Les assureurs évaluent les risques d’un retard numérique
Transformation numérique : le monde des assurances la regardait sans s’y intéresser. Les experts estiment d’ailleurs à 10 ans au moins le retard numérique du secteur. Faux, rétorquent les assureurs qui suivent désormais leur client avec toutes sortes d’applis.
Quand on évoque la transformation numérique, le grand public songe spontanément au domaine bancaire. Cela fait en effet plus de 20 ans que la banque en ligne est une réalité, tandis que le virage de la banque mobile est désormais pris. Or les assureurs suivent une autre voie. Une situation étonnante pour l’homme de la rue qui considère que la banque et l’assurance empruntent pratiquement les mêmes chemins. Reste qu’en coulisse, les réalités sont fort différentes. En effet, un service bancaire est utilisé presque quotidiennement, alors que l’on ne contacte que peu son assureur, par exemple pour la location d’une habitation ou l’achat d’une voiture. Par ailleurs, le contexte joue un rôle majeur. Ainsi, une appli de paiement mobile est pratique pour régler un petit montant chez son boulanger. Mais une appli pour déclarer un accident ? Qui est vraiment demandeur ?
Voici quelques-unes des réflexions qui expliquent que la maturité numérique du secteur bancaire n’a rien de comparable à la frilosité apparente des assureurs. ” Il existe clairement un retard dans le domaine du numérique, estime Marnix De Troyer, CEO de Devoteam Management Consulting Belux. Les assureurs ont longtemps adopté une position attentiste. Mais aujourd’hui, ils voient émerger des start-up qui les obligent à se poser une question cruciale : faut-il racheter et intégrer ces nouveaux acteurs ou entrer en concurrence avec nos propres solutions ? ” En outre, la question ne se limite pas à un défi purement technologique. ” 90% d’un projet de transformation numérique concernent les personnes, en termes de commande et de gestion du changement. ”
Expérience client
L’importance du facteur humain se situe en outre aux deux extrémités du tableau. Le client de l’assureur représente évidemment un moteur important. ” Le client souhaite une interaction fluide avec son assureur “, insiste Marnix De Troyer. L’expérience utilisateur est une notion que le monde de l’assurance semble découvrir. ” Le client exige un rôle central et s’attend à une communication aisée, par tous les canaux imaginables. ” Pour un secteur où le papier reste aujourd’hui encore largement dominant, difficile donc de s’adapter. Car le numérique revêt différentes facettes. Et notamment le besoin de cybersécurité et de protection des données client, sans oublier la volonté d’exploiter ces données pour générer de nouvelles activités.
” Dans le même temps, le ‘back-office’ des assureurs est l’objet d’une automatisation poussée, explique encore Marnix De Troyer. Ce qui fait surgir la demande pour de nouveaux profils différents. Il s’agit là d’une évolution qui impacte fortement le facteur humain du côté des assureurs. ” Et comme si ces changements ne suffisaient pas, l’ère numérique touche le coeur même de nombreux produits d’assurance. La voiture autonome en constitue un bel exemple. Vous faudra-t-il alors une assurance auto classique ? Ou encore : qui est le conducteur et qui est le passager dans une voiture autonome ? Pour les ‘digital natives’, il sera important de pouvoir contracter une assurance personnalisée et ciblée via leur smartphone, notamment pour de nouvelles formes de transport, pour l’utilisation de smartphones ou de tablettes, etc. ” Ici également, il s’agit d’une question d’expérience client, poursuit Marnix De Troyer. Un aperçu en ligne de l’ensemble de vos assurances ? Cela n’existe pas aujourd’hui. Or c’est précisément le type d’application que le client attend. ”
Risques nouveaux, assurances nouvelles
Les assureurs seraient-ils à ce point dépassés ? ” Il y a là une part de vérité, reconnaît Jan Strauven, directeur Transformation numérique de Baloise Insurance. Même si l’histoire a sa part d’ironie. ” Dans les années 1970 en effet, les assureurs étaient en avance. Ainsi, ils ont été les premiers à investir massivement dans la technologie mainframe. ” Mais il est vrai que le secteur des assurances a été en retard pour passer d’une approche produits à une stratégie axée sur le client. ” Jan Strauven estime que le défi – et l’opportunité – majeure consistera surtout à gérer les nombreux changements qui se profilent aujourd’hui à l’horizon. Ainsi, on voit apparaître de nouveaux types de risques, comme l’utilisation de voitures autonomes, mais aussi le vieillissement de la population, ce qui impactera les assurances vie, et les changements climatiques, qui influenceront les assurances contre les catastrophes naturelles.
