est nettement plus important. On peut comparer la situation à celle de l’époque où les autorités avaient investi pour sensibiliser les entreprises à lancer un site Web ou une boutique en ligne. ”
Une partie de ces fonds fera donc office de levier pour l’économie flamande afin de pousser les entreprises de ‘acheter de l’IA’, ce qui permettra aux entreprises aujourd’hui déjà actives dans l’IA de grandir de façon organique.
Création de valeur
Pour sa part, le monde de l’entreprise investit déjà massivement dans l’intelligence artificielle. Une enquête d’Ernst & Young et de Microsoft montre ainsi qu’au cours des 10 dernières années, pas moins de 100 millions ? ont été investis dans des start-up spécialisées en intelligence artificielle. Soit plus du double des Pays-Bas et davantage que des pays comme la Finlande, l’Irlande, l’Italie, la Norvège et la Suisse. Logique dans la mesure où la technologie est toujours plus perçue comme un catalyseur de nouvelles expériences. Pour les entreprises, le défi est clair : améliorer l’efficacité. Or c’est précisément l’objectif visé par l’intelligence artificielle dans différents secteurs. Dans les soins de santé, on trouve dans notre pays LynxCare, qui a développé un logiciel permettant d’enregistrer des données médicales pour les transmettre aux patients et aux médecins. Pour sa part, la start-up wallonne Sirius Insight est spécialisée en géomarketing et en analytique prédictive pour l’industrie automobile et le secteur financier. Et il ne s’agit là que de 2 exemples parmi d’autres de sociétés qui suscitent l’intérêt des grands sur le marché de l’IA.
” On a l’impression que le marché professionnel se rend enfin compte de l’incroyable plus-value de l’intelligence artificielle, confirme Jonathan Berte, cheville ouvrière et CEO de Robovision. Outre le contrôle des plantes en agriculture et de la production, Robovision est spécialisée en reconnaissance faciale pour des entreprises de sécurité et de médias. ” Une image comporte en général de très nombreuses informations qu’un cerveau humain ne peut pas toujours mémoriser, explique-t-il. A ce niveau, le ‘deep learning’ peut apporter une réponse. C’est pourquoi nous avons développé une plate-forme dédiée. ”
Il est étonnant de constater combien rares sont les personnes qui savent que Siri est commandé par l’IA.
La valeur ajoutée est évidente selon Berte, même si elle n’est pas encore bien comprise. Un exemple récent est celui du revendeur en ligne Zalando qui a essuyé pour son avant-dernier trimestre fiscal une perte de 55,7 millions ?. En cause ? Le fait que ses clients ont renvoyé en masse gratuitement des commandes. D’où l’idée de mettre en oeuvre l’intelligence artificielle. Si Zalando parvenait à montrer comment le client serait vêtu avec l’article qu’il souhaite commander – avec la taille adéquate -, il serait possible de réaliser de substantielles économies. Leslie Cottenjé, CEO et cofondatrice de Hello Customer, nuance la situation. ” Je pense qu’il faut éviter de croire que l’intelligence artificielle peut avoir réponse à tout. En théorie, c’est possible, mais dans la pratique, il faut disposer de tonnes de données et il faut ‘entraîner’ le système. Je doute qu’il s’agit là d’une priorité dans le secteur de la distribution. ” Cottenjé parle d’expérience : avec sa plate-forme en ligne Hello Customer, sa société aide de nombreuses sociétés de la distribution et de la finance à collecter le feedback des clients et à l’analyser grâce à l’IA. ” Distribution ou pas, chaque secteur doit fixer ses propres priorités et examiner comment mieux répondre aux besoins réels des clients. L’intelligence artificielle peut-elle être une solution ? Sans doute ? Mais il s’agit surtout de pouvoir à court terme réaliser des gains d’efficacité. Je vois apparaître aujourd’hui tant de concepts guidés par la technologie. Mais nombre de ces innovations n’accrochent pas auprès du public et pour cause : c’est l’aspect humain qu’il faut privilégier. ”
Adoption par le grand public
La dimension humaine est à de nombreux égards un sous-produit de l’intelligence artificielle. Comme les entreprises s’automatisent à grande échelle, le client final bénéficie d’un service plus rapide et davantage personnalisé. C’est ce que montre notamment la compagnie aérienne KLM qui informe de manière proactive ses passagers du carrousel sur lequel arrivent leurs bagages. Une information que le consommateur apprécie et qui donne une dimension plus humaine au service. Mieux encore, une enquête de Capgemini montre que les clients préfèrent l’interaction humaine, estimant ne pas se sentir stupides lorsque le système interagit avec eux. A cet égard, il reste encore pas mal de pain sur la planche pour les entreprises qui ont désormais lancé des ‘chatbots’, lesquels n’ont jusqu’ici pas vraiment gagné la confiance des consommateurs. ” Il y a tellement de mauvaises choses qu’il est difficile de s’y retrouver, estime Polfliet. Les ‘bots’ de qualité sont en effet une minorité. Chez Faktion, nous investissons dès lors dans la compréhension de la langue notamment. Je pense que cet aspect reste sous-estimé. ”
Si la qualité des systèmes pose problème, il n’en reste pas moins que bon nombre de personnes sont réticentes face à l’intelligence artificielle. Elles craignent en effet pour leur vie privée, alors même que rares sont celles qui refuseraient de donner un ordre à l’assistant vocal Siri de l’iPhone. ” Il est étonnant de constater combien rares sont les personnes qui savent que Siri est commandé par l’IA, estime Berte. Même les routeurs qui gèrent le trafic Internet à la maison font régulièrement appel à l’IA. L’IA comme faisant partie du quotidien est quelque chose d’impensable pour beaucoup de gens – elles y voient un concept unipolaire. Mais lorsque l’industrie arrivera à maturité, la phase de ‘commoditisation’ débutera. Tôt ou tard, l’IA sera omniprésente. Dans d’innombrables produits ayant une finalité bonne ou malveillante. Aujourd’hui, personne ne pense plus à une chaise électrique lorsque l’on parle d’électricité, pas vrai ? ”
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