Or dans le même temps, de nombreuses technologies nouvelles émergent. Selon Jan Strauven, la transformation numérique se joue sur plusieurs fronts. ” Dans un premier temps, il existe encore pas mal de potentiel au niveau de la numérisation des produits et des processus. Car si les assurances utilisent encore du papier calque, de nombreuses applis font heureusement leur apparition. Je peux m’imaginer qu’un natif du numérique qui doit compléter une déclaration papier soit vraiment perdu. Peut-être la chaîne de blocs permettra-t-elle d’aider au développement d’une déclaration numérique sécurisée. ” Par ailleurs, la transformation numérique concerne également l’approche client, de même que les produits et services, voire le modèle économique de l’assureur lui-même. ” Helicus illustre parfaitement cette situation. Il s’agit d’un écosystème du monde de la santé qui cible le transport entre hôpitaux grâce à des drones. ” Il est évident qu’un tel modèle commercial impose un nouveau type d’assurance.
Intelligence augmentée
Athora considère la transformation numérique d’abord et avant tout comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. ” Nous voulons améliorer autant que possible l’efficacité du travail administratif de l’assureur, explique Johan Guelluy, CIO d’Athora Belgium, l’ex-Generali Belgium. Si le courtier travaille plus rapidement, il pourra consacrer davantage de temps à sa mission première : le conseil au client. ” Athora concrétise cette philosophie par le biais d’applis. L’an dernier, la société a été la première compagnie en Europe à proposer une appli permettant au courtier de proposer une offre correcte d’assurance auto en 60 secondes. La base ? Une photo. Le courtier prend une photo de la voiture de son client avec son smartphone, tandis que l’intelligence artificielle permet d’identifier automatiquement la marque et le modèle, après quoi il intègre d’autres caractéristiques du véhicule dans son offre. ” Nous y voyons une forme d’intelligence augmentée, précise Johan Guelluy. L’appli renforce l’intelligence du courtier, ce qui permet à ce dernier d’offrir un meilleur conseil. ”
Dans le même ordre d’idées, Athora a annoncé voici peu – en première mondiale – une appli permettant de générer une offre d’assurance incendie dans les 60 secondes, sur base d’une photo de la maison et de différentes infos que l’appli y associe directement, comme les données de géolocalisation. Ces applis sont-elles typiques d’un secteur qui amorce une manoeuvre de rattrapage ? ” Ce n’est pas ma vision des choses, insiste Johan Guelluy. Il faut savoir que ces dernières années, notre secteur a été confronté à bon nombre de nouvelles législations. Leur mise en oeuvre dans les produits et processus a coûté beaucoup d’énergie. ” Sans doute cela s’est-il fait au détriment de l’innovation, même si le secteur est conscient de la nécessité d’innover. ” La technologie aussi joue un rôle important, croit savoir Johan Guelluy. Ce que nous faisons aujourd’hui avec une appli était impossible voici 3 ans. Nous avons dû revoir certains projets à l’époque parce que la technologie n’était pas encore mature. ”
Petit, mais malin
Les assureurs sont par définition réticents à prendre des risques. C’est dans leur nature. Du coup, l’innovation et le changement y sont sans doute moins rapides. ” Les assureurs prennent enfin désormais plus de risques en matière de transformation numérique, admet Jan Strauven. Chez Baloise Insurance, l’innovation constitue en tout cas une priorité. Mais pas au détriment de la dimension humaine. A ce niveau, le courtier joue un rôle important car il fait le lien entre les mondes numérique et humain. ”
Pourtant, les assureurs belges se doivent finalement de miser sur l’innovation. ” Nous opérons sur un petit marché, explique encore Johan Guelluy. En Belgique, nous ne pouvons pas compter sur de gros volumes. Cela nous oblige forcément à être le plus efficace possible avec des moyens limités. Nous devons être plus innovants que les autres et la technologie peut certainement nous y aider. “
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